Il en va du collectif comme de l’individu : quand la bonne voie consiste pour lui – en exil – à progresser à l’étage inférieur, celui de la morale universelle – celui du contrôle de soi, de la peur du châtiment et de la crainte naïve, car la mentalité de l’exil consiste à préférer la fuite et l’éloignement de tout danger. Le non-Juif te menace ? – Prends la fuite !…
[La voie de la crainte est-elle parfois la bonne ?] – Un jour, un lapin dit à ses compagnons : “Pourquoi fuyez-vous devant les renards ? Il faut se mesurer à eux ! Il faut les amender de l’intérieur ! Moi je vais les amender de l’intérieur…”. Ils lui répondirent en ricanant : “Mais bien sûr, de l’intérieur…”. Un homme doit connaître ses forces. Lors de la Guerre de Kippour, nous avons d’abord évité la confrontation, et après avoir rassemblé nos forces nous avons contre-attaqué.
Il faut se demander pourquoi nous avons été exilés de notre terre : – parce que Dieu a vu que nous étions incapables de conduire une guerre. Le pouvoir d’état était corrompu. Toutes les tentatives des Prophètes, des Sages et du Sanhédrin pour nous faire revenir vers le bien étaient restées vaines. C’est pourquoi Dieu nous éloigna de toutes les responsabilités politiques, et il nous installa dans les quatre coudées de la sainteté et de la pureté, en milieu protégé. Il est bien fondé de se réfugier dans les quatre coudées de la sainteté et de la pureté en attendant la résurrection nationale, sachant qu’alors les choses se présenteront autrement. Rabbénou Béhayé, qui vivait à l’époque de l’exil, disait : “Tout investissement supplémentaire dans la vie du pays provoque une destruction supplémentaire dans l’esprit” [Le Devoir des Cœurs, section de la ‘périchout’ / ‘abstinence’, chap. 7].
Mais ici, en Terre d’Israël, il n’est pas envisageable que tout le monde étudie la Thora en travaillant juste un minimum. Peut-on imaginer qu’un soldat tire un ‘kazaït’ de balles dans le temps de ‘akhilat pras’ [quantité minimale, et temps maximal pour s’acquitter de la mitsva de manger du pain aux repas de Chabbat et des fêtes], et qu’il aille ensuite se reposer ?! Le dévouement et l’abnégation sont nécessaires à l’activité économique, au commerce, à l’industrie et à l’armée, et il faut que chacun ait des connaissances spécialisées dans son domaine.
Avant la création de l’État, les harédim disaient : “Un État risquerait de tarir la source spirituelle ! De notre point de vue, peu importe que l’État soit arabe, l’essentiel est que nous puissions étudier la Thora toute la journée.” Et nous, nous disons que ce qui fera avancer le monde vers son idéal sera la montée en puissance de Talmidé Hakhamim exceptionnels qui suivront la voie de Benaïahou fils de Joïada, [voir Samuel II 23, 20], en quantité et en qualité, car en règle générale les Talmidé Hakhamim ont peur de l’univers profane, et se sentent bousculés par lui.
… certes, cette voie est basse – souvent, nous n’allons pas dans la voie de la réhabilitation de ce qui est mal, dans la voie du rassemblement de toutes les forces, mais dans celle du contrôle de soi, dans laquelle nous renonçons aussi à des éléments du bien. Pour donner un exemple de cette stratégie, pendant la guerre de Kippour nous avons miné le ‘Pont des filles de Jacob’, pour le cas où les Syriens voudraient y passer. Qu’allaient devenir les soldats juifs qui étaient de l’autre côté, et qui risquaient de voir leur retraite coupée ?? Mais il n’y avait pas le choix ! De même, dans les navires de guerre, il y a un système dont le rôle est de former des cloisons étanches dans la coque en cas d’impact de missile, afin de limiter l’invasion de l’eau et d’éviter le naufrage. Mais que se passe-t-il s’il y a des soldats piégés dans le compartiment touché ? Il n’y a pas le choix, sinon tout le monde coule ! Ceci est la ‘morale abaissée’ du contrôle : on nettoie la saleté au maximum.
…obscure – en effet, cette voie est sombre, car dans le contrôle on perd des points de lumière, et plein de clameurs de guerre – car celui qui est dans la maîtrise est coutumier du combat contre le mal ; mais malgré toute sa pénibilité, ses outils sont les bons – autrement dit, c’est la bonne voie. La voie du contrôle de soi est une méthode, elle sait comment combattre le mauvais penchant [‘yétser hara’]. À cette fin, il existe dans la nation de nombreux livres de halakha et de moussar ; nous sommes rompus à ce combat-là depuis bien longtemps. Devant elle, les forces du mal se soumettent. Alors, la suprématie revient à la droiture, – ici le sens du mot droiture n’est pas l’opposé de maîtrise, mais il désigne la droiture morale – à la justice, au bien et à l’intelligence, conformément au consensus habituel, que ces valeurs existent principalement dans la sphère du contrôle de soi. Parfois on trouve aussi dans la maîtrise des étincelles de droiture, mais l’essentiel est dans le contrôle de soi.
Le Ramhal écrit par exemple : Et tu verras que les anges se glorifient de cette vertu, comme il est dit d’eux : “Vaillants, pleins de force, exécutant sa parole pour entendre le son de sa parole” [Psaumes 103, 20] / le verset signifie que les anges exécutent la parole du Créateur avant même de l’avoir entendue, ce qui caractérise la droiture – NdT /… Quant à l’homme, c’est un homme et non un ange, il lui est donc impossible d’atteindre la vaillance de l’ange. Cependant, il est évident que tant qu’il peut s’approcher de ce niveau, il est bon qu’il s’en approche. [Messilat Yécharim chap. 6] …car l’empressement est une grande vertu pour se perfectionner. [Ibid. chap. 7] …pour ceux dont la connaissance est complète, la motivation découlera [à la fois] de l’obligation et de la valeur et l’importance des actes”. [Ibid. chap. 8] Il y a donc une sorte de ‘réserve naturelle’ aménagée dans ce livre pour la droiture, alors qu’il traite principalement de la maîtrise.
On ne peut pas faire la paix avec l’ennemi [ici : le mauvais penchant] avant l’heure, comme le pensent certains politiciens qui s’imaginent que si nous donnons des armes à l’ennemi, il s’en servira pour nous protéger ! Actuellement, nous sommes encore à l’époque du contrôle de soi, et non pas à celle de la droiture, et il est interdit de s’y tromper et de brûler les étapes.
Certes leurs cheminements particuliers sont remplis de guerre et de victoire mêlées, certes elles se servent de drogues amères – qui répriment les énergies. Comme le dit Rabbénou Béhayé dans Hovot Halevavot [Avodat Haélokim, chap.5], celui qui n’est pas prêt à se servir de remèdes amers ne réussira pas dans le service divin. Il existe des drogues amères pour atténuer les forces, et elles sont des plus nécessaires – pour se lever et tenir sur leurs pieds – ‘si je ne prends pas la potion amère, je serai malade et je mourrai sur le plan spirituel’, – mais malgré tout, la force et la justice restent à leur droite. La voie de la maîtrise, qui tue les forces du bien en même temps que les forces du mal, a aussi sa légitimité, car elle aussi peut amener à la force et à la justice.
Chacun agit selon ses capacités. Bien sûr, un homme qui porte un plâtre ne peut pas servir Dieu comme un homme qui a les jambes valides, mais c’est tout de même un service saint, le service de Dieu par le contrôle de soi dont tous les livres de moussar sont remplis.