Par le Rav Chlomo Haïm Hacohen Aviner – chelita – en 5757 (1997).
1. La Techouva : a priori ou a posteriori ?
D’après nos Sages, la Techouva aurait été créée avant le monde, avant toute présence humaine. A première vue, puisqu’il n’est de faute sans présence humaine, la Techouva semblerait inutile.
Mais surtout, l’homme a été créé faillible, tel qu’il est susceptible de faire des erreurs et de fauter. “Il n’existe pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais fauter”. La Thora ne cache pas qu’à plusieurs reprises, Moïse lui-même a commis des erreurs ; le peuple juif s’est rendu coupable d’une faute extrêmement grave avec le veau d’or. Aucun être n’est exempt d’erreurs, d’où la nécessité de la Techouva, sorte d’issue de secours. Selon un adage célèbre : “C’est la Loi qui créé la faute”, autrement dit, sans Loi, sans mitsvot, sans interdit, il n’y aurait pas de faute ! Grande habileté du fondateur de christianisme auteur de cette phrase. Mais le Mal est le Mal, ce n’est pas la Loi qui l’engendre. Le Mal est Mal dans son essence, que nous le comprenions ou non. Il est admis que le vol est de l’ordre du mal, il nous faut comprendre que profaner le Chabbat relève également du mal.
2. Le mérite du ‘Ba’al Techouva’
La Techouva, cet acte qui nous permet de nous décharger de tout ce Mal qui nous accable sans relâche permet une purification. Mais la Techouva est plus que cela.
Le terme de Techouva, intraduisible en français si ce n’est pas le terme de ‘Retour’, comporte un relent négatif. S’il s’agit d’un retour, c’est qu’on a fait fausse route et qu’il faut revenir sur soi, réparer ce qu’on a détérioré. Si on peut détériorer, on peut également réparer. C’est donc un processus a posteriori de l’âme. Des dégâts ayant été commis, il importe de restaurer la situation telle qu’elle était au départ. Certes, il aurait été préférable qu’il n’y ait pas d’erreur, de faute et que la Techouva ne soit pas nécessaire. C’est donc après coup que les dégâts ayant été commis, il faut s’efforcer de les réparer.
Nos Sages ont précisé que “là où se tiennent les Ba’alé Techouva, les Tsadikim guemourim ne sauraient se tenir”, conférant ainsi un avantage au Ba’al Techouva par rapport à celui qui est toujours demeuré dans la voie droite. Cette opinion est en fait l’objet d’une controverse dans le Talmud. Selon l’un des Sages, le Ba’al Techouva est effectivement supérieur au Tsadik gamour, au Juste parfait, alors que d’autres présentent une opinion contraire en affirmant que “toutes les promesses des prophètes ne concernent que le Ba’al Techouva ; quant à ce qui attend le Tsadik gamour, aucun œil ne l’a contemplé”, pas même l’œil prophétique qui perçoit le lointain de l’histoire mais est dépassé par la réalité du Tsadik gamour [Berakhot 34b]. Ce qui signifierait que le monde que les prophètes nous promettent et nous présentent, c’est un monde qui appartient aux Ba’alé Techouva et qui est construit par eux. Mais le monde des Juifs intègres est un autre monde.
Une controverse dans le Talmud, ne signifie pas que les propos soient divisés entre le vrai et le faux, entre lesquels il faudrait choisir. De toutes les controverses qui surgissent dans le Talmud, il est écrit : “celles-ci et celles-ci sont des paroles du Dieu vivant” [‘Erouvin 13b]. La réalité est complexe, elle présente différents aspects, différentes facettes, différentes lumières. Chaque opinion fait apparaître une facette de la réalité. Chacun perçoit une couleur, un aspect, et ce sont les propos de tous nos Sages ensemble qui constituent la vérité.
Et ce sont les propos de tous nos Sages dans leur ensemble qui forment la réalité. Il est bien évident par ailleurs que chacun des Sages connaissait l’opinion de l’autre, d’autant qu’elles procèdent de la même argumentation. Elles se fondent d’ailleurs toutes deux sur le même verset.
3. Le Ba’al Techouva peut-il rivaliser avec Tsadik Gamour ?
“Chalom Chalom, au lointain et au proche” [Isaïe 57, 19]. Il s’agit apparemment du Ba’al Techouva qui, de lointain qu’il était, est devenu proche, et dont les efforts méritent donc une estime particulière. Il n’y a en effet pas grand mérite à demeurer toujours proche.
