En aucune manière il n’est possible de les soumettre par la force, mais seulement de les élever et de les fortifier, de leur montrer devant eux le chemin de la lumière élevée et puissante.
Nous avons abordé plus haut le sujet de la droiture et de la maîtrise. Un homme doit suivre d’abord la voie de la maîtrise, et dans un deuxième temps la voie de la droiture naturelle. Si dès de début il écoute son intériorité et veut ‘laisser couler’, ce qui coulera sera un flot de boue et de pulsions. C’est pourquoi il doit d’abord se contrôler.
Le Rav notre maître nous dit : cette génération n’est pas faite pour la contrainte. C’est une génération conquérante, elle a conquis le désert, elle a conquis le pays. Un conquérant n’est pas un homme docile, c’est même tout le contraire. Il n’y a donc pas d’autre choix que d’éduquer la Génération selon son inclination naturelle. Et comment s’y prendre ? Eh bien, avant d’arriver à la droiture, il faut être soumis ! C’est une complication majeure, car cette génération n’est supérieure et juste qu’en potentiel, et pas en actes. Il conviendrait donc de l’éduquer par la voie du contrôle de soi, mais il n’y a aucune possibilité de le faire, car son âme exige la voie de la droiture.
Un homme alla voir un maître de la Kabbale à Jérusalem, qui lui dit : “J’ai ici une brochure du Rav Kook intitulée ‘Orot Hatechouva’. On voit que c’est un saint homme qui l’a écrite. Mais premièrement on ne comprend pas tous les mots, et deuxièmement la brochure ne convient pas à cette génération, elle convient au Rav Kook ! Si seulement la Génération pouvait appliquer ce qui est écrit dans ‘Cha’aré Techouva’ [livre classique sur la techouva écrit par Rabbénou Yona] !…”. Tout ébranlé, cet homme alla voir notre maître le Rav Tsvi Yéhouda, qui lui dit : “Le Rav mon père a bien compris la Génération. On ne comprend peut-être pas ‘Orot Hatechouva’ à la première lecture, mais par une étude persévérante on arrive à le comprendre. Le Rav mon père a compris la Génération. C’est une génération supérieure, et c’est bien cela qui lui convient”. Il faut comprendre avant tout que c’est une génération supérieure, puis adapter à elle des voies d’éducation et de guidance.
S’il se pouvait que tu soumettes cette génération, elle ne pourrait plus conquérir le désert ni le pays, elle serait transformée en serpillière ! La Génération a les à-côtés de la bravoure, à savoir l’arrogance des ‘talons du Messie’, du ‘ne me dis pas ce que je dois faire !’ Mais la soumission à la Divinité a aussi ses à-côtés, comme l’oisiveté de ces gens qui disent tout le temps : “avec l’aide de Dieu”, “si Dieu veut”… Une femme dit à son mari : “Nous n’avons rien à manger, va travailler !”, et le mari lui répond : “avec l’aide de Dieu…” – c’est de la paresse !
Il est évident qu’une génération qui s’éveille à la résurrection traîne avec elle de la boue. Mais même si tu n’es pas d’accord, tu ne réussiras pas à contraindre cette génération. Il est certain qu’il y a des exceptions dans la Génération, à qui la voie de la contrainte peut convenir, mais nous parlons ici de la Génération dans sa généralité. Tu ne crois pas que la Génération est rebelle ? – Va voir, dix ans après la rédaction de cet article, la part qu’ont prise les Juifs russes à la révolution bolchevique, après deux mille ans où ils sont restés peureux ! Après cela, ils ont encore fait la guerre dans l’Armée Rouge, le germe d’où a poussé la Haganah. Cette génération s’est révoltée aussi bien contre les Britanniques que contre les Rabbanim et contre tout le monde. C’est une génération qui fait ce qu’elle veut, elle ne t’écoutera pas.
Avant la création de l’État, il y avait des parents qui appelaient leur fils ‘Nimrod’. Pourquoi donner à son enfant le nom d’un impie ? – mais non, ils ne voulaient pas l’appeler comme le Nimrod de la Bible, mais pour dire : “nimrod bebritim” [= “révoltons-nous contre les Britanniques”] ! Tu vois bien qu’il n’y a pas d’autre choix que de donner à cette génération une éducation qui suive sa tendance naturelle.
