– par le Rav Éliézer Melamed – chelita.
Sa personnalité
Il est rare que le monde ait le privilège de voir apparaître un homme de l’envergure du fondateur du sionisme religieux, le Rav Avraham Itzhak Hacohen Kook. Il y a eu beaucoup de géants de Thora dans les dernières générations, mais aucun n’avait une stature comparable à celle du Rav Kook. Son génie était stupéfiant – il n’y avait aucun domaine de la Thora qu’il n’eût pas maîtrisé. Sa mémoire était étonnante – de grands érudits ont rapporté que quel que soit le sujet de Thora qu’ils discutaient avec lui, on aurait dit qu’il venait de l’étudier en profondeur. Non seulement il était versé dans le Talmud et la halakha, de manière percutante et innovante, mais il était chez lui dans tous les domaines de la pensée juive : la Bible, le Midrach, la philosophie et la mystique. De plus il n’avait pas son égal en piété et en rectitude, et son existence entière était dévouée au service du Créateur.
Le Rav Kook était une figure puissante, qui se battait pour la vérité et qui se mettait toujours en première ligne pour défendre la Thora et la justice. Il n’est pas rare qu’une brillance peu commune s’accompagne d’un caractère étrange, mais le Rav Kook avait un contact amical et agréable, au point que tous ceux qui le connaissaient étaient captivés par son caractère chaleureux. Il alliait intellect et sensibilité, rigueur et poésie. Il possédait une riche vie intérieure en même temps qu’il était très actif au plan spirituel et dans la vie publique, au nom de la Thora, de la nation et de la Terre.
Que tous ces talents puissent coexister harmonieusement dans la même âme est en soi un phénomène remarquable.
Le respect de ses contemporains
Les qualités ci-dessus n’étaient pas seulement reconnues par les élèves du Rav Kook. Les grands maîtres de la Thora de l’époque en ont également attesté.
Rabbi Isser Zalman Meltzer dit une fois au fameux Rabbi Haïm Ozer Grodzinsky de Vilna : “Nous étions tous deux considérés comme des géants de la Thora, jusqu’à ce que nous arrivions à la porte du bureau du Rav Kook”…
Lorsqu’il participait à des voyages de rabbins en Israël ou à l’étranger, d’autres grands rabbins l’accompagnaient : Rabbi Epstein, doyen de la yéchiva de Slobodka, et le Rabbi de Kovno, auteur de ‘Dvar Avraham’… Mais il était clair que le Rav Kook était le plus éminent d’entre eux.
Le Rabbi de Gour admit que le Rav Kook se rappelait les écrits de son père, le ‘Sfat Emet’, mieux que lui-même. Le Kabbaliste hors pair, auteur de ‘leChem Chevo veAhlama’ [le Rav Chlomo Éliachiv], disait du Rav Kook qu’il n’y avait aucun secret de la Thora qu’il ne connaissait pas. On raconte l’histoire d’un certain rav plongé dans l’étude de la Kabbale, qui ne parvenait pas à trouver la source de certains écrits en sa possession. Il alla voir les plus grands mystiques de Jérusalem, qui ne purent pas l’aider. Quand ils lui suggérèrent de s’adresser au Rav Kook il fut très surpris, car il ne pouvait pas croire que le Rav Kook, qui en tant que Grand-Rabbin [ashkénaze] d’Israël était tant occupé par les affaires publiques et les questions de halakha du matin au soir, fût capable d’identifier ces documents, mais il le fit.
Un jour, un jeune élève du lycée de la yéchiva Merkaz Harav eut des doutes sur l’orientation future de ses études, et il se tourna vers le Rav Chlomo Zalman Auerbach pour lui demander son avis. L’élève dit que peut-être, puisque la majorité des grands de la Thora n’étaient pas d’accord avec la voie suivie par le Rav Kook, il vaudrait mieux pour lui suivre la voie de la majorité. Le Rav Auerbach lui répondit : “De quoi parles-tu ? À l’époque du Rav Kook, la majorité des géants de Thora était ‘comme rien du tout’ comparée à lui”.
