III – Le mouvement général de la pensée


Traduction simple :

(1) La terrible maladie de la génération ne se trouve pas dans le cœur et dans les sentiments, ni dans les envies et l’immoralité, ni dans l’iniquité des actes, ni dans l’empressement vers le mal. Bien que tous ces gens en soient malades et qu’ils en souffrent, la base de la maladie est dans l’intellect : c’est la force de la pensée.  

(23) À la cime de la pensée, qui englobe tout, se cache une maladie pernicieuse au-delà des mots, qui “rend l’homme incapable de comprendre le langage de son prochain”. Et tous les facteurs collatéraux viennent s’ajouter pour accroître l’extension de cette maladie mortelle. Et nos yeux voient cela, et ils sont accablés.

Même sans beaucoup chercher, nous voyons que la cause de tous les maux de la génération n’est autre que la pensée. En effet, la grande masse des gens est entraînée dans le sens du courant par un bouillonnement d’idées confuses, par l’influence de quelques autorités, et par l’inconsistance de son esprit. Mais la cause profonde de tout cela est le mouvement général de la pensée qui trouva place dans le cerveau des forces vives, parce qu’il vint demander des comptes sur tout le trésor de sentiments présent dans leur cœur depuis toujours (4), entretenu à des degrés divers par la force de l’habitude, de l’éducation et de la tradition, et qu’elles ne trouvèrent pas le moyen d’expliquer clairement sous tous ses aspects. Elles pensaient n’y trouver que les ternes aspects d’un sentiment dépourvu de fondement rationnel, d’une peur et d’une mollesse sans motivation ni courage de vivre.

Et leur cœur s’emplit de rage. Comme elles ne trouvèrent pas de voie tracée pour éclairer à la lumière de la connaissance ce sentiment gardé depuis les temps les plus anciens, qui furent aussi les plus fastes pour notre nation, (5) pour relever tous ses aspects particuliers jusqu’au point culminant de l’élévation intellectuelle, l’intelligence qui recherche et explore les voies du monde, qui cherche à paver son chemin dans la science de la vie, qui se tient plus haut même que l’élévation métaphysique, la génération se tourna vers le dédain et le déni, par dépit et par amertume, et faute de voir un sens à la vie, beaucoup se joignirent aux militants de partis comme ceux-là, où ils n’étaient aucunement reconnus, et où ils livrèrent toute leur force à des étrangers. 

(6) Considérons avec mansuétude ces malheureux, nos fils et nos frères qui se noient dans la mer déchaînée des souffrances spirituelles, car elles sont plus dures que toute maladie et toute souffrance. Adressons-leur de bonnes paroles, des paroles de consolation, pleines d’intelligence et sources de quiétude et de courage, en employant cette même force qui a jeté la génération dans une situation d’ébranlement et de dévastation. 

(7) En effet, quelle est la force qui engendre à l’intérieur de la génération tous les changements draconiens dont nous souffrons tellement, sinon la littérature ? Et puisque la littérature a une telle influence sur la génération, on comprend qu’elle n’agit que par la force de pensée qui est en elle, bien qu’il s’y trouve aussi beaucoup de bavardages, et de choses qui ne font que séduire et émouvoir. Mais quoi qu’il en soit, si la littérature n’avait pas de fondement idéologique, elle ne pourrait pas se maintenir, ni avoir autant d’emprise sur les cœurs, ni la capacité de détruire et de ruiner systématiquement.

(8) Quand une génération déchoit, quand sa morale propre se corrompt, quand les notions de justice et de droiture naturelle n’y sont pas développées comme il faut, la pensée ne l’influence pas, ni en bien ni en mal, ou elle n’a sur elle qu’une influence minime. Mais à partir du moment où elle s’élève, à partir du moment où elle se sent noble et raffinée, avec une forte motivation à raisonner et à faire le bien, avec une connaissance intuitive de nombreux sentiers et chemins de la vie, bien qu’ils ne soient ni achevés ni optimisés, elle devient malgré tout assoiffée de pensée et de réflexion, ainsi que d’un sentiment de droiture généreux et débordant, vivant et plein de jeunesse. 

Cependant, dans les conditions d’autrefois, en raison du caractère revêtu par l’enseignement de la Thora en ces jours révolus, aussi bien en moussar qu’en halakha, la génération dans son être collectif ne pouvait pas s’imaginer capable de grandes aspirations, et le seul caractère commun de toutes ses maladies morales était une bassesse du désir, quelle qu’en soit la nature. À présent, la collectivité s’élève au dépens des personnalités individuelles, ce qui fait partie du processus général de l’histoire humaine.

À la plupart des époques de l’histoire nous trouvons des sages admirables, dans les premières générations  [nous trouvons] des géants de l’esprit dont la grandeur et la force spirituelle nous stupéfient. Mais la collectivité était livrée à une condition misérable, aussi bien au plan de la connaissance qu’à celui de la morale. Il est vrai que la foule de notre peuple se distinguait de toute autre par la sainteté divine qui le recouvrait, c’était un étendard.

