Le judaïsme hors d’Israël est ainsi, il ne peut garder ni son intégrité ni sa pureté. Le Maître du monde a décrété que ce doit être ainsi a priori : si les Juifs qui vivent hors d’Israël font un plein usage de leurs forces vitales, ils deviendront impurs et le judaïsme deviendra impur. De manière analogue, il faut se méfier de la force de l’imagination, à tel point que dans son introduction au commentaire du Gaon de Vilna sur Sifra Détsniouta, Rabbi Haïm de Vologine rapporte que le Gaon ne voulait pas recevoir de révélations célestes. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient susceptibles d’être contaminées par des fantasmes.
Et pourtant, Rabbi Yossef Karo nous a rapporté des paroles de Thora prononcées par le ‘Maguid’, l’ange qui se dévoilait à lui depuis le Ciel ! Réponse du Gaon : c’était il y a bien des années, et de plus c’était en Terre d’Israël.
Le Rav notre maître dit : “Il est impossible à un homme d’Israël qui se trouve hors d’Israël de se livrer en toute confiance à ses pensées et à ses réflexions, à ses idées et à sa créativité, comme il peut le faire en terre d’Israël. Les manifestations du Divin, à quelque niveau qu’elles soient, sont plus claires en Israël, toutes proportions gardées, alors qu’au-dehors elles sont amalgamées à quantités de scories et de rebuts.” [Orot, la Terre d’Israël § 4].
Car au bout du compte nous savons que “quiconque habite hors de la Terre d’Israël ressemble à celui qui n’a pas de Dieu” [Ketoubot 110b]. Rabbi Pinhas Horowitz, auteur de ‘Hahaflaah’, s’étonna : comment peut-on dire une telle chose ? Comment se peut-il qu’un homme croyant qui habite hors d’Israël n’ait pas de Dieu, et qu’un renégat qui habite en Israël ait Dieu ? Et il répond qu’il faut analyser précisément les termes de la Guémara : elle dit qu’il “ressemble à celui qui n’a pas…” – quelque chose est invalidé chez lui, qui fait que celui qui habite hors d’Israël ressemble à qui n’a pas de Dieu.
Le judaïsme de l’exil est frappé d’insuffisance, il est contraint de s’enfermer dans les quatre coudées de la halakha. “Il n’y a de reste que cette Thora” [Rabbénou Guerchon, Selihot ‘Zekhor Brit’] – l’étude de la Thora et sa pratique. “Depuis le jour où le Beit Hamikdach a été détruit, le Saint-Béni-Soit-Il n’a plus dans son monde que les ‘quatre coudées de la halakha’” [Berakhot 8a]. Mais avant qu’il soit détruit, la lumière divine s’étendait sur tous les domaines de la vie, comme il est expliqué dans Orot, section ‘la Marche des Idées en Israël’. Ces paroles de nos Sages peuvent s’expliquer de deux manières : 1/ dans l’exil, il y a certaines forces vives de la nation par lesquelles le Maître du monde ne se dévoile pas ; 2/ dans l’exil, le Saint-Béni-Soit-Il est si l’on peut dire ‘rabaissé’, car la Présence Divine est exilée.
Là-bas, dans la vallée des ténèbres, – l’exil est comparé à un cimetière – il est impossible d’évoluer au large, il est impossible d’aspirer à la plénitude de la vie – que le Divin s’étende à toutes les forces vives, mais on ne peut aspirer qu’à une vie rétrécie dans la pureté, car la vie sociale – il ne s’agit pas ici de la sociabilité, mais des mouvements tels que le socialisme et le communisme – et nationale – politique – est empoisonnée par l’air pollué de la terre des peuples…
Les pays des nations sont impurs, y-compris la terre elle-même. (c’est ainsi que tranche la halakha [voir Choulkhan Aroukh, Yoré Déah 369, 1 ; 372, 1]), parce qu’elle renferme toutes sortes de restes d’ossement de morts. Mais ce n’est pas seulement la terre qui est impure, l’air l’est aussi, et même si l’on n’a pas foulé le sol, on a reçu l’impureté. L’atmosphère – la culture – est impure, et de même la terre – le matériel – est impure. Nous sommes influencés par ce poison et cette impureté, c’est pourquoi nous devons nous restreindre autant que possible, comme on va le voir.
… celle qui fait vivre ces mêmes peuples car ils y trouvent tout ce qu’ils recherchent, l’atmosphère de la terre des peuples est faite pour eux, ils aiment cela, cette ambiance alimente leur vie nationale, sociale et économique, et ils peuvent y élaborer leurs plus grands projets.
Notre maître le Rav Tsvi Yéhouda rappelait souvent ces paroles du prophète Jérémie : “Les Cohanim n’ont pas recherché l’Éternel, les détenteurs de la Thora [c.à.d. le Sanhédrin – Rachi] ne m’ont pas connu, les bergers [c.à.d. les rois – Rachi] m’ont outragé, les prophètes se ont prophétisé pour Baal et ils ont poursuivi des chimères” [Jérémie 2, 8]. Tous avaient fauté, l’atmosphère était tellement corrompue dans le pays que même les prophètes étaient touchés.
