10. La cause du tourment divin


(Barbelé d’un camp de concentration, IIe Guerre mondiale)


Traduction simple :

Quand le monde est dans toute sa grandeur, quand la sainteté d’Israël rayonne à son apogée, il n’est laissé aucune prise aux hérétiques, à tous ceux qui se tiennent au-dehors, pour fonder une institution qui concurrence la lumière d’Israël,  qui consolide quelque vision mystique, un système religieux qui puisse s’établir en  dehors de l’existence de la nation, en marge de sa dignité et de son précieux courant de saintetéCar la lumière sublime et le rayonnement de l’Unicité absolue, où vit son fondement suprême, la lumière de vérité dans toute sa clarté, est liée à l’intériorité secrète d’Israël : “L’Éternel son Dieu est avec lui, et l’amitié du Roi lui est acquise”. 

Depuis la déchéance du monde et l’abaissement de l’âme d’Israël, l’Unicité supérieure s’est détachée de l’ancrage de son unité, et elle montée dans les cieux, au faîte du firmament. Dans le monde des vivants n’apparaissent plus que les lueurs du scintillement de l’Unicité inférieure, remontée des bassins de puisage et touchée par la main des étrangers.

L’Assemblée d’Israël, “souffrante, crie dans ses douleurs” : “Malheur à moi, car mon âme est à bout, les secrets de la Thora ont été livrés à des étrangers, la Thora est brûlée, ses parchemins sont incendiés et ses lettres s’envolent, et pour les fils de Sion bien-aimés, la cendre a remplacé la gloire.” 

Des sages de cœur se lèvent à minuit. Les mains sur les reins comme une accouchée, ils pleurent et se lamentent sur la souffrance du monde, sur la souffrance d’Israël, sur la souffrance de la Présence divine, sur la souffrance de la Thora. Eux, ils savent, et ils reconnaissent la profondeur de cette souffrance, depuis son origine jusqu’à ses séquelles. Ils savent que tous les malheurs et les obscurités, tous les fleuves et les torrents de sang versé, toutes les calamités et les exodes, tout le mépris et la haine, toute la méchanceté et l’ignominie, ne sont qu’un lointain retentissement de l’écho de ce tourment suprême, tourment des Cieux, tourment de la Présence divine, tourment de l’Idéalité essentielle séparée de la source de ses délices.

Car l’Idéalité supérieure est reliée à l’esprit des créatures et au libre choix de l’homme, à la techouva d’Israël et à la noblesse de l’esprit de sérieux. Et ils [les sages de cœur] appellent à la techouva : “Nous sommes à Dieu, et nos yeux sont tournés vers Dieu”.


TEXTE HÉBREU ORIGINAL


Commentaire du Rav Aviner :

Le Peuple d’Israël est le délégué divin pour révéler au monde la lumière de la foi. Nous sommes le seul ‘agent’ du Saint, béni Soit-Il, chargé de dévoiler sa lumière ici-bas.

C’est pourquoi, quand le monde est dans toute sa grandeur, quand la sainteté d’Israël rayonne à son apogée, quand le peuple d’Israël est en situation de grandeur, il n’est laissé aucune prise aux hérétiques, – qui voudraient inventer une religion qui rivalise avec la Thora d’Israël, à tous ceux qui se tiennent au-dehors, pour fonder une institution qui concurrence la lumière d’Israël – il est impossible de mettre en avant une lumière terne et vacillante, quelle qu’elle soit, car une lumière si petite serait raillée et méprisée, elle serait ‘annulée comme la lumière d’une chandelle en plein midi’ devant la lumière d’Israël. Dans ces conditions, aucune prise n’est laissée aux hérétiques – qui consolide quelque vision mystique, un système religieux qui puisse s’établir en dehors de l’existence de la nation, en marge de sa dignité et de son précieux courant de sainteté. Le Rav ne veut pas parler ici de l’idolâtrie, qui ne fut jamais en situation de rivaliser avec la foi d’Israël, mais du christianisme et de l’islam, qui ne purent apparaître tant que le Peuple d’Israël était bien portant, tant que sa sainteté était forte et vaillante, mais seulement quand le Temple fut détruit et quand Israël fut exilé de sa terre.

Car contrairement à la notion d’unité confuse qui existe chez les nations, la lumière sublime et le rayonnement de l’Unicité absolue – c’est-à-dire du Dieu qui est UN quel que soit l’angle sous lequel on l’approche : “Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est UN” [Deutéronome 6, 4] ; “Il est UN, et il n’y a pas d’unique comme son unicité” [Cantique ‘Yigdal’], où vit son fondement suprême, la lumière de la vérité dans toute sa clarté, – “Par cela vous saurez que le Dieu vivant est en vous” [Josué 3, 10] – est liée à l’intériorité secrète d’Israël. Le Peuple d’Israël a une âme capable de reconnaître que “L’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est UN”, et les nations elles-mêmes Le reconnaîtront par l’intermédiaire du Peuple d’Israël : “L’Éternel son Dieu est avec lui, l’amitié du Roi lui est acquise” [Nombres 23, 21]. Il n’y a aucune possibilité d’arriver à ce résultat à l’extérieur du Peuple d’Israël.

