5. Le nerf sciatique et le sens des mitsvot

Une des conséquences de la lutte de Yaakov avec ❛l’homme de la nuit❜ est sa blessure au creux de la hanche, qui entraîne à sa suite le dévoilement de l’interdit de manger le nerf sciatique, et de son motif :

C’est pourquoi les fils d’Israël ne doivent pas manger le nerf sciatique qui est au creux de la hanche jusqu’à ce jour, car Yaakov a été blessé au creux de la hanche, au nerf sciatique.

Genèse 32, 33.

Bizarre. La Thora justifie cette mitsva pour toutes les générations d’Israël par le simple fait qu’un jour Yaakov a été blessé à la hanche… Les mitsvot seraient-elles des pierres du souvenir pour les douleurs et les maladies qui ont affecté nos pères ?

La validité et l’applicabilité des mitsvot ne sont pas issues des Patriarches mais du Sinaï, de Moché notre maître. Cela a aussi une implication au niveau de la halakha :

Cela a été dit au Sinaï, mais cela a été écrit à sa place [dans la Thora] pour qu’on connaisse la raison de l’interdit. Il faut remarquer qu’il n’est pas dit : ❝C’est pourquoi les fils de Yaakov ne devront pas…❞, mais : ❝les fils d’Israël…❞. Or ils n’ont été appelés ❝les fils d’Israël❞ qu’à partir du Sinaï.

Houlin 105b ; 101b.

Et le Rambam dit sur place dans son commentaire de la Michna :

Il faut remarquer le grand principe exprimé dans cette michna par la phrase : ❝Cela a été interdit depuis le Sinaï❞, à savoir que tout ce que nous nous abstenons de faire et tout ce que nous faisons aujourd’hui n’est qu’une mise en pratique des mitsvot du Saint-Béni-Soit-Il que Moché notre maître nous a ordonnées, et non des paroles adressées par le Saint-Béni-Soit-Il aux prophètes qui l’ont précédé… C’est ainsi que pour le nerf sciatique, nous ne suivons pas l’interdiction de Yaakov notre père, mais la mitsva de Moché notre maître.

Les mitsvot viennent en effet de Moché notre maître, mais les middot viennent des Patriarches [Avot 5, 23], notre caractère national vient des Patriarches. Le Saint-Béni-Soit-Il nous a ❛choisis❜ parmi tous les peuples, et ce ❛choix❜ a le sens d’une création. Il nous crée comme un peuple spécial :

Le Saint-Béni-Soit-Il a cinq acquisitions [kinianim] dans son monde…

Avot 6, 9.

…parmi lesquelles Avraham. Et depuis Avraham, en passant par nos pères Itzhak et Yaakov, et en passant par le creuset de fer de l’Égypte, la nature du peuple d’Israël se concrétise de plus en plus. La Thora qui nous est donnée au Sinaï n’est que la révélation de l’âme particulière et du caractère particulier d’Israël, qui dans leur fondement sont apparus chez les Patriarches.

Question :

S’il en est ainsi, pourquoi la Thora n’a-t-elle pas été donnée aux Patriarches eux-mêmes ?

Réponse :

Parce que la Thora vient amender la collectivité entière, et non pas les individus en tant que tels. La correction d’un individu est possible dans une certaine mesure sans la Thora, comme on le voit chez les goyim : il y a aussi parmi les goyim des individus saints et pieux [Rambam, Hilkhot Chemita Véyovel 13, 13], et certains sont même inspirés de Rouah Hakodech [Midrach Tana Dvé Éliahou Rabba 9], ce sont des ❛Justes des Nations❜ [Rambam, Hilkhot Melakhim 8, 11]. Cependant la Thora nous est donnée en tant que peuple, pour la sainteté de la vie collective. Bien-entendu, partir de là on corrige aussi les individus, mais en tant que partie du collectif.

C’est ainsi que la force législative des mitsvot de la Thora vient de Moché du Sinaï, mais leur sens, leur assise intérieure secrète vient des Patriarches.

Moché nous ordonna la Thora, héritage de l’assemblée de Yaakov .

