5. Le mépris et la dénégation générés par un cœur qui souffre

…[Comme ils ne trouvèrent pas de voie toute tracée pour éclairer à la lumière de la connaissance le sentiment conservé depuis les temps anciens… ,] pour élever tous ses traits particuliers – le but de l’intellect est de généraliser autant que possible, alors que le sentiment s’attache au particulier. Ainsi, un scientifique recherche les lois générales qui relient différents phénomènes dans la réalité. Plus la portée de la théorie est générale, et plus elle est satisfaisante. Dans la Guemara aussi, on cherche toujours une approche qui explique le plus grand nombre de cas. Le sentiment, au contraire, est particulier : j’éprouve un sentiment pour ma femme, et pas pour une autre (Dieu merci !). Et c’est la même chose entre parents et enfants : chaque relation est basée sur un sentiment particulier.

Ainsi, les ‘traits particuliers’ dont parle le Rav se rapportent aux nombreuses mitsvot qu’il faut éclairer des lumières de la connaissance jusqu’au niveau le plus élevé de l’intelligence supérieure, celle qui recherche et analyse les chemins du monde La Génération veut comprendre comment il faut se conduire dans le monde, pourquoi on doit faire comme cela et pas autrement, pourquoi une chose est considérée comme morale et une autre non. Évidemment, poser des questions ne signifie pas forcément qu’on sait beaucoup de choses. On peut poser des questions sans rien savoir du tout, comme un adolescent qui pose des questions à propos de tout. Il est plus facile de questionner que de répondre. Aujourd’hui, après de nombreuses générations restées au niveau de ‘l’enfant’ qui accepte tout ce qu’on lui dit, la génération actuelle est passée au niveau de ‘l’adolescent’, jusqu’à ce qu’elle mûrisse et arrive au niveau de ‘l’adulte’, qui a des réponses à ses questions. Il faut seulement savoir que ce processus peut durer quelques centaines d’années…

… celle qui cherche à lui frayer sa route dans une science de la vie – le savoir de la manière de se comporter dans la vie, mais à partir d’un niveau d’explication profonde qui lui fournira des aliments vitaux – qui surpasse même la dimension métaphysique – ‘métaphysique’ veut dire ‘au-dessus de la matière’, et dans le langage simple c’est une réflexion sur le sens de la vie, sur le bien et le mal, sur les idéaux et les questions fondamentales qui se posent à l’homme. C’est un mot d’Aristote, qui a dit qu’au-dessus de la physique se tenait la philosophie. Il y a d’autres domaines qui se situent au-dessus de la physique, comme la logique (comment dire des choses exactes), l’esthétique (le bien et le beau), la psychologie (science de la vie subjective), ou la morale (science du bien et du mal).

Le judaïsme et la métaphysique sont en rivalité, car ils s’occupent tous les deux de connaître la définition du bien, de savoir s’il y a un Dieu et qui est Dieu, de savoir comment se comporter dans la vie, et de répondre à d’autre questions fondamentales qui se posent à tout homme. En comparaison, le judaïsme ne rivalise aucunement avec la chimie par exemple, ni avec la physique ou les mathématiques. Dans la langue du Maharal, la métaphysique est appelée ‘nivdal’, c’est-à-dire ‘séparée’ du monde physique. Le Maharal dit que les Talmidé Hakhamim ont un intellect ‘nivdal’, car ils abordent  les domaines les plus abstraits, appelés dans la Thora ‘Maassé Béréchit’ et ‘Maassé Hamerkava’.

C’est donc une génération qui exige des comptes sur tout le patrimoine moral, spirituel et religieux qui lui a été transmis, jusque dans les derniers détails. Elle exige une compréhension métaphysique, même quand les sujets élevés se ramifient dans les détails, comme dans les lois sur le k‘éli richon’ et le ‘kéli chéni le Chabbat. Je peux expliquer au niveau métaphysique la valeur du Chabbat en général, mais la génération veut comprendre au niveau métaphysique les halakhot du Chabbat, et cela, ce n’est pas une question simple, nous n’avons pas de voie toute tracée pour y répondre !

La Génération n’est pas gênée par la morale des prophètes, c’est pour elle quelque chose qui fait du sens. Cependant, les prophètes sont à un niveau inférieur à celui de Moché, et dans la Thora il n’est pas écrit seulement : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” [Lévitique 19, 18], mais aussi : “Tu les attacheras en signe sur ton bras” [- les téfilinesDeutéronome 6, 8], ou : “Ils seront pour toi des franges” [- les tsitsithsNombres 15, 39]. Or, la Génération veut comprendre les choses de manière plus profonde que celle dont nous traitons les problèmes élémentaires de la vie. La difficulté vient de ce que les mitsvot ont une dimension de détails, et que pour éclairer un petit détail relégué dans un coin, il faut une lumière plus forte que pour éclairer la pièce entière.

