2. Halte à la contrainte !

En aucune manière il n’est possible de les soumettre par la force, mais seulement de les élever et de les fortifier, de leur montrer devant eux le chemin de la lumière élevée et puissante.

Nous avons abordé plus haut le sujet de la droiture naturelle et du contrôle de soi. Un homme doit suivre d’abord la voie du contrôle de soi, et seulement ensuite celle de la droiture naturelle. Si dès le début du chemin il est à l’écoute de ce qu’il a au fond de lui, et veut le laisser couler naturellement, il n’en sortira qu’un flot de boue et de pulsions malsaines. C’est pourquoi il doit commencer par se contrôler.

Le Rav notre maître nous dit cependant : cette génération n’est pas faite pour la contrainte. C’est une génération conquérante, elle conquiert le désert, elle conquiert le pays. Un conquérant n’est pas un homme obéissant, c’est même tout le contraire. Il n’y a donc pas d’autre choix que d’éduquer la génération selon son inclination naturelle. Et comment s’y prendre ? Nous avons vu que pour atteindre la droiture naturelle il faut d’abord être maître de soi ! C’est le grand problème. Cette génération n’est éminente et juste que dans son potentiel, pas dans ses actes. Certes, il aurait fallu la guider sur le mode du contrôle de soi, mais c’est une chose impossible, parce que son âme exige de passer par la voie naturelle.

Un jour, un homme alla voir un maître de la Kabbale à Jérusalem qui lui dit : “J’ai ici une brochure du Rav Kook intitulée ‘Orot Hatechouva’. On voit que c’est un saint homme qui l’a écrite. Mais premièrement on ne comprend pas tous les mots, et deuxièmement la brochure ne convient pas à cette génération, elle convient au Rav Kook ! Si seulement la génération pouvait appliquer ce qui est écrit dans ‘Cha’aré Techouva’ [livre classique sur la techouva écrit par Rabbénou Yona] !…”. Tout ébranlé, cet homme alla voir notre maître le Rav Tsvi Yéhouda, qui lui dit : “Le Rav mon père a bien compris la génération. On ne comprend peut-être pas ‘Orot Hatechouva’ à la première lecture, mais par une étude persévérante on arrive à le comprendre. Le Rav mon père a bien compris la génération. C’est une génération éminente, et c’est bien cela qui lui convient”. Il faut d’abord comprendre qu’il s’agit d’une génération éminente, et ensuite adapter pour elle des méthodes pour l’orienter et l’éduquer.

Si on arrivait à contraindre cette génération, elle deviendrait incapable de conquérir le désert et le pays, elle serait transformée en serpillière ! La génération a les scories de la bravoure, à savoir l’effronterie associée à l’approche du Messie, celle du ‘ne me dis pas ce que je dois faire !’. Mais la soumission à la Divinité a aussi des scories, c’est l’oisiveté qu’on rencontre chez les gens qui se contentent de dire tout le temps : avec l’aide de Dieu” et si Dieu veut”. Une femme dit à son mari : “Nous n’avons rien à manger, va travailler !”, et le mari se contente de répondre : “avec l’aide de Dieu…” – c’est de la paresse !

Évidemment, une génération qui s’éveille à la renaissance traîne encore avec elle de la boue. Mais même si tu n’es pas d’accord, tu ne réussiras pas à contraindre cette génération. Bien sûr il y a des exceptions, des individus à qui une éducation contraignante peut convenir, mais nous parlons ici de la génération de manière globale. Tu ne crois pas que c’est une génération rebelle ? Alors va voir ce qui s’est passé dans les dix ans qui ont suivi la rédaction de Maamar Hador, et la part qu’ont prise les Juifs à la révolution russe de 1917, après deux mille ans où ils sont restés peureux ! Puis leur participation à la guerre dans l’Armée Rouge, la semence à partir de laquelle s’est développée la Hagana. Cette génération s’est révoltée aussi bien contre les Britanniques que contre les Rabbanim et contre tout-le-monde. C’est une génération qui fait ce qu’elle veut, elle ne t’écoutera pas.

Avant la création de l’état, il y avait des parents qui appelaient leur fils ‘Nimrod’. Pourquoi donner à son enfant le nom d’un impie ? Mais non ! Ils ne voulaient pas l’appeler comme le Nimrod de la Bible, mais pour dire : “nimrod bébritim” [= “révoltons-nous contre les Britanniques”] ! Tu vois donc qu’il n’y a pas d’autre choix que de donner à cette génération une éducation suivant sa tendance naturelle.