Deutéronome 33, 4.

L’ordre vient de Moché, mais il jaillit et s’installe comme ❛patrimoine❜ dans la nature d’Israël, dans l’héritage de la lignée qui vient de Yaakov, des Patriarches. Comme le dit le Zohar :

Moché de l’intérieur, Yaakov de l’extérieur.

Zohar, rapporté dans Olat Réaïa I, p.100 ; ibid. II, p.449.

Moché ❝de l’intérieur❞ : en donnant les mitsvot il dévoile l’âme intérieure d’Israël, qui prend sa forme et sa consistance dans la vie des Patriarches au contact de la réalité : ❝Yaakov de l’extérieur❞.

On comprend ainsi que la vie des Patriarches, par les événements mêmes qui la composent, est un dévoilement de Thora, qui n’est elle-même qu’un dévoilement de la nature profonde d’Israël qui se révèle dans la vie des Patriarches. C’est pourquoi les péripéties de leur vie sont longuement racontées dans la Thora, car ils sont Thora, et ces événements ont une valeur pour toute la durée de l’histoire du peuple d’Israël :

Les actions des pères sont un signe pour les fils.

Ramban sur Genèse 12, 6.

Ce qui se passe avec les Patriarches se passe aussi avec nous, car les Patriarches, c’est nous. Tout événement de leur vie raconté dans la Thora constitue un élément de notre identité. À partir de là, il est clair que tout ce qui arrive aux Patriarches trouve son expression sous la forme de mitsva pour toutes les générations d’Israël quand la Thora est donnée au Sinaï, car les mitsvot sont un dévoilement de notre personnalité et de notre nature, et les Patriarches et les événements de leur vie sont un dévoilement de leur personnalité qui est aussi la nôtre.

Par conséquent, même la boiterie de Yaakov n’est pas fortuite. Elle décrit un aspect de la personnalité du peuple d’Israël, et appartient à toute sa réalité en tant que peuple. C’est bien ❝l’héritage de l’assemblée de Yaakov❞, c’est la définition de notre nature. C’est la raison pour laquelle cet événement doit se dévoiler par la suite comme mitsva de ❝Moché nous ordonna la Thora❞, et :

C’est pourquoi les fils d’Israël ne mangeront pas le nerf sciatique… car Yaakov a été blessé au creux de la hanche…

Genèse 32, 33.

Question :

Pourquoi la mitsva se manifeste-t-elle par l’interdiction de manger le nerf des animaux ? En quoi sont-ils en rapport avec notre sujet ?

Réponse :

Cette question ne se pose pas seulement pour le nerf sciatique, mais elle concerne également plusieurs problèmes de pureté en rapport avec les animaux. Un homme devenu impur retrouve sa pureté au moyen des cendres de l’incinération de la vache rousse. Un meurtre non identifié est expié pour le peuple d’Israël par l’immolation d’une génisse. Le bouc à Azazel porte sur lui toutes les fautes des Bné-Israël le jour de Yom Kippour, etc. Nous voyons qu’il y a un lien entre l’existence de l’homme et l’existence des animaux. La raison en est que toute la réalité du monde forme un seul organisme – un seul tenant de ❛inerte/végétal/animal/parlant❜ [voir Orot Hakodech II, p.361], chaque catégorie étant liée aux autres par des filaments de vie cachés. Nous et les animaux formons un ensemble d’un seul tenant, comme on le voit dans l’arche de Noah, où tout le monde vivant s’unit en liaison avec Noah.

C’est pourquoi une réparation dans une partie de cette réalité unifiée, chez les animaux, peut amener une réparation et une guérison des faiblesses dans une autre partie, chez l’homme, du fait de la vitalité unique qui coule en tous [comme cela se passe dans le corps de l’homme, qui est un organisme harmonieux : la prise d’un médicament dans une partie du corps amène la guérison dans ses autres parties, car les différentes parties s’influencent mutuellement]. C’est pourquoi [à l’inverse] le déficit vital qui se manifeste dans la hanche de Yaakov trouve son expression dans l’interdiction de manger cette partie des animaux.

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