Contrairement au cas de l’individu, la maîtrise du penchant n’est pas une démarche appropriée à la nation, elle ne correspond pas à sa nature véritable. Un individu peut décider brusquement qu’il cesse de médire de son prochain. Mais le phénomène de la médisance dans le peuple est plus grave, et il ne se change pas en un instant. N’y a-t-il donc à cause de cela aucune réparation possible pour la nation ? Bien sûr qu’il y a une réparation : la nation a besoin d’être éduquée. Mais c’est un processus qui se poursuit pendant des années et des générations. Une nation ne change pas en un instant.
Par exemple, il y eut un réveil national de grande ampleur dans le peuple après la Guerre des Six Jours, mais ce réveil ne dura pas. Dans le passé aussi nous avons connu une grande flambée d’enthousiasme, celle du peuple d’Israël lors du don de la Thora. Mais à la fin, “Le Roi encore à sa fête, mon nard exhala son odeur” [Cantique des Cantiques 1, 12] ; “Misérable est l’épousée qui se débauche sous le dais nuptial” [Guittin 36b]. L’enthousiasme peut se maintenir chez l’individu, mais pas dans la nation.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il y eut une pénurie d’énergie en Europe. Les Anglais demandèrent à leurs citoyens de réduire leur consommation d’électricité en la limitant à une heure par jour. Comme les Anglais ont un sens civique très développé, ils se conformèrent à cette demande ‘au nom de la patrie’. Et les Français ? Le citoyen français se dit : “Est-ce que parce que j’utilise l’électricité la nation va s’écrouler ? Et en plus, peu m’importent les autres”. Ainsi se montra le visage de la nation à cette époque.
Quelquefois, dans les moments difficiles, les forces de la nation font irruption au-dehors, et vu de l’extérieur cela semble quelque chose de nouveau. Mais en fait, non, elles ont toujours été là, mais dissimulées. Une nation est ce qu’elle est ! Une nation ne peut pas être contrainte. Bien sûr, il peut toujours survenir un tyran brutal qui obligera la nation à changer ses comportements. Mais ce changement tiendra le temps que le dictateur sera au pouvoir, jusqu’à sa chute. C’est comme un chat : même si chaque fois qu’il veut boire du lait on l’en empêche, dès qu’on aura le dos tourné il sautera sur le lait, et s’en remplira le ventre.
Dans le livre des Juges, on raconte comment le peuple d’Israël s’asservissait aux goyim, jusqu’à ce que se lève un Juge qui les délivre. Le peuple d’Israël faisait techouva, et après un moment il revenait à sa nature et récidivait. C’était comme cela aussi en Russie, où la moitié des citoyens travaillaient pour le K.G.B., et l’autre moitié dans le volontariat… Chacun dénonçait l’autre.
Bien sûr, la nation peut faire techouva, mais sans prendre de raccourcis. Déjà, la vraie techouva individuelle prend du temps, à plus forte raison celle de la nation. C’est une escroquerie de prétendre que tout se fait vite. La techouva des habitants de Ninive en est un exemple [voir le livre de Jonas]. Il est vrai que Dieu accepta leur techouva quand ils se repentirent instantanément, parce que Dieu accepte aussi une techouva incomplète. Mais ils finirent par revenir à leur nature première, et détruisirent le royaume d’Israël. (…)
L’État d’Israël idéal n’est pas qu’une assemblée d’hommes craignant Dieu, mais une assemblée d’hommes qui sanctifient la vie dans sa dimension matérielle – dans l’économie, dans l’armée, dans la société, dans l’administration et dans la politique. Une nation n’est pas une aventure d’individus ! Ce sont les chrétiens qui ont dit : “Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César – la vie de l’État – ce qui est à César”. Béni soit Celui qui nous a distingués des égarés ! La vie sociale elle aussi doit s’élever, c’est ce qui est appelé la ‘sanctification du domaine matériel’.
Pour tout ce qui concerne les questions collectives, il faut aspirer dès aujourd’hui à sanctifier le matériel. Pour le collectif il n’y a pas le choix, la collectivité d’Israël doit obligatoirement avoir une vie matérielle normale – une nation qui n’est pas riche est perdue, elle doit obéir au diktat des goyim ; une nation sans une armée forte est perdue. C’est précisément pour cette raison que, lorsque le Roi David envoya des soldats consoler Hanoun, le roi de Amon [qui était endeuillé], et qu’en réponse celui-ci coupa la moitié de leur barbe et de leurs vêtements, il lui déclara la guerre [Samuel II, chap. 10]. Seulement pour cette raison ? – oui. Alors tu n’as pas le sens de l’humour ? – non. L’outrage aux soldats de David était une atteinte à la collectivité d’Israël. S’ils tirent sur toi une seule balle, mobilise toute l’armée !
Tout ceci pour ce qui concerne le collectif. Mais à l’individu nous donnons comme directive : n’attache pas trop d’importance aux choses matérielles ! Un individu ne doit pas se mettre en guerre pour n’importe quelle offense.