En l’année 5671/ 1911, le Rav notre maître écrivit dans une lettre au Rav Ya’akov Moché Harlap [Igrot Hareïya II, lettre 378, p. 36] : “Je dois écrire un livre sur la techouva par la voie de la droiture naturelle et non celle du contrôle de soi. Et comme la source de ces idées se trouve dans les secrets de la Thora, j’ai du mal à déterminer combien il faut dévoiler et combien il faut cacher. Si mon langage vole trop haut, les gens resteront dans leur boue, et s’il reste trop bas, il n’aura pas d’impact sur la Génération. Ce n’est pas facile de trouver le bon dosage.” Ceci fit hésiter le Rav notre maître pendant plus de dix ans. Certes, nous ne sommes pas encore au niveau de la droiture, mais il faut y aspirer. Il faut avoir à la fois des aspirations élevées, et des objectifs intermédiaires plus proches et plus accessibles.
En cela la main de Dieu nous vient en aide. Tout ce que nous avons décrit des changements intérieurs dans les âmes, qui nécessite un changement de toute notre stratégie éducative, vient entièrement de la main de Dieu qui est la cause des causes. La cause [de ces changements] est que la Knesset Israël s’est éveillée pour renaître, et la cause des causes est que le Maître du monde a décidé de délivrer son peuple.
Selon l’avis de Rabbi Éliézer, la Délivrance dépend de la techouva, c’est-à-dire que nous sommes les acteurs de la Délivrance. Selon l’avis de Rabbi Yéhochoua, la Délivrance ne dépend pas de la techouva, c’est un processus divin. Cette opinion doit être comprise : si le Maître du monde vient nous délivrer alors que nous n’avons pas encore fait techouva, nous serons revenus à la situation du Premier et du Deuxième temples, et nous serons encore une fois passibles de l’exil !? Le Maharcha répond : le Saint-Béni-Soit-Il nous obligera à faire techouva, c’est-à-dire qu’Il placera dans notre cœur la volonté de revenir sur notre terre ; et on peut dire encore que le Maître du monde nous mettra dans des situations qui nous feront comprendre que ce n’est pas possible sans Thora.
Et nous voyons que dans la profondeur de son âme, la Knesset Israël s’est quasiment guérie de la plupart des maladies morales qui avaient causé les fautes des premières générations. Les maladies morales, dont la principale est la haine gratuite, ont été guéries. Le Rav notre maître écrit dans Orot Israël [6, 4] que les hommes de la Grande Assemblée avaient certes réussi à éradiquer le penchant à l’idolâtrie, mais ceci amena le penchant à refaire surface sous une autre forme, la haine gratuite, qui est le même penchant sous un autre visage.
Dieu nous a guéris. “À cause de nos fautes nous avons été exilés de notre terre”, et à cause de la guérison de nos fautes nous revenons au pays. Ce retour est une donnée effective, dont témoignent le retour à Sion, la construction du pays, le signe évident de la fin, la création de l’état, les guerres d’Israël. C’est une réalité concrète qui prend naissance dans un changement intérieur : la nation s’est guérie de sa maladie. L’exil a été un ‘hôpital’. Si quelqu’un est hospitalisé, s’il est en voie de guérison on peut le laisser sortir. Certes, il ne peut pas encore courir, il lui reste à se rétablir complètement, mais à l’intérieur il est guéri. C’est ce diagnostic ‘de l’intérieur’ qui est essentiel. Par exemple, deux hommes arrivent aux urgences de l’hôpital, l’un a l’air normal et l’autre est couvert de sang. On envoie le premier en hâte en salle d’opération, et on dit au second : « va au lavabo laver tes plaies ». Pourquoi? Parce que le premier a un problème grave au cœur qui ne se voit pas de l’extérieur, alors que l’autre n’a que des blessures légères.
Quelquefois, la situation de la nation a une apparence normale. Au temps du Deuxième Temple par exemple, les Juifs s’occupaient de Thora et de mitsvot de manière exemplaire, mais à l’intérieur, leur cœur allait s’effondrer à cause de la haine gratuite. À l’opposé, il peut exister une génération comme aujourd’hui, où de l’extérieur les gens ont l’air de fauteurs et de pervers, alors qu’à l’intérieur leur cœur est guéri. Pour faire ce diagnostic, il est nécessaire d’avoir un regard pénétrant, auquel on peut avoir accès par la prophétie ou par l’étude, et il est indispensable d’avoir une connaissance approfondie de la situation.