Mais on peut comprendre autrement ce verset : le lointain et le proche serait celui qui est toujours resté éloigné du mal, bien qu’il en ait été proche puisque “le mal est tapi à la porte” [Genèse 4, 7]. Le mal guette chacun de nous, même le plus grand juste est toujours guetté par la chute. Adam lui-même, le premier homme qui se trouvait dans le jardin d’Eden au summum de la perfection physique et spirituelle, a trébuché. Or, ce Tsadik reste toujours à distance du mal bien que le mal soit proche. Il n’est pas très judicieux de trébucher et de se relever pour recommencer. Ce qui est précieux c’est de ne jamais trébucher, de rester toujours propre et pur. Telle est la valeur du Tsadik gamour, toujours resté loin du mal, sans l’avoir jamais effleuré.
Mais d’un autre côté, l’avantage que présente le Ba’al Techouva, c’est son effort pour se hisser du précipice dans lequel il est tombé. Le Ba’al Techouva est un homme en mouvement, non statique, qui se donne une dynamique de l’effort. Il peut certes n’être pas totalement pur, être encore souillé de boue, mais cela ne lui retire pas son titre de Ba’al Techouva, car contrairement à l’homme statique qu’est le Tsadik gamour qui conserve en permanence la même situation morale et spirituelle d’équilibre, c’est un homme en mouvement, en progrès.
4. La valeur absolue de la Techouva
Peut-on être à la fois Tsadik gamour et Ba’al Techouva ? Le Rav Kook, dans son célèbre livre ‘Les lueurs du retour’ [Orot Hatechouva], répond par l’affirmative dans la mesure où la Techouva n’est pas seulement un mouvement négatif, un mouvement a posteriori qui nous hisse du mal vers le bien, mais est également un mouvement qui nous hisse de la petitesse à la grandeur. On peut être un homme ‘bien’, qui n’a jamais rient fait de mal, tout en étant petit alors qu’on aurait des potentialités pour être beaucoup plus grand [Orot Hatechouva 14, 1]. Cette insuffisance nécessite elle aussi une Techouva. Le Tsadik gamour, sans bavures, peut lui aussi s’élever plus haut. D’après le Rav Kook, ce deuxième type de Techouva serait plus authentique que le premier. Le monde n’est pas destiné à être jusqu’à la fin des temps dans la faute, ou dans l’erreur. Le premier homme n’était pas destiné à faire une faute, la ‘’avéra’ [transgression] n’avait rien d’inéluctable. Nous sommes certains qu’un jour notre monde sera un monde sans faute, sans erreurs, pour certains, ce sera un monde statique, achevé, pour d’autres, ce sera un monde qui commence. Tout notre travail actuel, qui consiste à nous hisser des méandres du mal et à pénétrer dans le bien, est une propédeutique consistant à remettre les choses en état, à revenir à la situation d’Adam le premier homme avant la faute, et à pouvoir commencer à travailler profondément, à s’élever et pas seulement à essayer de sortir du précipice. Cette Techouva du petit vers le grand est la Techouva authentique et nous nous servons pour l’instant de ce mouvement de l’âme également pour réparer les dégâts.
Mais la Techouva n’est pas forcément un renversement, elle peut être cheminement continuel. D’après la lecture de la Kabbala, la Techouva est ce dynamisme divin qui existe à l’intérieur de l’homme et le pousse toujours plus haut. C’est le retour, pas forcément vers ce qu’il était dans son cheminement individuel avant d’avoir trébuché, c’est le retour vers ce que l’homme était dans la pensée du Créateur, vers ce qu’est l’homme dans son idéalisme le plus pur.
5. ‘Retour’ à l’idéal de la Création, la Techouva est un mouvement ascensionnel
Nos Sages nous racontent que le fœtus dans le ventre de sa mère a une connaissance globale du monde ; cet être qui n’est pas encore né, voit toutes les réalités, connaît toute la Thora, et une fois sorti dans ce monde-ci, un ange se charge de lui faire tout oublier [Nida 31]. Il s’agit là d’une description de l’homme dans son essence la plus profonde, dans sa pureté d’origine. A partir du moment où l’homme apparaît à la réalité, le contact avec la complexité de la vie humaine lui fait immédiatement oublier ce qu’il est.
La Techouva est le retour à notre essence, à ce que nous étions avant d’être. C’est vrai que nous utilisons la Techouva pour nous élever au-dessus des flots où nous sommes engloutis et en sortir pour respirer. La Techouva sert aussi à opérer ce passage du mal au bien. Mais la Techouva est essentiellement un mouvement continuel, infini, jamais achevé puisqu’on n’a jamais fini de revenir à son être le plus profond.
