7. La finalité des jeûnes

Le Rav Kook notre maître explique le sens des jeûnes :

Nous voyons de nos yeux que le monde progresse, non par l’association de forces limitées agissant chacune à sa limite, [mais] chacune en association avec les autres, [quand] chacune aspire à dépasser ses limites, sa voisine aspirant à la même chose. Quand elles se rencontrent, chacune bouscule l’autre et l’arrête, par de telles confrontations se constitue la vision de la vie. Et par conséquent les forces physiques de l’homme doivent être saines et entières, pas seulement dans la mesure exigée d’elles par la limitation morale, mais dans une mesure plus élargie.

En effet, comme il est dit, la vision de la vie se constitue parce que chaque force aspire à dépasser sa limite. Et où ira cet excès de renforcement des capacités physiques, cet excédent de forces physiques qui dépasse la mesure convenable ? Il convient que cet excédent soit exploité pour se donner de la peine pour la Thora et les mitsvot. Il y a des choses dans la vie qui empêchent la diffusion de la Thora et des mitsvot : des blocages sociaux, ou un blocage du côté de la pensée humaine, pas encore assez mûre pour intégrer la pensée de la Thora. Il y a donc un travail à faire pour graver dans la vie l’empreinte de la Thora et des mitsvot. D’autre part, l’homme a été créé susceptible de fauter, et capable s’il faute de faire techouva. La techouva elle-même est un réveil de la vie, et le travail de la techouva libère lui aussi des forces de vie accumulées au-delà de leur mesure.

Cependant, il y a des gens dont les forces vont au-delà de tout ce qui est nécessaire pour agir, au point que même le labeur de la recherche et de l’étude approfondie dans la Thora et le service divin ne suffit pas à faire tenir ses forces dans leur mesure convenable.

Pour un tel homme, le jeûne est un devoir saint

pour affaiblir ses forces qui dépassent la mesure.

Seule la tendance sauvage à la gloutonnerie en souffrira un peu, mais toutes les composantes du corps et de l’esprit y ajouteront un surplus de valeur et de beauté, ainsi qu’une énergie bien ordonnée. Tel est le jeûne par excellence selon les Sages de la Thora.

Mais il va de soi qu’à une époque où le monde est en déficit et où les forces manquent, à cause de la dégradation des usages d’une culture décadente, au point que non seulement il n’y a pas en l’homme un flux d’énergie excédentaire pour son travail, mais il lui manque encore beaucoup des forces nécessaires. Alors le jeûne devient une faute et non une mitsva.

On peut dire des choses semblables en ce qui concerne les jeûnes publics en mémoire de la destruction. Quand la nation est organisée sur sa terre, les tâches nécessaires à la nation épuisent beaucoup de forces. Mais en exil, quand nous n’avons pas de vie de peuple, l’absence de tâches nationales provoque l’accumulation d’un excès de forces dans toute la nation, et le remède moral à cela consiste à les épuiser par le jeûne. Le jeûne vise aussi à se souvenir que l’utilisation des forces excédentaires pour le mal, à l’époque où nous formions une nation bien ordonnée, est ce qui causa la destruction, et la perte de notre bonheur collectif [Igrot Haréaïa I, Iguéret 79, p. 84-85].

Le jeûne est donc destiné à épuiser les forces excédentaires, et dans ce cas il est un devoir saint, mais dans une situation où les forces manquent, c’est une faute. Nous trouvons dans la Guemara des histoires de Tanaïm et d’Amoraïm qui jeûnaient beaucoup. Dans nos générations aussi se sont trouvés des individus d’exception comme ceux-là. Par exemple le maître du Rav Harlap, le Rav Tsvi Mikhal Yehochoua Shapira, qui jeûnait et se mortifiait beaucoup.

Cependant, notre maître le Rav Kook écrit :

Mais nous doutons fortement de pouvoir trouver beaucoup de gens dans notre génération, affaiblie physiquement et moralement, même parmi ceux qui sont considérés comme des exceptions, [des gens] qui pourraient démêler pour eux-mêmes la voie sainte de ce tsadik, de mémoire bénie.

Car l’essentiel de la voie de l’abstinence, et de la mortification qui l’accompagne selon sa mesure, n’est louable qu’en contrepartie de la même mesure de la lumière suprême de délectation divine… qui remplit l’âme intérieure de force et d’énergie… Elle repousse de son éclairage puissant tous les soucis et les tracas, et toutes les exigences de la vie basse et matérielle, dont le cœur des hommes est rempli.

Mais ceux qui n’ont pas atteint la grandeur et la maturité d’une sainteté comme celle-là… et qui multiplient les jeûnes et les mortifications alors que leur cœur est vide et affligé de ce lourd fardeau… n’en auront aucun profit, ni pour eux ni pour leur génération. Le Kouzari a dit à leur propos : ❝Avec trop peu de sagesse… celui qui s’introduit dans les privations de l’ascétisme s’introduit dans les souffrances, dans la morbidité physique et morale… il est dégoûté de sa vie… et comment en serait-il autrement alors qu’il n’est pas collé à la lumière divine… et qu’il n’est pas arrivé aux subtilités de la sagesse… pour y trouver des satisfactions [Kouzari 3, 1]❞.

Cependant, un tsadik éminent comme [le Rav Shapira], de mémoire bénie… a mérité d’atteindre la lumière sainte et pure… Malgré ses nombreux jeûnes et mortifications… son esprit tint bon, avec une grande supériorité pour réussir dans l’étude profonde de la halakha avec une force étonnante… parce que l’esprit divin était avec lui, et que depuis le ciel on lui accorda un surplus de force dans une bravoure sainte, parce que toutes les rigueurs qu’il s’imposait étaient évaluées selon la force intérieure de sainteté et de délice divin… qui s’imposait en lui…

C’est pourquoi, nous qui sommes de tempérament affaibli, inconstants et en proie à l’indolence, quand nous ressentirons le besoin de nous relever un peu de notre bassesse, de ressembler aux tsadikim véritables en apprenant de leurs actions… nous devons commencer par nous éclairer du flambeau de la connaissance, être réguliers dans l’arche sainte de l’étude de la Thora, de la crainte et du service de Dieu… nous efforcer de monter d’échelon en échelon, avec bon sens et vertus affables et précieuses… afin de trouver grâce et agrément auprès de Dieu et des hommes, de rétablir notre corps faible et contrit, de faire revivre notre esprit terne et affligé.

Igrot Haréaïa I, Iguéret 73, pp. 78-79

Et notre maître écrit des choses semblables dans Orot Hatechouva :

Et en vérité il serait bienvenu de jeûner pour arracher la force mauvaise qui est dans la matière, qui empêche la volonté de monter les échelons, mais il faut aussi évaluer notre force spirituelle et physique, [pour savoir] si elle est d’accord avec cela.

Orot Hatechouva 13, 7.

C’est-à-dire que le jeûne est destiné à élever la volonté, et non à la briser. Par conséquent, il faut écarter la force du mal qui est dans la matière et qui l’empêche de s’élever (comme un ballon gonflable sur lequel s’est collée de la boue qui l’empêche de monter, et qui s’élève de lui-même quand on enlève la boue qui l’alourdit). Mais quoi qu’il en soit, il faut peser si nous avons d’assez grandes forces dans notre esprit et dans notre corps, pour ne pas être affaiblies par le jeûne. Comme nous l’avons dit, dans notre situation, étant donnée la précarité de nos forces, le jeûne affaiblit en nous des énergies positives et nécessaires, et en général il vaut mieux s’en abstenir.

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