Dans les dernières générations, les géants commencèrent de décliner, alors que la collectivité allait en s’élevant. Il y eut de moins en moins d’ignorants dans notre peuple, et en face d’eux les Géants et les Tsadikim se firent plus rares et de moindre envergure. Dans l’époque bousculée où nous vivons, ce phénomène est d’une évidence flagrante.

Et ce relèvement de la masse entraîna aussi une chute : la génération trouve que tout ce qu’elle entend et voit de ses parents et de ses professeurs est au-dessous de sa propre valeur. Alors leur morale n’a pas de prise sur son cœur, elle n’étanche pas sa soif. 

(9) Elle ne les effraye plus et ne leur inspire plus aucune crainte, car son caractère a dépassé le stade où sa conduite pourrait être déterminée par la fuite devant une peur quelle qu’elle soit, réelle ou imaginaire, physique ou spirituelle. Les malheurs et les calamités les plus terribles l’ont endurcie et enhardie, au point qu’aucun effroi ni aucune peur ne peuvent plus l’ébranler. (10) Elle n’est prête qu’à s’élever, à avancer sur un chemin de vie ascendant, fait pour l’homme intelligent. (11) Mais même si elle le voulait, elle ne pourrait pas rester courbée la tête basse, ni supporter un joug et un fardeau où elle ne pourrait trouver aucun signe de lumière de vie, pour éclairer la connaissance et le sentiment. Elle ne pourra pas revenir par la crainte, mais elle a une capacité exceptionnelle de revenir par l’amour, que la crainte révérencielle viendra rejoindre. 

Dans les actes, notre génération en effervescence n’a encore rien produit de concret, mais en potentiel elle est très riche. Une génération comme celle-ci, qui va se faire tuer bravement pour des buts qu’elle considère comme suprêmes, et dont une part notable n’est motivée que par le sentiment de la droiture, de justice et de la conviction profonde, ne peut pas être méprisable, même si ses objectifs sont complètement erronés. Au contraire, son esprit est supérieur, grand et vigoureux.

(12) Une génération à l’esprit grand désire – et est obligée de désirer – entendre de grandes choses, vers quelque endroit qu’elle se tourne. Et ce qui caractérise la grandeur des choses, c’est qu’elles soient bien définies et rendues claires, dans toute leur portée, leur ampleur et leur contexte. Les finalités les plus profondes, auxquelles est accrochée la chaîne de toute la vie morale, religieuse et nationale, ainsi que tout ce qui en dépend, doivent lui être rendues claires jusqu’à la limite de ce qu’elle peut évaluer, aussi loin que puisse aller sa capacité de compréhension. Et ce qu’elle n’est pas capable de comprendre, elle veut au moins y trouver un sentiment, une intuition, pour qu’il y ait dans son cœur de la vie dans tout son rayonnement, sa grandeur et sa splendeur. Les choses simples et banales à elles seules, bien qu’elles soient pleines de vérité et de raison, ne peuvent lui suffire, elle n’y trouvera pas de satisfaction.

Une génération qui a un grand potentiel mais presque rien à son actif est très exigeante, et elle n’a absolument rien de prêt entre les mains. Il n’est possible de la sauver de son égarement, et de la remettre sur le bon chemin de la vie, que si nous parlons avec elle de tout ce qui est élevé et éminent, de tout ce qui est grandiose et magnifique, dans le langage le plus simple et le plus accessible, dans les mots qui lui sont les plus usuels et les plus compréhensibles pour qu’elle trouve, même au plus profond de l’abîme où elle est couchée, le rayonnement et le charme puissants et suprêmes qu’elle recherche.

Certes, nous ne pourrons lui faire parvenir que quelques maigres rayons de lumière, mais même dans cette faible mesure ils suffiront à ranimer son cœur pour qu’il commence à monter et à s’élever, “dans les contrées lointaines ils se souviendront, et avec leurs fils ils vivront et ils reviendront”. Et puisqu’elle ne se tient que sur le chemin de la lumière, elle ira en avançant et l’apparition de la lumière est “certaine comme l’aurore”. C’est pourquoi le temps est arrivé de commencer ce travail saint, d’apprendre ce qu’il faut savoir pour enseigner à notre jeune génération, qui désire au minimum être vivante et éveillée, et dont une partie importante désire aussi penser et ressentir ce qui convient à Israël et à l’humanité. 


Traduction avec commentaire :

1. La maladie de la pensée

2. Une maladie pernicieuse

3. La foi et la pensée critique.

4. La foi : la grande et la petite

5. Le dédain et le déni du cœur blessé.

6. La compassion rapproche les âmes.

7. La force de la littérature

8. La justice naturelle.

9. Le remède n’est pas la peur.

10. L’aptitude à s’élever

11. Une grande génération – en potentiel.

12. Un message à la fois clair et profond.