Par quels événements l’ascension de la Génération s’est-elle produite ? Le Rav notre maître répond : Les malheurs l’ont polie, l’ont lavée. Cette poussée de croissance est liée aux secrets des âmes, cependant ces secrets s’appuient [eux-mêmes] sur des événements historiques.
Impossible de décrire les malheurs que le peuple d’Israël a subis en exil. Il n’y en a pas d’exemple chez les autres peuples, et il n’y a pas de mots pour décrire toutes les expulsions, les extorsions, les viols, les meurtres, les tortures, la persécution religieuse, la Shoah, et par-dessus tout destruction de la dignité humaine, de la force morale et de la confiance en soi. Même quand nous sommes sur notre terre, les Arabes nous tendent des embuscades. Tous ces malheurs polissent nos âmes et les nettoient.
Mais n’y a-t-il pas d’autre moyen de les affiner ? Bien sûr qu’il y en a un, c’est l’étude de la Thora. L’étude de la Thora a le même effet que les épreuves, c’est pourquoi il est écrit dans la Guémara : “S’il a fait son examen de conscience, et s’il n’a pas trouvé de faille pour expliquer les épreuves qui l’accablent, il doit les imputer à un défaut d’étude de la Thora [‘bitoul Thora’]” [Berakhot 5a]. Et même s’il n’a pas annulé son étude, de toute façon il a manqué de cette purification, de cette élévation que procure l’étude de la Thora. Pratiquement, il n’étudie pas vraiment la Thora, c’est pourquoi il n’y a pas d’alternative à ce que les malheurs viennent le purifier pour son bien. Qu’y a-t-il de spécial aux malheurs ? Ils mettent l’homme sur la voie d’une compréhension correcte de sa vie. Par exemple, on lui répète sans cesse : “Roule moins vite !”, et il n’en tient pas compte, jusqu’au jour où il lui arrive un accident. Alors il apprend douloureusement la leçon.
Les malheurs lui ont donné un cœur en cadeau, une intelligence réfléchie, novatrice et de haute volée. Chaque génération accroît ses capacités par rapport à la précédente, c’est pourquoi les sujets que comprend aujourd’hui un élève de première année n’étaient accessibles il y a vingt ans que par un élève de cinquième année… de sorte qu’elle ne pourra plus supporter la bassesse. Notre génération est incapable de supporter une foi qui serait confinée dans la petitesse. S’il en est ainsi, sa situation est-elle sans espoir ? Non, mais il faut lui aménager le chemin.
Tous les plus grands maîtres ont protesté contre le fait qu’on n’étudiait pas la émouna avec autant d’assiduité que la Guémara, même de grands Talmidé Hakhamim. Un jour, en donnant un cours, je dis que le Hazon Ich était un très grand maître, mais que dans les sujets de émouna il n’était pas à la hauteur. On me demanda : “Comment le savez-vous ?” – Je dis : “J’ai étudié ses livres”. – “Et qu’avez-vous vu ?” – “J’ai vu dans ses livres qu’il n’avait pas étudié le Kouzari, ni le Maharal, ni le Moré Nevoukhim, ni d’autres encore”. On me demanda : “Comment osez-vous dire une chose pareille ? Pourtant vous reconnaissez que c’est un grand Talmid Hakham !” – Je répondis : “C’est vrai, un très grand”. – “Alors comment est-il possible qu’il ne soit pas à la hauteur dans les sujets de émouna ?”... Plus tard, un harédi me dit : “Vous savez, en ce qui concerne le Steipeler, je suis d’accord qu’il n’était pas à la hauteur dans les sujets de émouna”. Je lui demandai : “Comment le savez-vous ?” – Il me dit : “C’est mon Rav”. Je lui dis : “Comment osez-vous dire une chose pareille ? Vous reconnaissez pourtant que c’est un grand Talmid Hakham !” – Il me répondit : “C’est vrai, un très grand”. Je lui dis : “Alors, comment se peut-il qu’il ne soit pas à la hauteur dans les sujets de émouna ?” – Il me dit : “Quel rapport ? Simplement, je le connais, c’est mon Rav !” – et la conversation s’arrêta là. Il n’y a pas de honte à ne pas tout savoir, mais il faut savoir qu’on ne sait pas.