En l’année 5671/ 1911, le Rav notre maître écrivit dans une lettre au Rav Ya’akov Moché Harlap [Igrot Haréaïa II, lettre 378, p. 36] : “Je dois écrire un livre sur la techouva par la voie de la droiture naturelle et non de la contrainte. Et comme la source de ces idées se trouve dans les secrets de la Thora, j’ai du mal à déterminer combien il faut dévoiler et combien il faut cacher. Si mon langage vole trop haut les gens resteront avec leur boue, et s’il est trop bas il n’aura aucun impact sur la génération. Ce n’est pas facile de trouver le bon dosage.” Cela fit hésiter le Rav notre maître pendant plus de dix ans.

Certes, nous ne sommes pas encore au niveau de la droiture naturelle, mais il faut y aspirer. Il faut avoir des aspirations élevées, et des objectifs intermédiaires plus proches et à notre portée.

En cela la main de Dieu nous vient en aide. Tout ce que nous avons dit des changements intérieurs des âmes, qui nous oblige à changer toute notre stratégie d’éducation, tout cela vient de la main de Dieu. Elle est la cause des causes : la cause est que la Knesset Israël s’est éveillée pour renaître, et la cause des causes est que le Maître du monde a décidé de délivrer son peuple.

Selon l’avis de Rabbi Éliézer , la Délivrance est dépendante de la techouva, c’est-à-dire que nous sommes les acteurs de la Délivrance. Selon l’avis de Rabbi Yéhouchoua, la Délivrance ne dépend pas de la techouva, c’est un processus divin. Voilà comment il faut comprendre cette opinion : si le Maître du monde nous délivre sans que nous ayons fait techouva, nous reviendrons à la situation de l’époque du Premier et du Deuxième Temple. Devrons-nous alors être exilés de nouveau ? Le Maharcha répond à cette objection : le Saint-Béni-Soit-Il nous obligera à faire techouva, à savoir qu’il mettra dans notre cœur le désir de revenir sur notre Terre. Et on peut ajouter qu’Il nous mettra dans des situations qui nous feront comprendre que ce retour est impossible sans Thora.

Nous voyons que dans la profondeur de son âme, la Knesset Israël s’est quasiment guérie de la part la plus importante des maladies morales qui l’avaient affectée, et qui s’étaient traduites par les fautes des premières générations. Les maladies morales, dont la principale est la haine gratuite, ont été guéries. Le Rav notre maître écrit dans Orot Israël [6, 4] que les hommes de la Grande Assemblée avaient certes réussi à écraser le penchant à l’idolâtrie, mais que ce faisant ils l’amenèrent à faire effraction sous une autre forme, la haine gratuite, qui est le même penchant sous un autre visage.

Dieu nous a guéris. “À cause de nos fautes nous avons été exilés de notre Terre”, et grâce à la guérison de nos fautes nous revenons sur notre Terre. Le retour est une réalité comme en témoignent le retour à Sion, la construction du pays, le signe évident de la fin, la création de l’état, les guerres d’Israël. C’est une réalité concrète qui prend naissance dans un changement intérieur : la nation s’est guérie de ses maladies. L’exil a été un ‘hôpital’. Si quelqu’un est hospitalisé et qu’il est en voie de guérison, on peut le laisser sortir. Certes, il ne peut pas encore courir, il lui reste à se rétablir complètement, mais au fond il est guéri. C’est ce diagnostic ‘de l’intérieur’ qui est le plus important.

Pour illustrer ceci par un exemple, prenons deux hommes qui arrivent aux urgences de l’hôpital. L’un a l’air normal et l’autre est couvert de sang. On envoie le premier en hâte en salle d’opération, et on dit au second : « va au lavabo laver tes plaies ». Pourquoi? Parce que le premier a un problème très grave au cœur qui ne se voit pas du tout de l’extérieur, alors que l’autre n’a que des blessures légères.

Quelquefois, la situation de la nation a une apparence normale. Au temps du Deuxième Temple par exemple, les Juifs s’occupaient de Thora et de mitsvot de manière exemplaire, mais à l’intérieur, leur cœur était sur le point de s’effondrer sous les coups de la haine gratuite. À l’opposé, on peut trouver une génération comme celle d’aujourd’hui, où les individus ont l’apparence de fauteurs et de pervers vus de l’extérieur, alors qu’à l’intérieur leur cœur est guéri. Pour faire ce diagnostic, il est nécessaire d’avoir un regard pénétrant qu’on peut obtenir par la prophétie, ou par l’étude. Une connaissance de la situation en profondeur est indispensable.