Pessah’ – le monde de la connaissance


Par le Rav Chlomo Haïm Hacohen Aviner – chelita. 


A la fête de Pessa’h, une attention toute particulière est donnée aux enfants, puisqu’ils participent activement au Séder, en posant notamment des questions. La Hagada elle-même mentionne quatre ‘fils’ : “Pour quatre de nos fils la Thora a parlé : le sage, celui qui attend une réponse. Le méchant, celui qui refuse la réponse dès qu’est formulée la question. Le simple, celui qui simplement interroge. Et celui qui ne sait même pas que se pose une question”.

La liberté

La Thora explique en effet la mitsva particulière que nous accomplissons le soir du Séder : “Tu donneras alors cette explication à ton fils : ‘C’est dans cette vue que Dieu a agi en ma faveur, quand je suis sorti d’Egypte’” [Exode 13, 8] ; “Tu observeras cette institution en son temps, à chaque anniversaire” [ibid. 10]. Raconter à son fils la sortie d’Égypte est, avec la matsa, pain azyme, l’un des deux commandements que la Thora nous ordonne d’observer lors du Séder de Pessah’.

Mais Pessah’ est avant tout la fête de la liberté du peuple juif. S’il en est ainsi, l’essentiel ne serait-il pas dans l’action plutôt que dans la parole ? Non, car la liberté doit tout d’abord s’inscrire dans le monde intérieur de la personne grâce à la compréhension acquise à travers l’étude. Bien entendu, il existe un côté statutaire dans la liberté : “Je n’ai pas de maître et je fais ce que je veux”. Mais lorsque la liberté physique est acquise, se pose encore le problème de la liberté intérieure. En effet, l’individu peut être physiquement libre et se trouver cependant en état de servitude psychologique, asservi aux ‘modes’ des autres. Il peut également être esclave de ses pulsions intérieures et de ses instincts.

Bien que l’homme ait été créé libre, cette liberté est une potentialité. Bien qu’elle soit le don le plus précieux de l’homme, la liberté doit être conquise par l’effort, pour devenir une réalité concrète dans la vie humaine. D’une manière générale, rien n’est donné d’emblée à l’être humain, sinon sa vie physique. Mais tout ce qui fait la supériorité de l’homme sur l’animal : son monde intérieur, psychologique, intellectuel et spirituel, doit être conquis de haute lutte. Donc, la liberté de statut doit être aussi liée à la liberté intérieure de la personne. Ce processus de libération intérieure que nous appelons la techouva, à savoir le repentir, ou plutôt le retour à Dieu, est un processus nourri par l’étude et une compréhension profonde, qui peu à peu amène l’homme à goûter de plus en plus à la liberté.

La parole et l’action

Ainsi, dans la prière du Chemoné Esré, les Dix-Huit Bénédictions, nous demandons à Dieu de nous accorder tout d’abord la connaissance, et ensuite la techouva [Traité Méguila, 17b]. Pour que cette liberté obtenue à Pessah’ soit renouvelée et demeure en nous comme un bien éternel, nous devons nous engager dans cette réflexion durant la nuit de Pessah’. D’après un anagramme du Ari, le célèbre kabbaliste, le nom même de Pessah’ [‘Pé’ = bouche + ‘sah’ = ‘qui parle’] signifie ‘une bouche qui parle’. Il nous faut donc parler de la sortie d’Egypte.

Mais, parole ou action ? La parole est première, car c’est par elle que l’on peut susciter une révolution intérieure susceptible de rendre l’individu amoureux de liberté et prêt à accepter le prix de cette liberté.

Car la liberté a un prix. Tel est le symbole de la colombe de Noé, que l’on considère à tort comme le symbole de la paix, puisqu’à cette époque il n’y avait pas de guerre. Cette colombe est revenue vers l’arche, une feuille d’olivier dans le bec. Or, font remarquer nos Sages, les colombes ne se nourrissent pas de feuilles d’olivier qui sont trop amères. La colombe a cependant préféré manger de cette âpre nourriture et être libre, plutôt que de rejoindre tous les autres animaux dans l’arche de Noé et y recevoir sa nourriture, mais être privée de liberté. La colombe est donc prête à payer le prix de sa liberté et à en subir ‘l’amertume’.

Pour mener le peuple vers la liberté, Moïse devait être capable de s’adresser au peuple pour éveiller en chacun le désir de liberté et le courage de la conquérir. Mais Moïse déclare : “Je ne suis pas habile à parler. J’ai la bouche pesante et la langue embarrassée” [Exode 4, 10]. Non pas parce qu’il bégayait, mais parce qu’il avait des difficultés à s’exprimer au niveau des gens auxquels il s’adressait. Il était en effet ‘Ich ha-Élohim’, un homme divin. Dieu décide alors : “C’est Aharon, ton frère, qui parlera. Tu transmettras les paroles à sa bouche. Lui, il parlera pour toi au peuple ; de sorte qu’il sera pour toi un organe et que tu seras pour lui un inspirateur” [Exode 4, 14-16]. Par la suite, la Thora ne cessera de répéter : “Vayédaber Moché”, “Moïse parla”, et le livre entier du Deutéronome est un long discours de Moïse, prononcé sans interruption. L’homme divin acquerra donc bien vite cette faculté et se révélera un porte-parole digne de sa mission.

La parole doit en effet s’adresser dans un langage particulier qui mobilise la volonté : c’est ce que nous appelons l’étude de la Thora, qui débute par une réflexion et éveille la conscience de l’individu. Cette ‘secousse’ de la volonté ne sera pas déclenchée par le seul contenu de la connaissance, mais par sa forme et son langage. Ce sont les deux conditions nécessaires à une modification profonde : le contenu et la forme du discours. Ainsi, tout en restant fidèles au contenu de la Thora, nos Sages l’ont exprimé de façon différente car chaque génération diffère de la précédente. De même, on ne peut tenir le même langage à tous, car les impacts sur la personnalité ne sont pas identiques. Donc, la connaissance doit être transmise de façon telle qu’elle déclenche la volonté de faire le bien, construisant alors la personnalité de l’individu.

Contrairement à la science théorique qui peut être extérieure à la personnalité, la Thora nous appelle à un enseignement qui pénètre au plus profond de l’être. Il ne s’agit pas de parler de la sortie d’Egypte comme on évoque une curiosité archéologique appartenant à un passé lointain et nostalgique, mais d’éveiller et de mobiliser cette puissance intérieure qui permet de continuer dans le présent et le futur ce processus de libération.

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[In : ‘Le Verger de Joël – pensées sur la Paracha”, Jérusalem 5754 (1994), pp. 110-112.]