Le Rav Kook dirigea les mariages du Rav Chlomo Zalman Auerbach zatsal, et du Rav Éliachiv zatsal. Il était leur rav. Rabbi A. I. Karlitz, le ‘Hazon Ich’, s’adressait au Rav Kook comme “notre royal et respecté maître”.
Sa voie unique : Thora et Rédemption
Allant très au-delà des sujets reliés au Rabbinat, le Rav Kook s’occupa des difficultés de l’époque. Il était très familier avec les courants philosophiques et culturels de la génération, et les examina du point de vue de la Thora. Avec une profondeur de compréhension stupéfiante, il savait comment jauger les différentes philosophies collectivement, trouver les points positifs dans chacune d’elles, et mettre à jour leurs racines saintes. Le rav Kook avait une vision des choses unifiée et exhaustive : il trouvait une harmonie entre les nombreuses approches de la Thora, les nombreuses factions du peuple juif, et les nombreuses périodes de l’histoire. Seul un génie et un juste de cette envergure, relié au Dieu Un, pouvait voir vraiment l’unité en tout et, en conséquence, ouvrir de merveilleux chemins et clarifications vers le redressement de l’existence.
Beaucoup n’ignoraient pas la grandeur et la droiture du Rav Kook, mais seuls quelques-uns comprirent que ses enseignements apportaient une solution exhaustive aux crises contemporaines. Il avait compris les origines véritables de ces forces qui jaillissaient de manière explosive à l’époque moderne – la Haskala juive (“les lumières”), le sentiment national, l’aspiration à la liberté et la créativité, et il put discerner leur bon et leur mauvais côté, traçant la voie pour corriger leurs défauts.
La souffrance du Rav Kook
Le Rav Kook était totalement pris par ses responsabilités. Il ne se déroba pas aux exigences du Rabbinat, qui l’obligeaient à répondre à des milliers de questions de tous les coins du monde, à siéger pour rendre des jugements de Thora, à écrire des suppliques et des recommandations pour les miséreux, et à s’occuper de beaucoup d’autres besoins publics. En outre, il donnait de nombreux cours de Thora, participait à nombre d’assemblées et de conférences, et recevait chaleureusement ses nombreux amis qui fréquentaient assidûment le Rav pour entendre ses mots de Thora.
Plus les années passèrent, et plus ce fardeau devint pesant. En dépit du fait qu’il aimât chaque Juif en particulier, et qu’il fût capable de voir le bien dans l’ancien et le nouveau peuplement d’Israël [cf. ‘ancien et nouveau yichouv’], le Rav Kook souffrit beaucoup de disputes acharnées. Les membres du Neturei Karta le haïssaient à cause de ses relations amicales avec les pionniers juifs [sionistes], alors que les pionniers causaient au Rav une grande angoisse en s’obstinant à profaner Chabbat et à manger de la nourriture non cachère.
Dans ses dernières années, quand il prit position pour défendre Abraham Stavsky contre l’accusation du meurtre de Haïm Arlozorof, l’organisation Po’alim [ancêtre du Parti Travailliste appelé ‘Mapam’] fut extrêmement critique vis-à-vis du Rav.
Le Rav Kook était extrêmement sensible, et il fut profondément blessé par les mots qui avaient été employés contre lui. Un jour, quand on lui montra un article qui l’attaquait, écrit par l’un des membres malveillants de Neturei Karta, le Rav resta dans sa chambre pendant presque trois jours. Mais malgré tout il pardonnait à tout le monde, et supportait son fardeau sans rien dire.
Quand l’un des diffamateurs qui avaient fait tant de mal au Rav fut obligé de se tourner vers lui pour demander de l’aide, le Rav Kook oublia tout et vint à son secours.
