(Travail de la terre à Alon Chevout, Gouch Etsion)
Traduction simple :
La Terre d’Israël n’est pas un objet extérieur, une acquisition extérieure de la nation, un simple moyen de la rassembler entièrement et de la consolider physiquement, ou même spirituellement. La Terre d’Israël est une pièce essentielle reliée à la nation par un lien vital, attachée par des vertus intérieures à sa réalité. C’est pourquoi aucune forme de pensée humaine rationnelle ne peut appréhender le secret de la Sainteté de la Terre d’Israël, ni traduire en actes la profondeur de l’amour qu’on lui voue. Ce n’est possible que par l’Esprit divin qui repose sur la nation entière, grâce au sceau divin naturellement gravé dans l’Âme d’Israël. C’est elle qui envoie ses lignes aux couleurs naturelles dans toutes les voies de la sensibilité saine, qui projette son rayonnement sublime en harmonie avec l’Esprit de Sainteté supérieur, qui comble de vie et d’agrément suprême le cœur des Saints de la pensée, profondément imprégnés de la pensée d’Israël.
Concevoir la Terre d’Israël comme un simple facteur extérieur destiné à stabiliser le rassemblement de la nation, même dans le but de renforcer le caractère juif en exil, de maintenir son authenticité, de raffermir la Foi et la Crainte de Dieu et de fortifier la pratique des Mitsvot comme il convient, ne donne pas de résultats durables, car c’est une base instable comparée à la puissance de la Sainteté de la Terre d’Israël. Le renforcement authentique du caractère juif en exil ne viendra que de la profondeur de son ancrage à la Terre d’Israël, et c’est de l’espérance de la Terre d’Israël qu’il tirera toujours ses traits spécifiques. L’attente de la Délivrance est la force qui soutient le judaïsme de l’exil, et le judaïsme de la Terre d’Israël est la Délivrance elle-même.
Commentaire du Rav Aviner :
On peut voir la Terre d’Israël de deux manières : soit comme un moyen de renforcer la nation, et de la sauver des émeutes et des pogroms de l’exil, soit comme un besoin vital et organique. On peut faire l’analogie avec le besoin d’un appartement comparé au besoin d’un conjoint. Ce sont deux besoins complètement différents, et un homme réagira de manière très différente, selon que son voisin essaye constamment d’empiéter sur une pièce de son appartement, ou qu’il essaye constamment d’importuner sa femme ! Dans le premier cas, il préfèrera peut-être renoncer à une pièce en faveur du voisin, car six pièces dans la tranquillité valent mieux que sept pièces dans le conflit… Mais dans le second, il est impensable que l’homme renonce à sa femme en faveur du voisin, même un seul instant, car il s’agit d’un lien vital par lequel mon épouse m’est liée comme la moitié de mon âme [Béréchit Rabba 8, 1], et c’est quelque chose qu’il est impossible de partager ! [Guemara Kiddouchin 7a] Quelle est la nature de notre lien à la Terre d’Israël ? Est-ce un lien utilitaire et instrumental, comme celui de l’homme à son appartement, ou un lien vital, comme celui de l’homme à sa femme ?
Le prophète dit à ce propos [en parlant de Jérusalem] : “Tu ne seras plus appelée ‘la Délaissée’, et ta terre ne sera plus nommée ‘Solitude’, car tu tu seras appelée ‘Celle que j’aime’, et ta terre ‘l’Épousée’ ; car le désir de l’Éternel est en toi, et ta terre sera possédée. Comme le jeune homme s’unit à la vierge, tes enfants s’uniront à toi, et ton Dieu se réjouira de toi, de la joie de l’époux avec son épousée”∗ [Isaïe 62, 4-5].
S’opposant à la conception instrumentale et utilitaire∗, le Rav écrit : la Terre d’Israël n’est pas un objet extérieur, une acquisition extérieure de la nation – s’il en était ainsi, cela ne ferait pas de différence d’avoir plus ou moins de territoires, et il serait même permis, en cas de nécessité, d’en vendre une partie à des non–Juifs… – un simple moyen de la rassembler entièrement∗ et de la consolider physiquement, comme un moyen de se protéger des persécutions et de l’extermination∗, ou même spirituellement, pour que le peuple d’Israël ait un lieu où installer son foyer culturel, pratiquer la Thora et les Mitsvot, ne pas être influencé par les cultures étrangères et ne pas s’assimiler parmi les peuples. D’après ces opinions, si tous ces problèmes n’existaient pas, il n’y aurait pas besoin de la Terre d’Israël, puisqu’on la considère seulement comme un moyen…
Qu’est-ce alors que la Terre d’Israël ? La Terre d’Israël est une pièce essentielle, reliée à la nation – le peuple d’Israël et la Terre d’Israël forment une seule entité∗ – par un lien vital, elle n’est pas extérieure à la nation mais elle lui est propre, intégrante et essentielle, comme le sont l’un pour l’autre les époux, dont le lien conjugal est un lien vital∗, attachée par des vertus intérieures à sa réalité – cette nation–là a des vertus secrètes, comme on va l’expliquer dans la suite, qui sont toutes liées à la Terre∗. De même que l’arbre planté dans un milieu inadapté peut tout au mieux survivre, alors que dans son milieu naturel il est plein de vie, il se développe et il fleurit, de même le Peuple d’Israël : tant qu’il était en exil, il pouvait tout au mieux survivre, et c’est seulement en terre d’Israël qu’il revit et se développe∗ [Kouzari 2, 9-12].
