L’intellect exige de comprendre, et s’il ne comprend pas il n’existe aucune motivation pour agir. Quand j’étais enfant, j’ai entendu un homme crier dans une cabine téléphonique : “Moi, monsieur, je suis cartésien, et donc je n’accepte aucune proposition qui n’ait pas été démontrée !”. ‘Cartésien’ veut dire disciple de Descartes, qui était un philosophe rationaliste, le roi des rois parmi tous les philosophes français. Les Français n’ont pas ‘appris’ Descartes, ils ont ‘respiré’ Descartes (puissent tous les gens être comme cela !). Descartes dit :
“ – Je n’accepte rien sans preuve, et je vous prie de tout me démontrer depuis le début. Donc, démontrez-moi que j’existe, il se pourrait que je rêve ? Peut-être est-ce un démon qui me gouverne, et ne fais-je que m’imaginer que j’existe ?”
“ – Tu n’exagères pas ?”
“ – Non, j’assume ma position jusqu’au bout, je doute de tout !”.
C’est une sorte de doute systématique et absolu. De nos jours, on pourrait imaginer prendre un cerveau humain et l’incuber dans un liquide nutritif pour le conserver en vie, puis lui brancher des électrodes à des endroits spécifiques et y faire passer du courant, de sorte que le cerveau dans la cuve ait la sensation de manger, de marcher, ou de frapper quelqu’un. Comment le cerveau pourrait-il démontrer par l’expérience que les choses ont vraiment lieu et ne sont pas imaginaires ?…
Il est évident que c’est une bonne chose de réfléchir. À la yéchiva aussi on réfléchit. On ne dit jamais à quelqu’un : “Comment osez-vous contredire un Tossefot ? Allons, Messieurs, un peu de savoir-vivre !”... Chez nous il est permis de poser des questions. Mais préalablement à toute question, nous avons la foi que tout [dans la Thora] est vérité, et alors seulement nous posons nos questions et nous approfondissons le sujet.
Dans le livre de l’Ecclésiaste sont soulevées des questions extrêmement dures sur tous les domaines de la vie. Le Roi Salomon dit : celui qui est mort est à plaindre, et celui qui est vivant encore plus : quel est ce langage ? – il dit les choses comme il les ressent !… En fait, il est dit au début du livre : “Quel profit l’homme tire-t-il de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ?” [Ecclésiaste 1, 3]. Ceci est l’expression de la foi en Dieu et en la Thora, comme Rachi l’explique sur place : “‘Quel profit’ – quelle récompense et quel avantage – ‘sous le [= à la place du] soleil’ – à la place de la Thora qui est appelée ‘lumière’, comme il est dit : ‘La Thora est lumière’ [Proverbes 6, 23]. Toute la peine qu’il se donne au lieu de s’occuper de la Thora, quel avantage en tirera-t-il ?”. Il est dit aussi à la fin du livre : “Au bout du compte compte tout est entendu : crains Dieu et accomplis ses commandements, car c’est là tout l’homme” [Ecclésiaste 12, 13].
De même, dans le Guide des Égarés sont soulevées des questions très agressives sur la foi, mais elles sont toutes posées depuis la position du croyant. C’est pourquoi le livre commence par soixante-dix chapitres de émouna et s’achève par dix chapitres de émouna, en une expression fervente de la foi en Dieu.
C’est pourquoi, quand nous lançons des objections aux Tossefot, nous ne le faisons pas dans le but de savoir si ce qu’ils disent est vrai ; quand Rabbi Akiba Iguer écrit “qu’il faut grandement approfondir la question” sur les Tossefot, cela ne veut pas dire que les Tossefot doivent reconsidérer leur position, mais que moi, je dois l’approfondir sérieusement !