Son esprit lui a donné des ailes, elle s’élance vers les nues, la Génération s’élève, conçoit de grandes idées, et là, on ne lui a pas encore donné ce qu’elle désire, elle n’a pas atteint la émouna dans sa dimension grande et sublime. Pourquoi ? N’y a-t-il pas de livres pour étudier cette émouna grande et sublime ? Bien sûr qu’il y en a, mais ils ne sont pas compréhensibles à un homme ordinaire, ni le Moré Nevoukhim, ni les écrits du Arizal ne le sont. Il faut donc les traduire dans un langage accessible. Le livre Orot du Rav Kook est une transcription des écrits du Arizal dans un langage habituel, et lui-même a besoin d’explications. Faire passer des contenus sublimes dans une langue sublime, c’est facile ; faire passer des contenus simples dans une langue simple, c’est facile. La complexité consiste à dire des choses sublimes dans un langage simple, compréhensible par un homme simple, comme le livre ‘Ketsot Hahochen’, qui réussit à expliquer des idées très profondes dans un langage d’une grande limpidité.
Elle s’est élevée au-dessus de la Jérusalem d’en-bas, la ruinée, la désolée, descendue jusqu’en-bas du Shéol – [la ‘Jérusalem d’en-bas’] est ici une allégorie du judaïsme simple, de l’étude ordinaire de la Thora et de la émouna qui se trouve en état de délabrement, dépourvu de conviction et d’influence, et elle ne peut pas entrer dans la Jérusalem d’en-haut, celle des pensées les plus élevées, car il n’est pas possible d’arriver au dernier chapitre de Messilat Yécharim avant d’avoir lu le premier chapitre ! On ne peut pas saisir les concepts profonds de la émouna sans avoir la crainte de Dieu, sans avoir travaillé ses qualités morales. On peut avoir des éclairs d’intuition, mais rien de plus.
Les notions qu’on n’a pas vécues dans la réalité, on ne peut pas les comprendre. On ne peut pas comprendre ce qu’est le hessed [la bonté] si on n’est pas engagé soi-même dans des actions généreuses. Le Rambam dit dans Moré Nevoukhim [1, 50] que pour comprendre vraiment une chose, il ne suffit pas de la dire de sa bouche, mais il faut la faire entrer dans son cœur, faute de quoi ce ne sont que des mots. La notion doit pénétrer le cœur de l’homme, et s’il manque la réalisation par l’action, la notion ne pénétrera pas, et deviendra une simple connaissance formelle.
Un professeur de didactique dit : “Un jour, je dus expliquer un concept profond en classe. Je l’expliquai en long et en large, et je vis que je n’y arrivais pas. J’insistai encore, jusqu’à ce que tout d’un coup, je compris !”– Mais alors qu’avait-il fait avant ? Il avait expliqué la connaissance qu’il en avait par les mots, mais sans l’assentiment du cœur. Pour qu’il y ait l’assentiment du cœur, l’homme doit être lié à la chose par son cœur et par sa volonté.
…car “le Saint-Béni-Soit-Il n’entre pas dans la Jérusalem d’en-haut – la émouna à son niveau le plus élevé – tant qu’il n’est pas entré dans la Jérusalem d’en-bas” – acceptation du joug des mitsvot dans un élan d’adhésion à Dieu [Taanit 5a].
“Sanctuaire du Roi, ville royale, lève-toi, sors de tes ruines, trop longtemps tu es restée dans la vallée des pleurs” [Cantique ‘Lekha Dodi’]. Les ‘pleurs’, ce sont les situations dégradantes, les fautes, les effondrements. “Réveille-toi, réveille-toi, car ta lumière arrive ! Lève-toi, ma lumière, debout, debout ! Entonne un chant, la gloire de l’Éternel se révèle sur toi !” [Ibid.].