…- alors [la Génération] se tourna vers le mépris et la dénégation – Le mépris est pire que la dénégation. La dénégation est encore une forme de prise en considération, alors que le mépris exprime un rejet total. Quand le Rav notre maître arriva à Yaffo, il annonça à son fils comme une bonne nouvelle : “À la suite à mon arrivée, le mépris de la religion s’est transformé en haine de la religion !”. Avant l’arrivée de notre maître, il y avait à Yaffo des intellectuels de haut vol qui méprisaient les religieux, et lorsqu’il arriva, ils furent soudain stupéfaits de voir à quel point sa pensée était profonde. Ils dirent : “Cet homme est dangereux, il nous dépasse !”, en conséquence de quoi ils le détestèrent, ce qui était un progrès.

par dépit et par amertume. La Génération n’est pas renégate par méchanceté, par volonté de détruire ou de blesser, elle rejette la religion parce que son cœur lui fait mal. Elle aurait bien voulu ‘rester à l’intérieur’, mais elle ne le pouvait pas.

Et beaucoup, par défaut de contenu à leur vie, parce qu’ils ne comprenaient pas la Thora, se joignirent aux militants de ces partis qui ne leur reconnurent aucunement leur place, et livrèrent toute leur richesse à des étrangers. Ils intégraient des partis qui ne leur convenaient pas du tout, comme le parti communiste, parce qu’ils ne trouvaient pas chez nous la grandeur qu’ils cherchaient. Et là-bas, que trouvaient-ils ? – un palliatif à la douleur de leur cœur. Ils n’étaient pas des renégats comme à l’époque de nos Sages, comme les Sadducéens, qui avaient d’abord appris la Thora orale, et qui voulurent ensuite la détruire.

Un jour, quelqu’un me téléphona et me raconta : “Je suis habillé comme un harédi, mais je suis déjà complètement hiloni. Il n’y a que ma femme qui le sait. Elle veut envoyer les enfants dans une école harédie, et moi dans une école publique religieuse”. Je parlai de tout cela avec lui, et à la fin il me dit qu’il était devenu hiloni à cause de ‘questions restées sans réponse’, et à cause des ‘réponses superficielles données à des questions profondes’. Il me dit cela douloureusement, ce n’était pas la haine de la religion qui l’avait motivé. Aujourd’hui, les partis antireligieux eux-mêmes ne s’opposent pas à la pratique de la religion, mais ils disent seulement qu’ils veulent séparer la religion de l’état pour empêcher la coercition religieuse. La plupart de ceux qui sont membres de ces partis sont même des traditionalistes à divers degrés.

On ne trouve pas la ‘voie toute tracée’ seulement dans les livres et par l’étude, mais aussi, et peut-être surtout, chez les hommes qui marchent sur cette ‘voie toute tracée’, qui sont eux-mêmes cette voie, et dont les manières plaisent à ceux qui les voient. Ils ne sont pas forcément capables d’expliquer tout ce qu’ils font, mais ils marchent sur cette voie.

Question : Quand un homme pourra-t-il frayer un chemin dans la Thora et les mitsvot ?

Réponse : Quand il étudiera et enseignera tous les livres du Rav notre maître. Quand un homme étudie beaucoup et ‘digère’ son étude, celle-ci devient une partie de son être profond, et alors il peut découvrir des enseignements nouveaux [hidouchim’] dans la voie suivie par son Rav. Telle est précisément la définition d’un ‘élève’ : celui qui a profondément assimilé l’enseignement de son maître, et qui peut trancher la halakha comme son maître, même dans des sujets sur lesquels il ne s’est jamais exprimé.

Dans ‘Igrot Haréiya’, le Rav notre maître explique au Rav Hanazir ce qu’est un véritable hidouch : ce n’est pas une interprétation nouvelle localisée à un passage donné. Un vrai hidouch provient l’ensemble du Talmud, de sorte qu’il est difficile de préciser sa source. Ce n’est pas parce que j’ai étudié un seul paragraphe du Rav notre maître que je peux d’emblée le mettre en rapport avec une situation analogue. C’est seulement après avoir étudié des milliers de paragraphes qu’il est possible d’extrapoler sa conclusion et de l’appliquer à une autre situation.

Un jour, j’ai demandé à un grand Rav s’il m’était permis de faire un hidouch de halakha que j’avais démontré à partir de la Guémara, mais qui contredisait de grands Aharonim. Le Rav me répondit : “C’est possible, mais à condition que tu vérifies que ta nouvelle explication est compatible avec la totalité du Talmud”. Je répondis : “Bon, j’ai compris que je ne peux pas le faire…”. On dit que le Sifté Cohen passait rapidement sur tout le Talmud avant de faire un hidouch, pour vérifier que son hidouch ne contredisait rien.