Depuis la déchéance du monde et l’abaissement de l’âme d’Israël, l’Unicité supérieure s’est détachée de l’ancrage de son unité, elle ne se trouve plus en nous, dans notre esprit et dans notre foi, et elle est montée dans les cieux, au faîte du firmament. Dans le monde des vivants n’apparaissent plus que les lueurs du scintillement de l’Unicité inférieure, remontée des bassins de puisage, il ne s’agit plus d’une source d’eau vive mais d’une eau puisée, de traces de l’Unicité supérieure, et touchée par la main des étrangers.

Quand nous étions au sommet de l’échelle, nous étions attachés à l’Unicité supérieure. Tout le monde savait que le Peuple d’Israël apportait au monde la révélation de la foi monothéiste, et personne ne pouvait nous faire concurrence. Lorsque les malheurs s’accumulèrent sur nous, lorsque notre Temple fut détruit et que nous fûmes exilés de notre terre, la Présence divine quitta ce monde et s’éleva dans les cieux. À la place de l’Unicité supérieure ne resta plus que l’Unicité inférieure, et avec ce type d’unicité, les nations pouvaient  rivaliser…

‘L’Unicité supérieure’ signifie qu’il n’existe au monde que la lumière du Divin, et “rien d’autre à part Lui”  [Deutéronome 4, 35]. Dans l’univers entier, rien n’existe par soi-même, mais tout n’existe que par le Saint, béni Soit-Il : “et Tu les fais vivre tous” [Néhémie 9, 6] – au sens de : Tu les fais exister tous. L’existence entière n’existe que parce que la parole divine la fait exister à chaque instant : “… qui renouvelle par sa Bonté, chaque jour, constamment, les actes de la Création” [Sefer Hatania]. L’univers entier est éclairé par la lumière divine : la vie de l’individu et celle de la collectivité, l’État, l’armée, l’économie, tout ! “Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est UN” [Deutéronome 6, 1]. Personne ne peut fonder une religion qui concurrence cette ‘Unicité supérieure’, parce qu’en réalité cette unicité est bien au-dessus de la notion de ‘religion’.

‘L’Unicité inférieure’, qui apparaît lorsque nous sommes déchus et exilés de notre terre, signifie qu’il y a une réalité qui existe par elle-même, dans laquelle se trouve un petit résidu de lumière divine : “Béni soit le Nom de gloire de sa royauté à jamais” [Prière du ‘Chéma Israël’]. Avec cette conception religieuse restreinte, il devient possible au christianisme et à l’islam de rivaliser, et en effet ces religions n’imitent le judaïsme que dans son état morbide. À quoi la chose ressemble-t-elle ? À un Hassid qui voit son maître boire du thé allongé dans son lit et qui, dans son zèle naïf pour l’imiter, se met au lit lui aussi et boit du thé, sans comprendre que son maître est simplement tombé malade… Et voilà ce Hassid qui imite son maître malade, alors qu’il est bien portant et en pleine possession de ses moyens !

L’Assemblée d’Israël, “souffrante, crie dans ses douleurs” [Isaïe 26, 17] : “Malheur à moi, car mon âme est à bout !” [Jérémie 4, 31]. Le Peuple d’Israël souffre amèrement parce qu’on lui a volé son bien : la croyance dans l’Unité de Dieu ; et ceci l’entraîne vers la faiblesse, vers la peur, vers la chute, et lui cause un terrible tourment. Les secrets de la Thora ont été livrés à des étrangers ! – Des étrangers ont mis la main sur les idées profondes de l’intériorité secrète, et ils en ont disposé en propriétaires. La Thora est brûlée, ils ont falsifié et brûlé la Thora d’Israël, ses parchemins sont incendiés et ses lettres s’envolent, le corps de la Thora est brûlé, et ses idéaux disparaissent ! Et pour les fils de Sion bien-aimés, la cendre a remplacé la gloire. Toutes les guerres, tous les maux et tous les carnages dont parle le chapitre précédent ont pour origine l’usurpation et lebrûlement de la Thora. On a brûlé le Peuple d’Israël, et à partir de là on a brûlé des millions de gens dans le monde entier.

