17. Le judaïsme hors de la Terre d’Israël

Ainsi en est-il du judaïsme hors d’Israël, qu’il ne peut être ni dans son intégrité ni dans sa pureté. Le Maître du monde a décidé qu’il doit en être ainsi a priori : si les Juifs qui vivent hors d’Israël font un plein emploi de leurs forces vitales, ils se rendront impurs et le judaïsme deviendra impur. De même il faut prendre garde à l’imagination [dans les pays de l’exil], au point que dans son introduction au commentaire du Gaon de Vilna sur le Sifra Détsniouta, Rabbi Haïm de Vologine rapporte que le Gaon ne voulait pas recevoir de révélations célestes. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient suspectes d’être contaminées par des productions imaginaires. Et pourtant, Rabbi Yossef Karo nous a rapporté des paroles de Thora prononcées par le ‘Maguid’, l’ange qui se dévoilait à lui depuis le Ciel ! Réponse du Gaon : c’était il y a bien des années, et de plus c’était en Terre d’Israël.

Le Rav notre maître dit : “Il est impossible à un homme d’Israël d’être dévoué et fidèle à ses pensées, à ses réflexions, à ses idées et à son imagination, en dehors de la Terre d’Israël, avec la même fidélité qu’en Terre d’Israël. Les dévoilements de l’esprit de sainteté, quel que soit leur niveau, sont relativement propres en Terre d’Israël, alors qu’en-dehors de la Terre d’Israël ils sont mêlés à quantité de rebuts et d’impuretés.” [Orot, la Terre d’Israël § 4]. 

Car au bout du compte, “quiconque habite hors de la Terre d’Israël ressemble à celui qui n’a pas de Dieu” [Ketoubot 110b]. Rabbi Pinhas Horowitz, auteur de ‘Hahaflaah’, s’étonna : comment peut-on dire une telle chose ? Comment se peut-il qu’un homme croyant qui habite hors d’Israël n’ait pas de Dieu, et qu’un renégat qui habite en Israël ait Dieu ? Et il répond qu’il faut analyser précisément les termes de la Guémara : elle dit qu’il ressemble à celui qui n’a pas…” – quelque chose est disqualifié en lui, de sorte que celui qui habite hors d’Israël ressemble à qui n’a pas de Dieu.

Le judaïsme de l’exil est frappé de carence, il est contraint de s’enfermer dans les quatre coudées de la halakha“Il n’y a de reste que cette Thora” [Rabbénou Guerchon, Selihot ‘Zekhor Brit’] – l’étude de la Thora et l’application de la Thora. “Depuis le jour où le Beit Hamikdach a été détruit, le Saint-Béni-Soit-Il n’a plus dans son monde que les ‘quatre coudées de la halakha’” [Berakhot 8a]. Mais avant qu’il soit détruit, la lumière divine s’étendait sur tous les domaines de la vie, comme il est expliqué dans Orot, ‘la Marche des Idées en Israël’. Ces paroles de nos Sages peuvent s’expliquer de deux manières : 1/ dans l’exil, il y a des forces vives de la nation que le Maître du monde n’emploie pas pour se dévoiler ; 2/ dans l’exil, le Saint-Béni-Soit-Il est en quelque sorte ‘affaibli’, car la Présence Divine est en exil.

Là-bas, “dans la vallée des ténèbres”, – l’exil est comparé à un cimetière – il est impossible de prendre le large, impossible d’aspirer à la plénitude de la vie – impossible que le saint se répande dans toutes les forces vives, on ne peut aspirer à la pureté que dans une vie rétrécie, car la vie sociale – il ne s’agit pas ici de la sociabilité, mais des mouvements sociaux comme le socialisme et le communisme – et nationale – politique – est envenimée par le poison de l’air ambiant sur la terre des peuples – les États des peuples sont impurs, y-compris la terre elle-même (c’est ainsi que tranche la halakha [voir Choulkhan Aroukh, Yoré Déah 369, 1 ; 372, 1]), parce qu’elle renferme toutes sortes de débris d’ossements. Mais ce n’est pas seulement la terre qui est impure, l’air l’est aussi, et même si l’on n’a pas foulé le sol, on est sali par l’impureté. L’air ambiant – la culture – est impure, et de même la terre – le matériel – est impure. Nous sommes influencés par ce poison et cette impureté, et c’est ce qui nous oblige à nous restreindre autant que possible, comme on va le voir.

… vital pour ces peuples, car ils trouvent là tout ce qu’ils cherchent, l’atmosphère de la terre des peuples est faite pour eux, ils aiment cela, cette ambiance alimente leur vie nationale, sociale et économique, et peuvent y construire leurs projets les plus grandioses. 

Notre maître le Rav Tsvi Yéhouda rappelait souvent ces paroles du prophète Jérémie : “Les Cohanim n’ont pas cherché où est l’Éternel, les détenteurs de la Thora [c.à.d. le SanhédrinRachi] ne M’ont pas connu, les bergers [c.à.d. les rois – Rachi] m’ont outragé, les prophètes ont prophétisé pour Baal et ils ont poursuivi des chimères” [Jérémie 2, 8]. Tous avaient fauté, l’atmosphère était tellement corrompue dans notre pays, que même les prophètes étaient touchés.

