3. Notre rapport à la politique


(Salle de la Knesset, Jérusalem)


Traduction :

Nous avons quitté la politique mondiale dans une contrainte mêlée de consentement intérieur, dans l’attente d’une époque heureuse où il sera possible de gérer un Etat sans méchanceté ni barbarie.

C’est le temps que nous espérons. Il est évident que pour concrétiser cet espoir, nous devons nous réveiller, et [avec nous] toutes nos forces, et employer tous les moyens que l’époque nous offre – tout est conduit par la main de Dieu, Créateur de tous les mondes. Mais le retard était un retard inévitable, et notre âme fut dégoutée par les terribles fautes commises dans la conduite de l’État à une sombre époque.

Et voici que le temps est arrivé, il est très proche, où le monde s’adoucira, et où nous pourrons nous préparer, car il nous deviendra possible de gérer notre État sur les bases du bien, de la sagesse, de l’intégrité, et de la clarté divine lumineuse.

“Ya’akov renvoya à Essav le manteau de la royauté” [Béréchit Rabba 75, 4] ; “[Et Ya’akov dit à Essav :] ‘Que mon maître daigne passer devant son serviteur’” [Genèse 33, 14]. Il n’est pas digne de Ya’akov de se charger des affaires de l’État à une époque où elles doivent baigner dans le sang, à une époque qui exige une disposition à la méchanceté. Nous n’avons accepté [de prendre en charge] que les fondements [de l’État], parce qu’il fallait fonder une nation. Mais quand le tronc a été sevré, nous avons été écartés du pouvoir, [nous avons été] dispersés parmi les nations et semés en terre profonde, en attendant qu’arrive le temps de la taille, et que le chant de la tourterelle se fasse entendre dans notre pays.


TEXTE HÉBREU ORIGINAL


Commentaire du Rav Aviner :

Dans les premières années de la Nation d’Israël, au temps où elle habitait sur sa terre, nous avions un État et nous nous occupions de politique. Mais après avoir été renvoyés de notre terre, nous avons quitté la politique mondiale dans une contrainte – sans avoir d’autre choix : les Romains nous ont chassés de notre terre, et depuis lors, nous n’avons plus pratiqué les mitsvot liées à la politique, comme la mitsva de faire la guerre (en effet, un état qui veut se maintenir est parfois obligé de faire la guerre pour défendre son existence). L’idéal est nommer un roi, de créer une armée, et d’instituer des juges et des policiers. Mais nous en avons été empêchés, car nous avons dû quitter le pays et abandonner la politique.

Cette contrainte fut toutefois mêlée de consentement intérieur. Nous étions contraints, mais en même temps nous étions très contents de ne plus nous occuper de politique, parce que la politique du Peuple d’Israël en Terre d’Israël – comme à vrai dire celle de toutes les nations du monde – était complètement corrompue. Les deux temples furent détruits à cause de cela, et l’ensemble de l’État avec eux. Puisque le choix placé devant nous était soit de gérer toutes ces affaires pourries regorgeant de méchanceté et de bêtise, soit de partir en exil, certes nous avons été tristes, mais nous étions contents en même temps de partir en exil, pour ne plus avoir à nous mêler de tout cela.

En attendant, nous avons tout laissé derrière nous, dans l’attente d’une époque heureuse où il sera possible de gérer un État sans méchanceté ni barbarie. Dès qu’il sera possible de diriger l’État sans méchanceté, sans barbarie et sans sauvagerie, ni à l’intérieur ni à l’extérieur, alors nous l’édifierons.

C’est le temps que nous espérons. Nous attendons que vienne ce temps–là,  où nous pourrons gérer un État propre et moral, et bien sûr cela ne servira pas qu’à nous, mais à l’humanité dans son ensemble. “Que nous espérons” ne veut pas dire que nous resterons les bras croisés. Il est évident que pour concrétiser cet espoir, nous devons nous réveiller, et [avec nous] toutes nos forces, et employer tous les moyens que l’époque nous offre. Nous devons nous efforcer d’édifier pour nous-mêmes un tel pouvoir assaini par tous les moyens possibles. Dans ce but, nous devons monter en Terre d’Israël, construire le pays, créer une armée et une police, gagner de l’influence sur les nations du monde pour qu’elles nous soutiennent, etc.

