Traduction simple :
(1) La terrible maladie de la génération ne réside pas principalement dans le cœur, ni dans la sensibilité, ni dans les envies et le relâchement, ni dans la pratique de l’iniquité, ni dans l’empressement au mal, bien que toutes ces choses existent et qu’elles soient douloureuses, mais la base de la maladie est le cerveau – la force de la pensée.
(2–3) Tout au sommet de la pensée qui embrasse tout se cache une grave maladie, qui est plus profonde que tout ce que nos mots peuvent dire, et à cause de laquelle “un homme ne comprend plus la langue de son prochain”. Et tous les événements concomitants amplifient encore l’extension de cette maladie fatale, nos yeux le voient et ils n’en peuvent plus.
Même sans beaucoup chercher, nous voyons que la cause de tous les tourments de la Génération est uniquement la pensée. En fait, la grande masse est entraînée vers le courant par une éruption désordonnée, par l’appui qu’elle prend sur certaines autorités à elle, et par la légèreté de sa raison. Mais la cause profonde qui entraîne tout cela est le réveil général de la pensée, qui trouva sa place dans le cerveau des ‘forces vives’ parce qu’il vint demander des comptes sur tout le trésor de sentiments qu’ils avaient dans le cœur depuis toujours par habitude (4), par éducation et par héritage, à des degrés divers, et parce que leur main ne parvint pas à l’établir de tous côtés dans sa clarté. Il leur semble n’y trouver que les ternes facettes de sentiments infondés, d’une couardise et d’une mollesse sans volonté ni courage de vivre, et leur cœur s’embrase dans leur poitrine.
Et comme ils ne trouvèrent pas de voie toute tracée pour éclairer à la lumière de la connaissance le sentiment conservé depuis les temps les plus anciens (qui furent aussi les plus fastes pour notre nation) (5), pour élever tous ses traits particuliers jusqu’au niveau le plus élevé de l’intelligence supérieure, celle qui recherche et analyse les chemins du monde, celle qui cherche à lui frayer sa route dans une science de la vie qui surpasse même la dimension métaphysique, alors [la Génération] se tourna vers le mépris et la dénégation, par dépit et par amertume. Et beaucoup, par défaut de contenu à leur vie, se joignirent aux militants de ces partis qui ne leur reconnurent aucunement leur place, et livrèrent toute leur richesse à des étrangers.
(6) Ayons pitié de ces malheureux, nos fils et nos frères qui se noient dans la mer déchaînée des tourments spirituels, car ils sont plus cruels que toute maladie et que toute souffrance. Offrons-leur de bonnes paroles, de paroles consolatrices pleines d’intelligence, dispensatrices de quiétude et de courage, au moyen de cette même force qui a projeté [la Génération] dans son état d’ébranlement et de déconstruction.
(7) En effet, quelle est la force qui opère [dans la Génération] tous les changements drastiques qui nous font tant souffrir, sinon la littérature ? Et puisque la littérature a une telle action [sur la Génération], on peut comprendre qu’elle agit seulement par la force de pensée qui est en elle. Bien que s’y retrouvent aussi beaucoup de verbiage et d’éléments excitants qui ne font qu’enflammer le cœur, malgré tout, si elle n’était pas basée sur la pensée, elle ne pourrait ni se maintenir, ni captiver tellement les cœurs, pour les conduire systématiquement à la ruine et à la destruction.
(8) Quand une génération est vile, quand sa moralité spécifique est corrompue, quand les notions de justice et de droiture naturelle n’y sont pas développées comme il convient, la pensée n’a pas d’influence sur elle, ni en bien ni en mal, ou elle n’a qu’une faible influence. Mais du moment où elle s’élève, du moment où elle ressent en elle-même de la noblesse et du raffinement, une forte tendance à vouloir comprendre et à faire le bien, et une connaissance intuitive de nombreuses voies et chemins de la vie. Bien qu’ils ne soient ni achevés ni parfaits, elle est déjà assoiffée de pensée et de raison, et en même temps d’un sentiment de droiture riche et suave, vigoureux et plein de vie.
En fait, dans les conditions d’autrefois, à cause du caractère habituellement revêtu par l’enseignement de la Thora, de la morale et de la halakha en ces jours passés, la génération dans son être collectif n’était pas prête à imaginer qu’elle fût capable de grandes aspirations, et toutes ses déficiences morales ne pouvaient relever que de la bassesse du désir, quelle qu’en soit la nature. Mais maintenant, l’entité collective s’élève aux dépens des individualités, ce qui fait partie du processus général de l’histoire humaine.
À la plupart des époques de l’Histoire, nous trouvons dans les premières générations des sages éminents, des géants de l’esprit dont la grandeur et la force spirituelle nous stupéfient, mais le public se trouvait au plus bas de sa situation, aussi bien intellectuelle que morale. Il est vrai [cependant] que la foule de notre peuple s’élevait au-dessus de toute autre, du fait de la sainteté divine qui le recouvrait. Il était un fanal.
