4. Une génération grande et petite

Cependant rien de tout cela ne s’est manifesté dans les faits. La mise en œuvre de ce potentiel, de ce qui est enfoui dans le cœur de la nation et dans ses forces cachées, c’est le travail des Sages de la génération. Dans les faits c’est une petite génération, mais elle a le potentiel d’une grande génération.

Ceci vient contredire ceux qui prétendent que dans ‘Maamar Hador’ le Rav notre maître voulait parler de la génération des fondateurs de l’État et des aliyot historiques, qui était une génération idéaliste, alors qu’aujourd’hui la situation serait différente. C’est une erreur. Le Rav dit explicitement qu’à son époque « rien ne s’est manifesté dans les faits », mais qu’en réalité la génération était grande. Elle l’est encore plus de nos jours, car depuis 1906 les réalisations n’ont pas manqué ! L’État d’Israël a été créé ! À l’époque du Rav notre maître, il y avait seulement quelques villages et quelques milliers de Juifs dans tout le pays, un demi-cheval et un quart de poulet… et ils étaient isolés ! Dans ‘Maamar Hador’, le Rav prend en considération la nation.

C’est le travail des Sages de la génération dans leurs différents rôles : les tsadikim, les génies, les orateurs, les érudits, les essayistes ; et s’y ajouteront au fil des générations des poètes, inspirés supérieurement par l’esprit de Dieu veillant sur son peuple. La difficulté de la création poétique, c’est son caractère naturel : elle ne vient pas sur commande. On ne peut pas dire à un poète : « écris un poème » ! – « sur quoi ? »« sur les téfilines«  ! Non, il faut l’inspiration. Le poète écrit des poèmes sur ce qui jaillit en lui de l’intérieur, et pas de manière forcée. Le Cantique des Cantiques, par exemple, a été écrit par inspiration sainte. Si un homme quelconque écrivait comme dans le Cantique des Cantiques, il se ferait aussitôt assaillir !

…des visionnaires, qui voient l’avenir, des prophètes, – la prophétie doit revenir, ainsi l’écrit le Rambam dans ‘Igrot Téman’, ainsi l’écrit le Rassag dans ‘Émounot Védéot’, et ainsi l’écrit le Rav notre maître dans Orot.

« Et je susciterai des prophètes parmi vos fils » [Amos 2, 11].

…des héros apparaissant au rythme de l’élévation future, de niveau en niveau. C’est à cela qu’est destinée la yéchiva : à produire des Sages, et les Sages suscitent les capacités cachées de la génération du potentiel à l’action, en empruntant différents chemins d’explication et de persuasion. Un tsadik n’est pas celui qui donne seulement des cours, mais c’est celui qui vit dans la ‘tsidkout’ [dans le service divin]. Il peut y avoir un Géant de la Thora qui dit des paroles que personne ne comprend (comme c’était parfois le cas, dit-on, du Rav notre maître), et qui pourtant rayonne sur les Sages et sur la nation. Il peut y avoir des orateurs qui savent donner de bons cours de émouna, ou des essayistes qui savent écrire de bons articles, et à côté d’eux des génies qui, malgré toute leur grandeur, ne savent pas le faire, qui tout simplement ne savent pas ! “Secoue-toi de la poussière, relève-toi et prends ta place, Jérusalem !”. 

Mais c’est une chose ressentie et évidente aux yeux de tous que la lumière intérieure de la justice, l’intégrité morale et le pur amour de la nation dans toute son ardeur, sont les braises d’un feu qui s’est propagé et qui s’est élevé dans le cœur de la jeune génération, dans l’élite qu’elle porte en elle. Mais malgré cela elle est encore désarmée dans les faits, parce que toutes les explications sur les voies du judaïsme, sur ses principes les plus essentiels et les plus fondamentaux, qui suffisent à ceux dont la vocation est de se contraindre, pour qui le ramollissement du cœur est la perfection à laquelle ils aspirent et l’étranglement des forces le plus beau titre de gloire, toutes ces explications ne suffisent nullement à ceux qui sont déjà remplis de la force de la jeunesse, et dont la vie fait place dans sa substance à la lumière de la justice universelle qui est la richesse d’Israël la plus profonde et la plus élevée, d’être celui qui éclaire et qui apparaît aussi rugissant comme le grondement des vagues de la mer, déversant avec puissance la force de vie, tumultueuse comme un fleuve en crue.