Avraham notre père mit en pratique toute la Thora, alors qu’elle n’avait pas encore été donnée. [Yoma 28b]
Ses deux reins étaient comme deux maîtres qui lui enseignaient la Thora. [Midrach Berechit Raba 61, 1]
Ceci est bien sûr une métaphore, car les reins n’enseignent rien ! Mais la fonction des reins est de filtrer : ils laissent passer le sang vital vers les cellules, et ils rejettent les déchets à l’extérieur, ils font le tri entre les éléments vitaux et les déchets. De même Avraham notre père : “Il apprit la Thora de lui-même” [Midrach Berechit Raba 95, 3], c’est-à-dire de la voix divine qui l’appelait du fond de son âme ; et parce qu’il était pur il sut faire la différence entre ce qui était Thora et voix divine, et ce qui était autre chose. Comme nous l’avons dit, la Thora est notre nature profonde et notre âme, c’est la voix divine qui est en nous. Il ne faut rien d’autre qu’une oreille pure pour l’entendre. Avraham l’entendit. Nos Patriarches l’entendirent.
Alors pouvons-nous aussi apprendre la Thora depuis notre intériorité ? En principe la chose est possible, mais à condition que nous soyons sûrs que c’est notre nature profonde authentique qui se dévoile à nous. Et dans la réalité, ce n’est guère ainsi que les choses se présentent : si nous essayons d’apprendre de notre intériorité, nous avons toutes les chances de nous empêtrer, comme les premières générations se sont empêtrées, jusqu’à arriver à l’idolâtrie. C’est pourquoi nous avons une autre approche : nous étudions la Thora enseignée par les sages et par les livres, et une fois apprise, la Thora nous pénètre profondément, et construit notre personnalité. L’apprentissage intellectuel se transforme peu à peu en sens moral intérieur.
De leur côté, nos Patriarches se construisirent à l’inverse : partant d’un sens moral intérieur assuré et d’une pureté absolue, ils arrivèrent à appliquer la Thora. Autrement dit, alors que nous partons de l’étude de la Thora pour aller vers la conscience intérieure, ils partirent de la conscience intérieure pour aller vers la Thora [voir Rav Kook, Orot Hakodech 3, p.342].
Avraham notre père commença par un effort de raisonnement vers le redressement moral, et par cela il acquit le mérite d’un dévoilement venu du Ciel [Kouzari 4, 17]. Et tous nos pères firent la même démarche : tant que la Thora ne fut pas effectivement donnée aux Bné Israël, elle fut dévoilée à nos pères par une illumination morale intérieure, proche du Rouah’ Hakodech, et ensuite elle se manifesta au niveau prophétique chez les géants de l’esprit, qui seuls pouvaient l’atteindre. La Thora de nos pères était donc une Thora révélée par prophétie, et ils l’appliquèrent en tant que telle.
[Quelle différence cela fait-il ?] – La Thora [de Moché] est éternelle et invariable, alors que la prophétie est donnée selon les particularités d’une situation et d’une époque données [Rachi dans ‘Houlin 137a]. C’est pourquoi nous trouvons que les Patriarches firent certaines choses en contradiction formelle avec les mitsvot de la Thora, comme Yaakov qui épousa deux sœurs et qui édifia une stèle, ou comme Amram qui épousa sa tante, parce que la prophétie peut inclure des dispositions particulières qui font exception à la règle, pour répondre aux exigences spécifiques de l’époque [voir Yébamot 90b].
(Paragraphe suivant : 3.3. Morale individuelle et Thora)