4. La techouva, mondiale et individuelle


On dit généralement que la techouva relève du domaine individuel, qu’elle concerne des questions de vie personnelle. Or le Rav Kook notre maître explique que la techouva est un mouvement spirituel collectif. Il existe non seulement la techouva individuelle, mais aussi la techouva de la nation, et la techouva de toute existence, la ‘techouva des mondes’ [Orot Hatechouva 4, 2 ; 17, 1].

La techouva précéda le monde.  [Pessahim 54a]

 La techouva existait déjà avant les hommes, les fautes et les pécheurs. C’est la nature même du monde, le fondement de son existence. La techouva individuelle est un élément du mouvement mondial de la techouva. C’est pourquoi :

 On pardonne celui qui fait techouva, et on pardonne au monde entier.  [Yoma 86b]

La techouva ne prend pas sa source dans l’individu, mais c’est le flot de la techouva qui entraîne toute l’existence dans une dynamique d’épanouissement et d’élévation. La question pour l’individu est de savoir s’il ressent que tout est en mouvement, que tout progresse, s’il capte l’écho de la voix de l’existence, s’il veut être un élément de ce mouvement et s’y intégrer, un partenaire qui apporte sa contribution à la réparation… ou peut-être pas. Peut-être ne ressent-il rien, ne s’intègre-t-il pas au mouvement, peut-être pense-t-il que tout est statique, et reste-t-il lui-même figé dans sa petitesse ?

Le monde est livré aux complications. Toute l’existence est misérable et brisée. Elle se relève lentement, très lentement, à travers un combat terrible. C’est une guerre mondiale. L’existence rugit comme une lionne, elle crie en proie à ses souffrances, réclamant une réparation complète.

Tous les jours sort du Mont Horeb l’écho d’une voix, qui proclame ces paroles : “Malheur à eux, aux gens de ce monde, à cause de l’injure faite à la Thora”.  [Pirké Avot 6, 2]

Une voix des mondes appelle l’homme : “Est-ce que tu n’entends pas ? Est-ce que tu ne ressens pas la douleur ? Est-ce que tu ne ressens pas l’injure ?” – L’homme entend quelque chose, il entend comme l’écho d’une voix, une voix qui n’est pas une voix, et qu’il perçoit de l’intérieur. Il ressent l’impossibilité de continuer comme cela. Mais à cause de l’inertie de la situation présente, à cause de ce qui n’est pas là et qui manque, il est contrarié dans son désir de réparer et d’améliorer. Certes, il perçoit l’écho des fracas de la guerre mondiale, et il s’arme de courage pour être de ceux qui luttent pour réparer le monde. Mais comme un soldat, s’il est jeté seul sur le terrain, sa motivation à combattre est amoindrie, alors que s’il est engagé au milieu de ses compagnons d’armes, entouré des bruits de la bataille et des explosions, il s’emplit de bravoure et désire prendre part au combat.

L’homme qui est capable d’entendre veut participer à l’élévation générale et ne pas en gêner le mouvement, il a envie de s’élever. Voilà ce que sont les pensées de techouva : au départ elles ne viennent pas de lui, mais de l’existence toute entière. Lui s’imprègne intérieurement du son de la voix de l’univers, et cette écoute éveille chez lui des pensées de techouva, et une motivation à réparer.

Quand un homme fera techouva, il ne se contentera pas de penser à ses problèmes spirituels personnels, ce serait mesquin et égoïste. Mais il fera techouva en tant qu’élément du peuple d’Israël et du monde. S’il n’existait que pour lui-même il pourrait se désespérer, penser qu’il est coupé du ‘Pays de Vie’ [surnom du monde à venir et de la Terre d’Israël], et se dire : “De toute façon, si cela ne tient qu’à moi je suis perdu !”. Mais il n’est pas seul ni isolé, et il a une responsabilité vis-à-vis de l’existence toute entière. Quand l’homme perçoit la souffrance du monde, le désir de réparer s’éveille en lui. Cet élan d’idéalisme ne prend pas sa source dans un regard égoïste posé sur les choses, mais dans un sentiment de responsabilité vis-à-vis du monde dans son ensemble.

Bien-entendu, avant tout chaque homme doit s’amender lui-même et non pas faire la morale aux autres, sinon il serait comme un cohen qui officie en état d’impureté ! Mais quoi qu’il en soit, cette remise en question personnelle provient aussi d’une conscience collective, et le désir de réparation globale s’exprime avant tout par la volonté de sauver cet élément de l’existence qu’est le ‘moi’ propre, la personnalité individuelle. La techouva intime de la personne émane d’un idéal commun.

Ce qu’on dit sur le caractère ‘collectif’, sur la ‘collectivité d’Israël’, sur la ‘globalité de l’existence’, est parfois source d’incompréhension. Comme si ces concepts négligeaient l’individu et minimisaient son importance. Certains disent : “Le collectif n’est pas tout, il faut guider l’individu à travers ses problèmes, ses chutes et ses aspirations propres”. C’est une évidence qu’une guidance individuelle est nécessaire, mais dérivée d’une compréhension générale. L’idée du collectif ne repousse pas l’individuel, au contraire elle l’élève !

De même que la parole divine “Que la lumière soit” avance et fraye son chemin dans le monde dans tous les domaines – celui de la connaissance, celui de la justice, celui de l’ordre social – et que par le souffle de la parole divine le monde entier se trouve engagé dans une démarche de techouva permanente, de même aussi pour l’individu : tous les jours de sa vie doivent se dérouler constamment dans la techouva, du mal vers le bien et de la petitesse vers la grandeur ; il doit aller de l’avant et non faire du surplace.

Ceci est un partenariat entre le Maître du monde et l’homme. Le Saint-Béni-Soit-Il “a fait précéder la techouva au monde”, et de ce fait le monde est empli d’un courant de techouva venu d’en-haut. La voix de Dieu appelle l’homme depuis les profondeurs de son âme. Les pensées de techouva l’inondent en permanence. Même les méchants sont rongés par le remords. La question est de savoir ce que l’homme fait de tout cela. Il a le libre choix. Repousse-t-il ces pensées, et les fuit-il par peur de la responsabilité ou découragement, alors la tristesse et l’amertume l’envahissent. Les reçoit-il avec toutes les difficultés qu’elles impliquent, alors il s’élève grâce à elles.


(Paragraphe suivant : 5. La mitsva de la techouva et la confession des fautes)

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