Yifta’h le Galaadite et le processus de paix – par le Rav Chlomo Aviner


Les hommes politiques d’aujourd’hui ont-ils lu le onzième chapitre du Livre des Juges qui décrit le processus de paix mené par Yifta’h avec les Ammonites ? 

Il y avait alors un vaillant guerrier, Yifta’h le Galaadite.  [Juges 11, 1].

C’est à lui que les anciens de Gil’ad s’adressèrent lorsque le peuple juif se trouva dans la détresse. En effet, nous étions en bien mauvaise situation. Les Ammonites nous avaient attaqués, et nous étions en carence de chef. C’est pourquoi le peuple juif s’adressa à Yifta’h, qui n’était pas un chef officiel, et qui avait été injustement mis en marge de la société par ses frères, à la suite de toutes sortes de jalousies et de convoitises d’héritage. Mais cet homme n’en était pas moins un grand combattant.

Et le peuple le nomma son chef et son capitaine.  [Ibid 11].

Quelle fut la première démarche de Yifta’h ?

Yifta’h envoya une députation au roi des Ammonites, pour lui dire : Qu’ai-je à démêler avec toi, que tu sois venu porter la guerre dans mon pays ? [Ibid 12]

Ce combattant aussi vaillant soit-il n’est cependant pas prompt à la guerre. Il connaît son pays et préfère entamer des pourparlers et un processus de paix. Rabbi Itshak Abrabanel, l’éminent commentateur de la Bible qui était également un grand politicien, d’abord au Portugal, puis en Espagne, fait l’éloge de sa démarche de rechercher la paix avant tout.

Quelle est la réaction du roi des Ammonites ?

C’est qu’Israël, étant sorti d’Egypte, s’empara de mon pays, depuis l’Arnon jusqu’au Yabok et jusqu’au Yarden. Et maintenant, rends-le moi à l’amiable.  [Ibid 13].

Aucun problème, dit le roi des Ammonites, ce n’est qu’un trivial problème de territoires. Je n’ai nullement l’intention de faire la guerre pour la guerre, je veux seulement récupérer les territoires que vous m’avez pris.

Les pourparlers semblent avoir échoué, mais Yifta’h ne considère pas la partie perdue pour autant. Il envoie une nouvelle mission diplomatique, en déployant cette fois largement son argumentation, laquelle est minutieusement analysée par Don Itshak Abrabanel précité. Ce grand Sage distingue quatre parties essentielles :

1/ Yifta’h restitue tout d’abord les faits : A cette époque, la guerre que nous avions menée n’était nullement contre Ammon, mais contre Si’hon, roi des Amorréens, lequel avait précédemment conquis les territoires d’Ammon, et nous les avions reconquis de ses mains. C’est pourquoi ce n’est certainement pas à vous, Ammonites, de venir avec des réclamations contre nous, mais à Si’hon, car notre pays était alors en sa possession.

2/ Ce n’est pas nous qui avions attaqué Si’hon, mais c’est lui qui nous avait agressés, alors que nous désirions des relations de paix. Bien avant, nous avons demandé l’autorisation du roi d’Edom de traverser son pays afin d’arriver à notre destination. Devant son refus, nous avons été obligés de faire un long détour. Pareil message fut envoyé à Moav, et il fut refusé de la même façon, ce qui nous contraint également à contourner son pays. Lorsque des émissaires furent envoyés à Si’hon, il ne se contenta pas de nous refuser le passage à travers son pays, mais il rassembla son armée et se lança dans une guerre acharnée contre nous. Bien contraints comme nous l’étions de nous défendre, nous sommes sortis vainqueurs et maîtres du pays. Cette conquête, résultat d’une guerre de défense, était donc légitime. Lorsque l’on provoque une guerre offensive qui entraîne une perte de territoire, il est immoral d’y prétendre à nouveau. Quel argument est susceptible de faire obstacle à toutes les agressions politiques, si ce n’est le risque de perdre des terres qui ne seront pas restituées par la suite (15-22)!

3/ La guerre de Moché contre le roi Si’hon a été déclenchée par la volonté divine. Votre conflit n’est donc pas dirigé seulement contre le peuple juif, mais contre la présence divine elle-même. C’est Dieu qui nous a donné cette terre. Si vous avez des difficultés avec notre Dieu, adressez-vous au vôtre !

N’est-ce pas, ce que ton dieu Kemoch te fait conquérir devient ta possession ? Eh bien, tout ce que le Seigneur nous a fait conquérir restera la nôtre.  [Ibid 24]

Apparemment, votre dieu Kemoch ne vous a pas aidés lorsque vous avez été dépossédés de cette terre par Si’hon. C’est pourquoi il est inutile d’espérer nous vaincre ou vaincre notre Dieu. Vos motifs ne sont pas des motifs politiques, mais bien une tentative de vous opposer à la volonté de notre Dieu.

4/ Pendant trois cents ans, depuis la conquête de Moché jusqu’à nos jours, cette terre n’était pas entre vos mains. Durant toute cette période, nous nous sommes établis dans toutes ses villes, et vous n’avez rien dit. Pourquoi alors ne les avez-vous pas reprises ? Pourquoi vous réveillez-vous  seulement maintenant ?!

Comme nous le voyons, Yifta’h utilise de nombreux arguments, historiques, moraux, religieux, ou des arguments de bons sens, autant d’arguments qui ne furent cependant pas entendus par le roi des Ammonites.

Mais le roi des Ammonites ne tint pas compte des paroles que Yifta’h lui avait fait adresser.  [Ibid 28]

Ammon était donc bien décidé à faire la guerre. Et ce fut l’occasion pour Yifta’h de démontrer qu’il n’était pas seulement un brillant politicien, mais également un brillant stratège.

Il décida de ne pas se livrer à une guerre de défense sur notre territoire, mais de procéder à une contre-attaque en terre ennemie.

Yifta’h marcha alors sur les Ammonites pour les combattre, et le Seigneur les livra en sa main. Il les battit depuis Aroèr jusque vers Minnit – vingt villes – et jusqu’à Avel-Keramim ; défaite considérable, qui abaissa les Ammonites devant les enfants d’Israël.[Ibid 32-33]

Il est toujours préférable de combattre en terre ennemie. En fin de compte, la campagne de Yifta’h fut couronnée de succès, et suite à cette défaite, les Ammonites furent convaincus désormais qu’ils avaient intérêt à se tenir cois, ce qui nous permit de vivre en paix de longues années.


Nous ne pouvons que suggérer à tous nos politiciens qui poursuivent des pourparlers de paix avec nos ennemis de s’y préparer préalablement en étudiant avec sérieux les attitudes de leurs prédécesseurs, car comme on le sait, les paroles de nos prophètes n’ont pas été mises par écrit dans un but de nous rapporter des épisodes passés, mais également afin de nous éclairer sur la conduite à avoir dans l’avenir. 

[Rav Chlomo Aviner, ‘Haftaroth – pensée juive sur la Haftarah’, Jérusalem 2003, pp.148-150]