16. La voie du contrôle de soi de nos jours

Il en est de la collectivité comme de l’individu. Quand la bonne voie consiste pour lui – dans les conditions de l’exil – à faire son chemin au niveau le plus bas de la morale collective – celui du contrôle de soi, de la peur du châtiment, de la crainte naïve. Car la mentalité de l’exil consiste à préférer la fuite, l’éloignement de tout danger : le non-Juif te menace ? – prends la fuite !…

[Quand la voie de la crainte peut-elle être la bonne voie ?] – Un jour, un lapin dit à ses compagnons : “Pourquoi fuyez-vous devant les renards ? Il faut se mesurer à eux ! Il faut les amender de l’intérieur ! Moi je vais les amender de l’intérieur…”. Ses compagnons lui dirent en ricanant : “Mais bien sûr, de l’intérieur…”. Un homme doit connaître ses forces. Lors de la Guerre de Kippour, au début nous avons évité la confrontation, et après avoir rassemblé nos forces nous avons contre-attaqué.

Il est légitime de se demander pourquoi nous avons été exilés de notre Terre. Réponse : parce que Dieu a vu que nous étions incapables de conduire une guerre. Le pouvoir d’état était corrompu. Toutes les tentatives des Prophètes, des Sages et du Sanhédrin pour nous faire revenir vers le bien restèrent vaines. C’est pourquoi Dieu nous éloigna de toutes les responsabilités politiques, et il nous installa dans les quatre coudées de la sainteté et de la pureté, en milieu protégé.

Il est justifié de se réfugier dans les quatre coudées de la sainteté et de la pureté en attendant la renaissance nationale, sachant qu’alors les choses se présenteront autrement. Rabbénou Béhayé, qui vivait à l’époque de l’exil, dit : “Tout investissement supplémentaire dans la vie du pays provoque une destruction supplémentaire dans l’esprit” [Le Devoir des Cœurs, section de la ‘périchout’ / ‘abstinence’, chap. 7].

Mais ici, en Terre d’Israël, il est impossible de dire que tout le monde étudiera la Thora et travaillera un minimum. Peut-il imaginer qu’un soldat tire un kazaït de balles dans le temps de akhilat pras [quantité minimale, et temps maximal pour s’acquitter de la mitsva de manger du pain aux repas de Chabbat et des fêtes], et qu’il aille ensuite se reposer ?! Le dévouement et le don de soi sont nécessaires à l’activité économique, au commerce, à l’industrie et à l’armée, et il faut que chacun ait des connaissances spécialisées dans son domaine.

Avant la création de l’état, les harédim disaient : “Un état risquerait de tarir la source spirituelle ! De notre côté, qui’il y ait un état arabe ! L’essentiel est que nous puissions étudier la Thora toute la journée.” Et nous, nous disons que ce qui fera avancer le monde vers son idéal sera la montée en puissance de Talmidé Hakhamim exceptionnels qui suivront la voie de Benaïahou fils de Joïada, [voir Samuel II 23, 20], en quantité et en qualité, car en règle générale les Talmidé Hakhamim ont peur de l’univers profane et se sentent bousculés par lui.

Alors, même si cette voie est médiocre,… parfois nous n’allons pas dans la voie de la revalorisation du mal [en réhabilitant ses aspects positifs], dans la voie de la réunion de toutes les forces, mais nous prenons celle du contrôle de soi, qui nous oblige à renoncer à certains éléments positifs. Pour donner un exemple, pendant la guerre de Kippour nous avons miné le Pont des filles de Jacob, pour le cas où les Syriens voudraient y passer. Et qu’allait-il advenir des soldats juifs qui étaient de l’autre côté, et dont la voie de la retraite serait peut-être coupée ?! Mais il n’y avait pas le choix. De même, dans les navires de guerre, il y a un système dont le rôle est de former des cloisons étanches dans la coque en cas d’impact de missile, afin d’empêcher l’entrée de l’eau et le naufrage. Mais que se passe-t-il s’il y a des soldats piégés dans le compartiment touché ?! Il n’y a pas le choix, sinon tout le monde coule. Ceci est la ‘morale médiocre’ de la contrainte : on nettoie la saleté le plus possible.

…obscure – si en effet la voie est sombre, parce que dans le chemin de la contrainte on perd des points de lumière, et pleine du tumulte des combats, – car celui qui est dans la contrainte est coutumier des combats contre le mal, malgré toute sa lourdeur elle dispose des bons outils – autrement dit c’est la bonne voie. La voie  de la contrainte a une méthode, elle sait comment combattre le mauvais penchant [yétser hara]. À cette fin il y a dans la nation de nombreux livres de halakha et de moussar. Nous sommes exercés à ce combat-là depuis de nombreuses années. Les forces du mal sont maîtrisées et la haute main revient à la droiture, – le sens du mot droiture n’est pas ici l’opposé du contrôle de soi, il s’agit de la droiture morale – à l’intégrité, à la bonté et à la pertinence, suivant le consensus habituel que ces valeurs relèvent aussi pour la plus grande partie du contrôle de soi. Parfois on trouve aussi dans la théorie du contrôle de soi des éléments empruntés à la droiture, mais l’essentiel reste le contrôle.

Le Ramhal dit par exemple :

Et tu verras que les anges se glorifient de cette qualité, comme il est dit d’eux : “Vaillants pleins de force, exécutant sa parole pour entendre le son de sa parole” [Psaumes 103, 20] / l’ordre du verset indique qu’ils exécutent la parole du Créateur avant même de l’avoir entendue, caractéristique la droiture naturelle – NdT /… Certes, l’homme est un homme et non un ange, et il lui est donc impossible d’atteindre la vaillance de l’ange. Cependant, il est évident que dans tant qu’il peut s’approcher de ce niveau, il convient qu’il le fasse.  [Messilat Yécharim chap. 6]

…car l’empressement est une grande qualité pour approcher la perfection.  [Ibid. chap. 7]

…pour ceux qui ont le niveau de la connaissance parfaite, la motivation viendra [à la fois] du côté de l’obligation, et du côté de la valeur des actes et de leur importance”.  [Ibid. chap. 8]

Une sorte de ‘réserve naturelle’ est aménagée dans le livre pour la droiture, mais la plus grande partie traite du contrôle de soi.

On ne peut pas faire la paix avec l’ennemi avant l’heure, comme le pensent les politiciens qui s’imaginent que nous donnerons des armes à l’ennemi et qu’il s’en servira pour nous protéger ! Actuellement, nous sommes encore au temps du contrôle de soi, et non à celui de la droiture naturelle. Et il est interdit de s’y tromper et de brûler les étapes.

Même si leurs démarches particulières sont imprégnées de guerre en même temps que de victoire, et même si elles recourent à des potions amères – qui répriment les énergies. Comme le dit Rabbénou Béhayé dans Hovot Halevavot [Avodat Haélokim, chap.5], celui qui n’est pas prêt à employer de potions amères ne réussira pas dans le service de Dieu. Il y a des potions amères de répression des forces, et elles sont des plus nécessaires, pour se lever et tenir sur leurs pieds – si je ne prends pas cette potion amère, je tomberai malade et je mourrai au plan spirituel, quoi qu’il en soit elles tiennent la force et la justice de leur main droite. La démarche du contrôle de soi est légitime, même si elle tue les forces du bien avec les forces du mal, car elle aussi peut conduire à la force et à la justice. Chacun agit selon ses capacités. Bien sûr, un homme qui a été amputé ne peut pas servir Dieu comme un homme qui a les jambes valides, mais c’est tout de même un service saint, c’est le service de Dieu par la contrainte dont tous les livres de moussar sont remplis.