Des sages de cœur – de grands Talmidé Hakhamim – se lèvent à minuit et récitent le ‘Tikoun Hatsot’. Les mains sur les reins comme une accouchée, ils se tordent de tourments et de souffrances, ils pleurent et se lamentent sur la souffrance du monde chargé de tourments et de peines, “qui se noie dans la vase des profondeurs” [Psaumes 69, 3] – des souffrances matérielles et spirituelles, sur la souffrance d’Israël dont la majorité se trouve encore en exil, et pour la plus grande partie en voie d’assimilation, sur la souffrance de la Présence divine, elle aussi en exil, sur la souffrance de la Thora, qui est abaissée et méprisée, et ne peut ni s’épanouir ni donner des bourgeons. Ils ne pleurent pas que sur des événements particuliers et factuels, mais ils perçoivent la souffrance divine suprême, et c’est sur elle qu’ils pleurent – c’est en cela qu’ils sont des “sages de cœur”

Eux, ils savent et ils reconnaissent la profondeur de cette souffrance, depuis son origine – ses causes – jusqu’à ses séquelles – ses conséquences. Quand on connaît les causes, on peut traiter le problème à la racine et pas seulement ses symptômes extérieurs. Ces ‘sages de cœur’ connaissent la source de tous ces malheurs, et les conséquences qui en découlent. Ils savent que tous les malheurs – les souffrances, les maladies, les châtiments – et les obscurités l’ignorance, les fausses croyances, les idolâtries diverses, les philosophies creuses et confuses, tous les fleuves et les torrents de sang versé dans le monde entier, et particulièrement dans le Peuple d’Israël, qui pendant la Shoah a perdu 7.200.000 Juifs selon les données de Yad Vashem, en plus de tous les morts en tant que soldats dans les différentes armées, toutes les calamités et les exodes, tout le mépris et la haine, quand non seulement on tue dans le Peuple d’Israël, mais on le méprise et on l’humilie, comme il est dit dans les supplications quotidiennes: “Regarde du haut des cieux, et vois que nous avons été la moquerie et la dérision des nations, nous avons été considérés comme des moutons qu’on mène à l’abattoir, voués à la mort, à la perdition, aux coups et à la honte”, c’est-à-dire que nous n’avons pas été menés à l’abattoir seulement pour être tués, anéantis et battus, mais nous avons été livrés à la moquerie, à la dérision et à la honte, ce qui n’est pas moins grave, toute la méchanceté et l’ignominie l’impureté et la saleté – ne sont qu’un lointain retentissement de l’écho de ce tourment suprême, tourment des Cieux, tourment de la Présence divine, la souffrance de la Présence divine est la source de toutes les souffrances, l’exil de la Présence divine est la source de tous les exils, l’abaissement de la Présence divine est la source de tous les abaissements. C’est pourquoi, ceux qui disent ne pas ressentir le malheur de la destruction du Beit Hamikdach et de l’exil de la Présence divine ressentent tout de même les conséquences de cette catastrophe, car ils subissent les tourments des exils, des pogroms et des massacres, qui ne sont que les conséquences de la destruction du Beit Hamikdach et de l’exil de la Présence Divine, tourment de l’Idéalité essentielle séparée de la source de ses délices.

Il y a des idéaux divers et variés, et il y a l’âme qui est commune à tous ces idéaux. Leur tronc commun à tous est ‘l’Idéalité essentielle’ qui se différencie et se révèle dans toutes sortes de manifestations de l’idéalité. La Présence divine est ‘l’Idéalité essentielle’, c’est-à-dire la lumière divine qui réside dans le monde, la lumière divine qui réside dans la Bonté et la Justice, dans l’âme de la nation et dans l’âme de la Terre. La ‘source des délices’ de la Présence divine est ‘Koudcha Berikh Hou’, [le ‘Saint-Béni-Soit-Il’], c’est-à-dire la lumière divine supérieure qui s’élève dans sa liberté absolue, qui désire résider dans le monde d’ici-bas, et d’où la ‘Chekhina’ [Présence divine] tire sa vitalité. Mais dans ce monde où la Présence divine est en exil, il y a séparation entre Koudcha Berikh Hou’ et la ‘Chekhina’, et c’est la raison pour laquelle nous accomplissons les mitsvot “au nom de l’Unicité de ‘Koudcha Berikh Hou’ et de sa ‘Chekhina’” [‘Lechem Yihoud…’] [– pour restaurer l’Unicité absolue ndt].

Et que pouvons–nous faire ? Car l‘Idéalité supérieure – qui est supérieure par rapport à tous les idéaux, et qui est ‘l’idéalité essentielle’, est reliée à l’esprit des créatures et au libre choix de l’homme, à la techouva d’Israël et à la noblesse de l’esprit de sérieux. Il faut relever l’esprit des gens, le libre choix de l’homme, la techouva d’Israël et l’esprit de sérieux, afin d’établir une pensée sérieuse et une approche responsable de la vie. Du fait que nous nous relèverons, nous mériterons de relever la Présence divine de sa poussière, et de réparer le monde dans la royauté du Tout-Puissant. Et ils [les ‘sages de cœur’] appellent à la techouva – à revenir vers le Maître du monde : “Nous sommes à Dieu, et nos yeux sont tournés vers Dieu”  [Michna Soukka chap.5, michna 4]