On ne peut mener une vie pleinement juive qu’en Erets-Israël


Rabbi Mordekhaï Dov Weisblatt  (Europe Centrale, fin du 19e siècle)


Dans le Traité Ketoubot [110b], il est dit : « Un homme doit toujours habiter en Erets-Israël, même si la ville est peuplée d’une majorité d’idolâtres, et il ne doit pas habiter hors d’Israël, même dans une ville à majorité juive, car tout habitant d’Erets-Israël ressemble à quelqu’un qui a un Dieu, comme il est dit [Lévitique 25, 38: « Pour vous donner la Terre de Canaan, afin d’être votre Dieu ». – Et celui qui n’y habite pas, n’a-t-il pas de Dieu ? – C’est pour te dire que celui qui habite hors d’Israël, c’est comme s’il se faisait le servant d’un culte idolâtre, et c’est en effet ce que dit David [Samuel I 26, 19: « Car ils m’ont empêché aujourd’hui, en me chassant, de m’attacher à l’héritage de l’Éternel, me disant :’Va servir des dieux étrangers !' ». – Mais ont-ils vraiment dit à David : « Va servir des dieux étrangers » ? – C’est pour te dire : « Celui qui habite hors d’Israël, c’est comme s’il se faisait le servant d’un culte idolâtre » ».

Et si tu demandes pourquoi nos ancêtres des générations précédentes n’ont pas appliqué ces paroles de nos Sages, il est possible à ce propos de plaider leur cause : à leur époque, on pouvait encore mener hors d’Israël une vie juive plus ou moins conforme, en comparaison avec notre situation présente. Je veux parler du changement de situation qui s’y développa progressivement, dans le sens d’un laisser-aller pour tout ce qui touchait à la religion. On raconte à ce sujet une histoire : il arriva qu’un Rav se trouve un jour à passer Chabbat dans un endroit où il y avait une vie juive. On le reçut avec de grands honneurs, comme un invité de marque. Le Chabbat, on l’honora d’une montée à la Thora, mais à son grand étonnement il vit dans le Séfer-Thora des lettres partiellement effacées, l’encre de certains caractères s’étant fortement altérée. Quand il attira l’attention des Juifs sur les défauts qui invalidaient leur Séfer-Thora, ils s’irritèrent et protestèrent : « Il y a plusieurs dizaines d’années est venu ici un très grand Rav, grand érudit en Thora, et il ne trouva aucun défaut dans ce Séfer ! ». Ayant entendu cette réponse, le Rav leur dit : « Il y a plusieurs dizaines d’années, il est tout-à-fait possible que ce Séfer ait été cacher, avec des lettres noires et selon les règles, mais maintenant, vous voyez bien que l’encre s’est écaillée d’un certain nombre d’entre elles au cours du temps. Comment pouvez-vous comparer l’état actuel de votre Séfer-Thora  avec ce qu’il était voila plusieurs dizaines d’années, quand il était neuf et cacher ? » C’est la même chose pour Erets-Israël. Il fut un temps où les Juifs vivaient une vie cachère en exil, fondaient des yéchivot, ne se mélangeaient pas aux non-Juifs, ne faisaient pas de mariages mixtes, ne mangeaient pas d’aliments interdits, etc. Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour établir que la vie en-dehors d’Israël est corrompue ; on ne peut mener une vie pleinement juive qu’en Erets-Israël.

Quant à l’argument de ceux qui attendent la venue du Messie, et ne veulent pas bouger le petit doigt pour Erets-Israël, le verset dit à leur propos [Amos 5, 2] : « Elle est tombée mais ne chutera pas plus – relève toi, vierge d’Israël ». Au troisième exil, Dieu dit en effet : « Relève-toi, vierge d’Israël – par toi-même ! ». À quoi la chose ressemble-telle ? À deux étudiants qui se sont lancé un défi pour expliquer un passage du Talmud, et qui sont convenus que le gagnant ferait tomber l’autre à terre par trois fois. [À la fin de la joute talmudique], quand le gagnant fit tomber le perdant une première fois, celui-ci refusa de se relever, car il savait qu’on le ferait tomber une deuxième fois, et le premier dut le relever de force pour pouvoir le faire tomber à nouveau. Mais quand il fut tombé trois fois, le premier lui dit : « Si maintenant tu ne veux pas te relever, tu peux rester par terre ! ». C’est ainsi qu’on explique le verset d’Amos : au troisième exil, qui est le dernier, nous devons prendre l’initiative de nous relever grâce à nos propres forces, car c’est alors que Dieu nous dit : « Relève-toi, vierge d’Israël – relève-toi par toi-même ! » [1].

On peut trouver un grand encouragement dans un passage magnifique du Midrach Vayikra Rabba, section hebdomadaire Emor, sur le verset : « Le septième mois… ». Il y est dit, entre autres, que le Saint-Béni-Soit-Il demanda à notre patriarche Jacob de monter sur l’Échelle et qu’il refusa, car il était effrayé. Alors le Saint-Béni-Soit-Il lui dit : « Jacob, si tu avais eu la foi et si tu étais monté, tu ne serais jamais redescendu. Maintenant que tu n’as pas cru et que tu n’es pas monté, tes fils seront prisonniers des nations et ils s’enferreront dans les royaumes, de royaume en royaume ». Nous apprenons de là que c’est notre devoir de profiter de toute opportunité qui nous est donnée de monter pour construire notre pays, avec une foi absolue que c’est Dieu Lui-même qui oriente l’histoire et nous invite à y monter…

Les Juifs doivent se sauver eux-mêmes. Ils doivent profiter de ce que la lumière éclaire le chemin pour les guider, sans attendre que le monde, Dieu nous en préserve, sombre dans l’obscurité, et qu’ils ne voient plus d’issue possible.

[Yad Mordékhaï pp. 109-110]


[1] Nous n’avons plus à craindre de nouvel exil, et personne ne nous forcera à nous relever pour nous faire retomber : c’est donc à nous de nous relever nous-mêmes.