C’est la situation qui prévaut aujourd’hui en Amérique : l’atmosphère y est tellement influencée par le laïcisme (America‘עמא-ריקא’ [‘peuple vide’] !) que même les Talmidé Hakhamim qui vivent aux États-Unis sont touchés. De temps en temps, nous voyons arriver de là-bas des rabbins sionistes-religieux, et nous mesurons la différence avec ceux d’Érets Israël. Là-bas, même un rav harédi est à moitié ‘modernisé’. Bien sûr il y a aussi aux États-Unis des rabbanim qui sont des tsadikim, comme l’était le Rav Moché Feinstein, arrivé de Russie et qui resta toujours le même ‘Rabbi Moché’. Mais dans l’ensemble, il y a eu une baisse de niveau. En Israël on dit aux élèves de yéchiva qu’ils ne doivent pas étudier en même temps à la yéchiva et à l’université, alors qu’aux États-Unis, même les harédim étudient à la yéchiva et à l’université ; même les hassidim de Satmar étudient à l’université !

Mais Israël ne trouvera là aucun élément important de son idéal spécifique. Les nations ont des idéaux de bas niveau. Certes, au plan individuel certains non-Juifs sont des justes des nations, certains écrivent des choses admirables. Mais chez les non-Juifs, ces qualités sont introuvables à l’échelle de la société, ni dans le peuple ni dans l’État. Au niveau collectif il n’y a chez eux aucun idéal, l’ambiance socio-culturelle est empoisonnée, c’est pourquoi il faut se tenir à l’écart.

C’est pourquoi il – le peuple d’Israël – est obligé de “boiter de sa jambe” [cf. Genèse 32, 32] – en exil, il ne peut pas prendre le large, il est obligé de retenir ses forces, de consacrer toutes ses prières à la satisfaction de ses besoins particuliers, nécessaires à sa nourriture et à sa subsistance, et rien d’autre. Telle doit être la vie en exil : donne au corps le minimum du minimum, et ne porte pas de beaux habits, de peur de ‘glisser à l’extérieur’ ! Ne va pas au théâtre et ne consomme pas de littérature ! Voilà les directives de l’exil.

S’il en est ainsi, pourquoi certains Grands d’Israël remplirent-ils de hautes fonctions en exil ? – C’était à titre exceptionnel, pour venir en aide aux Juifs. Ainsi, Rabbi Itzhak Abrabanel fut le ministre des finances de l’Espagne, puis du Portugal. Pourquoi ? – pour aider les Juifs. Il écrit dans son introduction au Livre des Rois“Cela me gêne de m’être occupé de cela. Et pourquoi ai-je commencé de commenter le Livre des Rois ? Parce que je connais la saleté qui règne dans les sphères du pouvoir.”

Le Rambam était le médecin du sultan. N’avait-il rien d’autre à faire ? Dans une lettre à son élève le Rav Samuel ibn Tibbon, il décrit comment il se levait le matin avant l’aube et montait sur son âne pour aller à la ville royale de Fostat près du Caire. Là, il soignait des malades toute la journée et revenait la nuit, épuisé, alors qu’une file de pauvres qui n’avaient pas d’argent pour payer un médecin l’attendait devant sa porte. C’est pour cette raison que le Chabbat, après la prière, il donnait son cours sur la paracha en position couchée, parce qu’il était à bout de forces. Et pourquoi le Rambam faisait-il cela ? – pour aider les Juifs : en tant que médecin personnel du sultan Saladin, il usait de son influence contre les mauvais décrets et les expulsions avec le plus grand dévouement. Il réussit même à persuader le sultan d’autoriser les Juifs à revenir sur leur terre.

De là, il vient que cet air lui-même contamine le cœur et le cerveau du Juif, qu’il l’affaiblit et qu’il l’obstrue. C’est pourquoi la voie de la maîtrise dans tous les domaines est là-bas la seule pertinente pour y diriger la volonté. À tout ce qui appartient aux goyim, nous opposons un grand NON une fois pour toutes.

Jacob notre père craignait que ses fils ne se dégradent en Égypte. Il voulut les protéger, c’est pourquoi il leur ordonna de ne changer ni leur nom, ni leur langue, ni leur façon de s’habiller – qu’ils ne donnent pas à Lévy le nom de ‘Lulinus’, ou à Réouven celui de ‘Rufus’. Il ordonna aussi à son fils : “De grâce, ne m’enterre pas en Égypte !” [Genèse 47, 29], afin que le peuple d’Israël [en exil] sache que Jacob est enterré là-bas” – dans la Ma’arat Hamahpéla –, afin qu’il se rappelle que la Terre d’Israël est le principal. Comme cela, il était possible de tenir deux cents ans en Égypte. Et encore ce fut difficile, puisqu’ils arrivèrent au 49e degré de l’impureté.

Mais comment peut-on se préserver en exil pendant deux mille ans ?! L’atmosphère des pays d’exil, la société, la politique… tout est corrompu et affaiblit le cerveau !