C’est la situation qui prévaut aujourd’hui en Amérique : l’ambiance y est tellement influencée par le laïcisme (America = ‘עמא-ריקא’ [‘peuple vide’] !) que même les Talmidé Hakhamim qui vivent aux États-Unis sont touchés. De temps en temps, nous voyons arriver de là-bas des rabbins sionistes-religieux, et nous mesurons la différence avec ceux d’Érets Israël. Là-bas, même un rav harédi est à moitié ‘modernisé’. Bien sûr il y a aussi aux États-Unis des rabbanim qui sont des tsadikim, comme l’était le Rav Moché Feinstein, arrivé de Russie et qui resta toujours le même ‘Rabbi Moché’. Mais dans l’ensemble, il y a eu une baisse de niveau. En Israël on dit aux élèves de yéchiva qu’ils ne doivent pas étudier en même temps à la yéchiva et à l’université, alors qu’aux États-Unis même les harédim étudient à la yéchiva et à l’université ; même les hassidim de Satmar étudient à l’université !
Mais Israël, lui, n’y trouvera pas un seul élément important de son propre idéal. Les idéaux des nations sont de bas niveau. Au plan individuel, certains non-Juifs sont des justes des nations, certains écrivent des choses admirables. Mais ces qualités n’existent pas à l’échelon de la société non-juive, ni dans le peuple ni dans l’état. Chez eux, au niveau collectif il n’y a aucun idéal. L’ambiance socio-culturelle est empoisonnée, c’est pourquoi il faut se tenir à l’écart.
C’est pourquoi il – le peuple d’Israël – a l’obligation de “boiter de la hanche” [cf. Genèse 32, 32] – il ne peut pas être libre de ses mouvements en exil, il doit retenir ses forces, de consacrer tous ses souhaits à la satisfaction de ses besoins personnels les plus nécessaires, au niveau de l’alimentation et de la subsistance. Telle doit être la vie en exil : donne au corps le minimum du minimum et ne porte pas de beaux habits, de peur de ‘glisser dehors’ [vers la culture étrangère] ! Ne va pas au théâtre et ne consomme pas de littérature ! Voilà les directives de l’exil.
S’il en est ainsi, pourquoi certains Grands d’Israël remplirent-ils de hautes fonctions en exil ? – c’était à titre exceptionnel, c’était pour venir en aide aux Juifs. Ainsi, Rabbi Itzhak Abrabanel fut le ministre des finances de l’Espagne, puis du Portugal. Pourquoi ? – pour aider les Juifs. Il écrit dans son introduction au Livre des Rois : “Cela me gêne de m’être occupé de cela. Et pourquoi ai-je commencé de commenter le Livre des Rois ? Parce que je connais la saleté qui règne dans les sphères du pouvoir.”
Le Rambam était le médecin du sultan. N’avait-il rien d’autre à faire ? Dans une lettre à son élève le Rav Samuel ibn Tibbon, il décrit comment il se levait le matin avant l’aube et montait sur son âne pour aller à la ville royale de Fostat près du Caire. Là, il soignait des malades toute la journée et revenait la nuit épuisé, alors qu’une file de pauvres qui n’avaient pas d’argent pour payer un médecin l’attendait devant sa porte. C’est pour cette raison que le Chabbat après la prière, il donnait son cours sur la paracha en position couchée, parce qu’il était à bout de forces. Et pourquoi le Rambam faisait-il cela ? – pour aider les Juifs : en tant que médecin personnel du sultan Saladin, il usait de son influence contre les mauvais décrets et les expulsions avec le plus grand dévouement. Il réussit même à persuader le sultan d’autoriser les Juifs à revenir sur leur terre.
On voit donc que l’air de l’exil en lui-même pollue le cœur et le cerveau du Juif, qu’il l’affaiblit et qu’il le bouche. C’est pourquoi le total contrôle de soi est la seule voie réaliste qui mène à la volonté [divine] là-bas [en exil]. À tout ce qui est spécifique aux non-Juifs, nous opposons une fois pour toutes un grand NON.
Jacob notre père craignait que ses fils se dénaturent en Égypte. Il voulut les protéger, c’est pourquoi il leur ordonna de ne pas changer leur nom, ni leur langue, ni leur façon de s’habiller. Qu’ils ne donnent pas à Lévy le nom de ‘Lulinus’, ou à Réouven celui de ‘Rufus’. Il ordonna aussi à ses fils : “Je t’en prie, ne m’enterre pas en Égypte” [Genèse 47, 29], afin que le peuple d’Israël [en exil] sache que Jacob est enterré “là-bas” – dans la Ma’arat Hamahpéla, pour qu’il se rappellent que la Terre d’Israël est l’essentiel. Ainsi, il était possible de tenir deux cents ans en Égypte. Et même comme cela ce fut difficile, puisqu’ils arrivèrent au 49e degré de l’impureté.
Mais comment peut-on se préserver en exil pendant deux mille ans ?! L’atmosphère de ces pays d’exil, la société, la politique… tout est corrompu et affaiblit l’intelligence !