Dans les dernières générations, les géants commencèrent à décliner, alors que le public allait en s’élevant. Il y eut de moins en moins d’ignorants dans notre peuple, et vis-à-vis d’eux les géants et les tsadikim se firent plus rares, et de moindre envergure. Dans l’époque bousculée où nous vivons, ce phénomène est d’une évidence flagrante.
Et cette ascension de la foule fut aussi la cause d’une chute : la Génération estime que tout ce qu’elle entend et ce qu’elle voit de ses parents et de ses maîtres est petit par rapport à sa propre valeur. Alors, leurs réprimandes n’ont plus de prise sur son cœur, elles ne brisent plus sa soif, (9) elles ne lui infligent plus aucune frayeur ni aucune peur, car il n’est déjà plus dans son caractère d’établir son mode de vie de façon à éviter une peur quelle qu’elle soit, réelle ou imaginaire, physique ou spirituelle. Les pires malheurs et calamités l’ont endurcie et enhardie, au point qu’aucune terreur ni aucune peur ne peuvent plus l’ébranler.
(10) Elle n’est douée que pour s’élever, pour avancer sur un chemin de vie qui va vers le haut, pour l’homme éclairé. (11) Mais elle ne pourrait pas, même si elle le voulait, être soumise et résignée, supporter un joug, une charge dans laquelle elle ne pourrait trouver trace de lumière de vie pour la connaissance et le sentiment. Elle ne pourra pas revenir par la crainte, mais elle est tout-à-fait apte à revenir par l’amour, auquel la ‘crainte de la grandeur’ viendra se joindre.
Dans les faits, notre génération déstabilisée n’a encore rien produit, mais elle a un grand potentiel. Une génération comme celle-ci, qui va vaillamment se faire tuer pour des buts qu’elle considère comme suprêmes, et dont une part notable n’est motivée que par un sentiment de droiture, de justice, et une conviction profonde, ne peut pas être vile, même si ses buts sont complètement erronés. Au contraire, son esprit est élevé, grand et imposant.
(12) Une génération qui a l’esprit grand désire – et doit forcément désirer – entendre des paroles grandes, en tout lieu où elle s’adresse. Et le principe de la grandeur des paroles, c’est qu’elles soient clairement définies, malgré toute leur grandeur, leur ampleur et leur portée. Les finalités les plus profondes, auxquelles se rattache le train de toute la vie morale, religieuse et nationale, et tout ce qui en dépend, seront expliquées devant elle jusqu’à la limite de ce qu’elle peut imaginer, et aussi loin que peut aller sa force de compréhension. Et celles qu’elle ne peut ni atteindre ni comprendre, de toute façon elle voudra y trouver un sentiment, une disposition d’esprit, afin de trouver de la vie dans son cœur [grâce] au rayonnement de leur grandeur et de leur splendeur. Les choses communes et simples à elles seules, bien qu’elles soient pleines de vérité et de raison, ne lui suffiront pas, elle n’y trouvera pas de repos.
Une génération qui a un grand potentiel et un actif inexistant exige beaucoup, et elle n’a absolument rien de préparé [pour elle] entre les mains. Il n’est possible de la sauver de sa noirceur, et de la remettre sur le bon chemin dans la vie, que si nous parlons avec elle de tout ce qui est élevé et sublime, de tout ce qui est noble et magnifique, dans la langue la plus simple et la plus accessible, dans les mots qui lui sont les plus communs et les plus compréhensibles, afin qu’elle trouve, même au fond de l’abîme où elle est couchée, le rayonnement, le charme puissant et suprême qu’elle recherche.
En fait, nous ne pourrons lui faire parvenir que quelques maigres rayons de lumière. Mais cette mesure suffira à ranimer son cœur, afin qu’elle commence à monter et à s’élever. “Dans les contrées lointaines ils se souviendront de Moi, ils vivront avec leurs fils, et ils reviendront”. Et comme elle ne se lèvera que sur la voie de la lumière, elle ira en progressant, et l’apparition de la lumière est “certaine comme l’aurore”.
C’est pourquoi le temps est arrivé de commencer cette tâche sainte, d’apprendre ce qu’il faudra pour instruire notre jeune génération, qui désire pour le moins être vivante et éveillée, et dont une notable partie désire aussi être à même de penser et de ressentir ce qui est convenable pour Israël et pour l’humanité.
Traduction avec commentaire :
3. Réflexion et esprit critique.
4. Grande émouna et petite émouna.
5. Un mépris et un déni engendrés par un cœur qui souffre.
6. La compassion rapproche les âmes.
7. La force de la littérature.
9. La peur est impuissante à corriger.