Nos Sages disent : “Les étudiants de la Loi n’ont pas de repos ni dans ce monde-ci ni dans le monde futur ; ils vont de combat en combat” [Berakhot 64].
De même que dans ce monde-ci nous luttons afin d’atteindre le monde futur, dans le monde futur, nous lutterons pour atteindre un monde ‘plus que futur’. ‘Monde futur’ est une traduction imprécise et inexacte du concept de ‘’Olam haba’, le ‘monde qui vient’. Après cette étape, d’autres mondes surviennent sans cesse.
Il est évident que le monde dans lequel nous vivons actuellement comporte un certain nombre de problèmes et est loin d’être déjà conforme au projet divin ; notre rôle consiste précisément à faire en sorte de transformer ce monde-ci en monde qui vient. Pour l’instant le monde qui vient nous semble le sommet de la perfection, mais lorsque nous y serons, nous verrons qu’il y a une perfection supérieure.
D’après le Maharal, le terme ‘parfait’ ne saurait s’appliquer à l’homme. L’homme est un être qui tend perpétuellement vers la perfection, ‘en devenir’ dirait Bergson. La Techouva est ce moteur universel qui fait progresser les mondes, et progresser l’homme. Le monde, dit Rabbi Haïm Luzzatto, auteur de ‘Messilat Yecharim’ [‘Le Sentier de Rectitude’] a dit dans un autre livre (‘Les cent trente huit ouvertures de sagesse’) : “Le monde a été créé très bas, mais il peut monter très haut”. Dieu a créé le monde le plus bas qui puisse être créé, ce sont les abîmes les plus profonds qui soient.
Il y a des millénaires, les hommes ne s’étaient livrés à de telles cruautés qu’à l’époque de Noah, et Dieu dut exterminer l’humanité toute entière. L’humanité d’avant le Déluge et celle d’après ne peuvent être comparées. Avant le Déluge, c’était le règne de la violence et du vol.
6. La Techouva est la force essentielle qui élève le monde vers son but
Le monde a été créé très bas mais il a été doté de forces ascensionnelles. La Techouva, loin d’être dans son principe un processus individuel, est une sorte de greffe sur les forces ascensionnelles qui existent dans le monde. La Thora a précédé la création du monde. S’Il l’avait voulu, Dieu aurait pu créer un monde parfait, mais Il a voulu créer des êtres imparfaits qui deviennent parfaits, des êtres ‘peccables’ qui deviennent impeccables. Par nos erreurs nous tombons encore plus bas et nous remontons la pente. Telle est la Techouva au sens simple. L’autre sens est le mouvement ascensionnel de l’homme et des mondes. Monter sans arrêt pour revenir à l’homme d’avant la faute, à l’homme du projet divin.
Rabbi Chlomo Alkabetz auteur du Lekha Dodi, nous enseigne : “Ce qui est en fin d’acte se trouve au départ de la pensée”. Il y a des instants où un homme goûte une saveur lointaine, une saveur de pureté, de droiture, de bonté, c’est une étincelle d’anticipation. Il y a une bénédiction qu’on prononçait pour les élèves qui terminaient leur cycle d’études à la yéchiva : “Puisses-tu voir ton monde de ton vivant” [Berakhot 17]. Puisses-tu de ton vivant goûter un peu de cette saveur ultime qui t’attend à la fin des temps. Donc la Techouva est la nature même de la vie humaine, à savoir : progresser, réparer, construire.
A un Romain qui lui demandait : “Que vaut-il mieux, l’œuvre divine ou l’œuvre humaine ?”, le Sage répondit : “l’œuvre humaine”, et expliqua au Romain interloqué que le pain est préférable au blé et le vêtement au lin. Le Romain fut convaincu, mais la question qu’il voulait en fait lui poser concernait la circoncision. Comment se permettre d’intervenir pour modifier l’œuvre divine ? Il s’agissait en fait de la même réponse : “Dieu a créé pour que [l’homme] agisse” [Genèse 2, 3]. Tout ce que Dieu a créé doit être fait ou parfait par nous. Il est vrai que Dieu a créé un monde parfait en devenir mais il veut que le monde atteigne les stades ultimes de la perfection à travers nous.
7. Conclusion : la mitsva de Techouva
Nos Sages nous veulent “associés, partenaires de Dieu dans l’œuvre de la création”.
[In : ‘Le Souffle de Vie”, Jérusalem 5757 (1997), pp. 13-17.]