Elle – leur morale – ne lui inspire même plus aucune peur ni aucune frayeur. Pendant de longues années, la peur du châtiment effrayait le public des communautés, c’était la malédiction de l’exil : “Le bruit de la feuille qui tombe les persécutera” [Lévitique 26, 36]. Mais rien de tel dans les dernières générations. Bien sûr, même de nos jours nous ne dénigrons pas complètement la crainte du châtiment, nous remarquons seulement qu’elle ne suffit pas. Le Zohar qualifie la crainte du châtiment de ‘mauvais fouet’. Le Rav notre maître [Orot Hakodech 4, pp. 417-433] explique que la crainte du châtiment n’est un mauvais fouet que lorsqu’on l’utilise seule, mais si l’on s’en sert de temps en temps comme complément, ce n’est pas un mauvais fouet.
Dans ses Lettres [Igrot Haréiya II, lettre 505], le Rav notre maître écrit à propos de la peur du châtiment : “C’est une crainte superficielle, et il est interdit aux Talmidé Hakhamim, qui étudient les secrets de la Thora et sa compréhension profonde, d’en faire un trop grand usage, qu’ils ne doivent y recourir que parcimonieusement, pour corriger le corps et ses pulsions grossières, dans le cas des carences morales et des défauts les plus infamants – que Dieu nous en préserve. Mais le plus important doit être le cœur rempli d’amour saint et de crainte sublime venant du secret des Saints, comme la crainte des anges supérieurs, ‘héros de la force qui accomplissent sa parole’ [Psaumes 103, 20]”.
Aujourd’hui, la génération dans son ensemble n’a plus peur du châtiment, elle ne craint plus de brûler en enfer. D’ailleurs, elle n’a pas peur de brûler dans un tank ! Bien sûr, si quelqu’un n’est influencé que par la peur du châtiment, c’est de cette manière qu’il faut lui parler, car c’est ce langage-là qu’il comprend. L’Autorité de la Sécurité routière dit : “Ne roule pas trop vite pour ne pas avoir d’accident ! Si tu fais une en excès de vitesse, un policier t’arrêtera !” – c’est bien ainsi.
…car son caractère a déjà dépassé le niveau de fonder son mode de vie sur la fuite devant toute peur quelle qu’elle soit, ce ne sont pas les peurs qui décideront de sa vie. Elle n’a pas peur de se tenir seule contre tous, elle mène sa vie en accord avec ses idées et ses sentiments, et peu lui importe qu’on la dénigre ; [une peur] réelle – devant l’ennemi – ou imaginaire – peut-être l’ennemi va-t-il venir, pour le moment il n’y a pas d’ennemi dans le secteur, mais il se peut qu’il arrive ! – physique – d’être frappé et tué – ou spirituelle – d’être excommunié ou envoyé en enfer.
Cette démarche psychologique s’est-elle faite brusquement ? Non. Les malheurs et calamités les plus terribles l’ont endurcie et enhardie, au point qu’aucune peur ni aucune terreur ne l’ébranleront plus. Les malheurs et les calamités trempent le caractère de l’homme pour résister aux tensions de la vie. Dieu n’envoie pas de malheurs à l’homme parce qu’il ne l’aime pas, mais c’est tout le contraire : “C’est celui qu’Il aime que Dieu réprimande” [Proverbes 3, 12].
Le Rav a écrit tout ceci avant la Shoah, et c’est vrai à plus forte raison après la Shoah. Après la Shoah, des philosophes qui aimaient Israël ont dit que le Peuple d’Israël n’avait plus rien à attendre ni à espérer, qu’il était dépouillé de ses forces ; l’idée de la création de l’état s’éloignait de plus en plus. C’est ainsi qu’ils pensaient et ils se trompaient. Les rescapés de la Shoah sortant des camps d’extermination montèrent en Israël dans les navires de l’immigration clandestine, et ils firent la guerre aux Arabes et aux Britanniques. C’est la preuve que nous sommes sortis de ce malheur renforcés, en dépit du caractère épouvantable de l’extermination.
Hitler, maudit soit son nom, demandait dans son livre Mein Kampf : “Quel est le secret de la force de ce peuple, qui est passé à travers tant de malheurs et qui continue de vivre et de se renforcer ?” – Il ne connaissait pas la bonne réponse, mais nous, nous la connaissons, c’étaient les malheurs eux-mêmes. “Plus on l’opprimait, plus il se multipliait et plus il se répandait” [Exode 1, 12] ; “C’est un temps de malheur pour Yaakov, mais il en sortira délivré” [Jérémie 30, 7].
Nous n’avons évidemment aucun intérêt particulier pour les malheurs, et cependant, en surmontant les malheurs nous nous renforçons.