C’est pourquoi, puisque le lien qui relie le peuple d’Israël à sa terre n’est ni extérieur, ni instrumental, mais vivant, aucune forme de pensée humaine rationnelle ne peut appréhender le secret de la Sainteté de la Terre d’Israël∗, ni traduire en actes la profondeur de l’amour qu’on lui voue∗. L’intellect est certes une force grande et puissante∗, mais il n’a pas la capacité de comprendre vraiment ce qu’est la Terre d’Israël, ni la force de son lien avec le peuple d’Israël. Nous ne pourrons donc jamais comprendre la profondeur du lien entre le peuple et sa terre. Ce n’est possible que par l’Esprit divin – surpassant l’intellect – qui repose sur la nation entière, c’est-à-dire l’Esprit de Sainteté non pas de l’individu, mais de la nation dans son ensemble∗, grâce au sceau divin naturellement gravé dans l’Âme d’Israël – l’Esprit divin nous parle par l’Âme d’Israël, et de ce fait, l’Âme d’Israël est éprise de la Terre d’Israël∗ comme elle est éprise du Saint, béni Soit-Il, il s’agit là d’un lien vital. C‘est elle qui envoie ses lignes aux couleurs naturelles dans toutes les voies de la sensibilité saine∗, l’Esprit de Sainteté nous parle à la fois par l’intellect et par la sensibilité ; bien que cette dernière soit d’un niveau inférieur, elle est plus vivante et plus créative, c’est elle qui projette son rayonnement sublime en harmonie avec l’Esprit de Sainteté supérieur, non pas l’Esprit de Sainteté de la nation, mais celui qui se trouve chez les géants de ce monde, qui comble de vie et d’agrément suprême le cœur des Saints de la pensée, profondément imprégnés de la pensée d’Israël∗.
Concevoir la Terre d’Israël comme simple élément extérieur– si l’on regarde la Terre d’Israël non pas comme un élément propre de la nation, mais comme un objet extérieur, à l’instar de l’appartement dont l’homme a besoin pour se loger ou de l’argent dont il a besoin pour acheter sa nourriture, qui lui sont extérieurs et ne font pas partie de son individualité, si l’on voit la Terre d’Israël comme si sa seule fonction était d’être un moyen destiné à stabiliser le rassemblement de la nation, à éviter que le peuple d’Israël soit massacré par d’autres peuples ou s’assimile parmi eux (ce qui sous-entend que s’il n’y avait pas le problème de l’élimination physique ou spirituelle en exil, il n’y aurait pas besoin de la Terre d’Israël – à Dieu ne plaise !), même dans le but de renforcer le caractère juif en exil, de maintenir son authenticité, de raffermir la Foi et la Crainte de Dieu et de fortifier la pratique des Mitsvot comme il convient (comme le préconisait le Rav Chimchon Raphaël Hirsch en son temps), [cette conception] ne donne pas de résultats durables, l’enseignement en exil d’un judaïsme déconnecté de la Terre d’Israël ne peut réussir. Une telle pédagogie ne peut éduquer durablement ni à la foi, ni à la crainte de Dieu, ni à la pratique de la Thora et des mitsvot, car c’est une base instable comparée à la puissance de la Sainteté de la Terre d’Israël. Le renforcement authentique du caractère juif en exil ne viendra que de la profondeur de son ancrage à la Terre d’Israël, et c’est donc une erreur pédagogique de minimiser l’importance de la Terre d’Israël sous prétexte que, dans la pratique, on doit s’occuper de questions qui nous touchent de près plutôt que de sujets lointains : “Parle du Chabbat, de la cacherout, de l’éducation, de la pureté familiale, mais ne parle pas de la Terre d’Israël, de toute façon la plupart n’y monteront pas, et il ne faut pas les distraire de l’essentiel…”, selon ce que disait le Rav Chimchon Raphaël Hirsch ∗.
Le Rav vient ici s’opposer à cette conception, et il nous enseigne que nous ne pourrons pas renforcer notre situation en exil tant que nous ne nous investirons pas dans la Terre d’Israël∗. Nous ne pourrons consolider le présent sans le raccrocher par de longues fibres au grand avenir. Le regard doit toujours considérer ce qui est proche en fonction de ce qui est éloigné, et c’est de l’espérance de la Terre d’Israël qu’il – le caractère juif en exil– recevra toujours tous ses traits spécifiques. Le sens de tout le judaïsme de l’exil, et notre aptitude à nous maintenir dans les pays étrangers, viennent du fait qu’au bout du chemin la Terre d’Israël nous attend.
L’attente de la Délivrance est la force qui soutient le judaïsme en exil∗, et le judaïsme de la Terre d’Israël est la Délivrance elle-même∗.