En Israël, ses ennemis étaient impuissants contre lui, mais leur médisance sur le retour à Sion, dont il épousait la cause, se répandit dans certaines communautés juives en Europe. Certains furent influencés par ces rapports malveillants, cela les poussa à rester en Europe au lieu de venir en Israël, et ils furent finalement assassinés par les nazis. Par ailleurs, beaucoup immigrèrent en Israël à cause de l’influence du Rav Kook.
S’il l’avait voulu, il aurait pu se venger de ses adversaires. Il avait la majorité des Talmidei Hakhamim et la majorité du public de son côté, sans parler des autorités britanniques (à cause de son rôle d’important leader de la population juive en Israël). Mais c’était un homme pieux, et bien que s’estimant outragé, il ne répondait pas aux offenses.
Il aurait pu légèrement changer ses positions, s’abstenir d’exprimer ses vues sur les sujets qui pouvaient être mal compris, mais le Rav Kook était un homme de vérité, qui soutenait la justesse d’une cause avec une totale abnégation, et sans en changer la moindre lettre. Il aurait pu se draper dans sa fierté, montrer indifférence et dégoût vis-à-vis de ses opposants, mais il avait bon cœur. Il endura donc sa peine pour toutes ces choses jusqu’à ce que son corps ne puisse plus les supporter, et que sa santé se détériore. Son fils, le Rav Tsvi Yéhouda, dit un jour que les zélateurs de l’Agoudat Israël et du Po’alim avaient écourté la vie de son père.
Le Rav Kook, qui était prêt à aider toute personne lésée ou dans le besoin, qui était le Grand-Rabbin [ashkénaze] d’Israël, respecté par les masses du peuple juif, par les rabbins, par les dirigeants laïcs émancipés, et par les riches qui venaient constamment lui rendre visite, qui levait des sommes d’argent énormes au bénéfice des institutions de Thora en Israël et en Europe de l’est, au bénéfice des pauvres et de l’implantation en terre d’Israël, vivait dans une extrême pauvreté. Il ne prenait rien pour lui.
En de multiples occasions, il n’y avait même plus un centime chez le Rav Kook pour acheter de la nourriture. Un vieux Juif qui avait immigré en Israël depuis les États-Unis prit note de la situation du Rav, et prit l’habitude de donner à la femme du Rav une pièce d’une lire, qui suffisait aux besoins de la famille pour la semaine.
C’est seulement dans ses derniers jours de maladie qu’on se tourna vers un bienfaiteur pour payer le placement du Rav Kook dans un foyer médicalisé cacher. C’est dans ce foyer que l’âme du Rav Kook quitta ce monde dans la sainteté et la pureté.
Un jour, le Rav Kook exprima son regret de ne pas pouvoir consacrer tout son temps à noter ses idées ; le manque de temps l’obligea à jeter ses idées sur le papier rapidement et sans ordre. Il avait espéré ramener les écrivains hébraïsants de son époque à la Thora, et y réussit même dans une certaine mesure avec quelques-uns d’entre eux : Azar [abréviation pour Alexander Ziskind Rabinowitz ; cf ‘an eye for an eye’ – Arutz 7], Bialik et Agnon. Cependant, même ceux-là, et encore bien moins leurs contemporains, ne purent pleinement comprendre la profondeur des idées du Rav Kook.
En fait, il y eut peu de talmidei hakhamim qui saisirent vraiment la profondeur de ses enseignements. Et bien que tout le monde fût captivé par la personnalité du Rav, par ses cours et par ses idées uniques, seule une poignée d’élèves comprit vraiment la profondeur de sa sagesse. Ce sont eux qui se destinèrent à être les continuateurs de la pensée du Rav Kook à la yechiva Merkaz Harav. Ils comprirent que ses enseignements contenaient la solution aux difficultés de notre temps,et que par l’étude de ces enseignements le peuple juif serait délivré.
[Traduit de l’article “For Yahrzeit : The Greatness of Harav Kook”, par le Rav Éliézer Melamed – Arutz 7]
Le Rav Kook quitta ce monde le 3 Eloul 5685, 1er septembre 1935.