Et si l’on pose la question : “Qui édifiera l’État d’Israël, le Saint-Béni-Soit-Il ou le Peuple d’Israël ?”, la réponse est que tout est conduit par la main de Dieu, Créateur de tous les mondes. [Lui et nous], nous ferons cela ensemble : “Nous devons nous réveiller, et [avec nous] toutes nos forces, et employer tous les moyens que l’époque nous offre” sous la conduite de “la main de Dieu, Créateur de tous les mondes”. S’il y a une possibilité de monter en Israël, c’est le Saint-Béni-Soit-Il qui l’a arrangée ; s’il y a une possibilité de construire le pays, c’est le Saint-Béni-Soit-Il qui l’a arrangée ; s’il y a une possibilité pour les Juifs de servir comme soldats dans les armées du monde pour fournir une base à l’Armée de Défense d’Israël, c’est le Saint-Béni-Soit-Il qui l’a arrangée ; s’il y a une possibilité de former une Légion Juive et une Brigade Juive’, c’est le Saint-Béni-Soit-Il qui l’a arrangée ; s’il y a une possibilité d’amener la Société des Nations à accepter d’attribuer la Terre d’Israël au Peuple d’Israël, c’est le Saint-Béni-Soit-Il qui l’a arrangée.

Mais le retard était un retard inévitable. En effet, il faut savoir que si pendant deux mille ans nous ne nous sommes pas mêlés de politique, ce n’était pas parce qu’il n’y a plus rien à faire, à Dieu ne plaise ! Cela, c’est la thèse du christianisme : « si les Juifs ont perdu leur indépendance nationale depuis deux mille ans, c’est la preuve que Dieu s’est détourné d’eux et qu’ils ne reviendront plus jamais, ni à leur terre ni à leur État » – que leur bouche s’emplisse de terre, mille fois non. Le Saint-Béni-Soit-Il veut que le Peuple d’Israël revienne sur sa terre et y édifie son État, mais la chose prend du temps, car après le pourrissement de notre royaume d’autrefois, le processus de guérison et de réparation s’étend sur un grand nombre d’années.

Et notre âme fut dégoûtée par les terribles fautes commises dans la conduite de l’État à une sombre époque. Notre royaume, à cette “sombre époque”, commit des fautes si graves et si terribles que “notre âme en fut dégoutée”. Nous ne voulons pas de telles choses, et nous ne les supportons pas. À cause de ces terribles souvenirs, nous sommes restés affligés d’une incapacité psychique à diriger un État, et nous avons dû attendre une lente guérison pendant des années.

Et voici que le temps est arrivé, il est très proche, où le monde s’adoucira,  le monde entier s’adoucira, et le jour viendra où il sera possible de diriger les États dans la moralité et la droiture, et où nous pourrons nous préparer, car il nous deviendra possible de diriger notre État sur les bases du bien, de la sagesse, de l’intégrité, et de la clarté divine luùineuse. Nous sommes prêts désormais à construire notre État sur la base de la droiture et de la bonté. Bien sûr, cela ne se fera pas en un jour, mais il nous incombe déjà la mission de construire et de fonder notre état sur les bases du bien, de la sagesse, de l’intégrité, et de la clarté divine lumineuse”. 

[On trouve dans le Midrach :] “Ya’akov renvoya à Essav le manteau de la Royauté” [Béréchit Rabba 75, 4] ; [et Ya’akov dit à Essav :] “Que mon Maître daigne passer devant son serviteur” [Genèse 33, 14]. C’est comme s’il lui avait dit : “Essav, prends ce manteau, car pour le moment je ne veux pas être roi, la politique est trop sale et je ne veux pas du pourpre royal. Pendant ce temps, c’est toi qui seras le maître, et moi je serai le serviteur”. Il n’est pas digne de Yaakov de se charger des affaires de l’État – dans de telles conditions, ce ne serait ni convenable ni profitable. Nous, le Peuple d’Israël, les fils de Ya’akov, nous ne voulions pas gérer les affaires de l’État à une époque où elles doivent baigner dans le sang, à une époque qui exige une disposition à la méchanceté.

Nous n’avons accepté [de prendre en charge] que les fondements [de l’État], parce qu’il fallait fonder une nation. Nous ne nous sommes pas occupés de politique par plaisir, mais seulement parce que nous avons reçu le commandement de fonder une nation et d’édifier un État, et quand le tronc a été sevré, nous avons été écartés du pouvoir, [nous avons été] dispersés parmi les nations et semés en terre profonde, en attendant qu’arrive le temps de la taille, et que le chant de la tourterelle se fasse entendre dans notre pays. 

Et maintenant, le temps de la taille est arrivé, et le chant de la tourterelle se fait entendre dans notre pays” [Cantique des Cantiques 2, 12 ; et voir ici le premier chapitre]. Maintenant, le temps est arrivé de revenir à une situation saine et normale, où  nous avons un État et où nous nous occupons de politique !


(Retour à la liste des chapitres)