Le fait que nous revenions maintenant sur notre terre montre que nous guérissons de ces fautes. La faute de la haine gratuite par exemple, qui a éclaté dans toute sa force à l’époque du Deuxième Temple, dans toutes les couches du peuple, existait déjà au temps du Premier Temple, mais elle était alors circonscrite aux castes dirigeantes, et comme le dit la Guemara de Yoma [9b] :
“Le Premier Temple ‒ pourquoi a-t-il été détruit ? – À cause de trois choses qui s’y trouvaient : l’idolâtrie, la débauche et le meurtre… Mais le Deuxième Temple, alors qu’on étudiait la Thora, qu’on pratiquait les mitsvot et la bienfaisance ‒ pourquoi a-t-il été détruit ? – À cause de la haine gratuite qui s’y trouvait. Ceci pour t’apprendre que la haine gratuite est équivalente à la somme des trois transgressions : l’idolâtrie, la débauche et le meurtre.
“Et dans le Premier Temple, n’y avait-il pas de haine gratuite ? ‒ [réponse de la Guemara :] voici ce qui est écrit : ‘Ils ont été livrés à l’épée avec mon peuple, alors frappe-toi la hanche [en signe de deuil]’ [Ézéchiel 21, 17]. Rabbi Éléazar dit : [qui sont] ces gens qui mangent et boivent les uns avec les autres, et qui se frappent les uns les autres avec l’épée qui est sur leur langue ? – ce sont les princes d’Israël, comme il est écrit : ‘Crie et lamente-toi, fils de l’homme, car elle [cette épée] a sévi sur mon peuple, elle [a sévi] sur tous les princes d’Israël’ [début du verset d’Ézéchiel].
“Et il est dit dans la Michna : ‘crie et lamente-toi, fils de l’homme’ ‒ j’aurais pu penser : sur tous ? – le verset précise : ‘elle [a sévi] – sur tous les princes d’Israël’ ”.
[À l’époque d’Ézéchiel, qui était celle du Premier Temple, ‘l’épée’ de la médisance et de la haine gratuite était seulement le fait de la classe dirigeante, alors qu’à l’époque du Deuxième Temple le problème s’était généralisé – NdT].
Mais deux mille ans d’exil et de souffrances ont presque entièrement extirpé de nous la haine gratuite. Aujourd’hui, les luttes intestines entre les différents courants du peuple sont peu de chose, à côté de ce qu’elles étaient il y a deux mille ans et plus. Il suffit de voir par exemple les atroces descriptions de Yossef ben Matathiaou [alias : Flavius Josèphe], et de lire ce que dit la Bible sur les terribles guerres entre les royaumes d’Israël et de Juda, quand un demi-million d’hommes étaient tués en une seule guerre !
Pourtant, certains prétendent que nous ne pouvons pas être à l’époque de la Délivrance, parce que “nous avons été exilés de notre terre à cause de nos fautes”, et que le peuple d’Israël est toujours rempli de pécheurs qui profanent le Chabbat, qui négligent la pureté familiale, et qui mangent du lapin et du porc…
Cependant, comme nous l’avons vu, ce ne sont pas toutes les fautes qui sont causes de l’exil. Le Rav notre maître aborde cette question dans l’article la Consolation d’Israël/Nehamat Israël [Maamaré Haréïya, pp. 279-294], et voici ce qu’il dit :
“Que nous ayons été exilés de notre terre à cause de nos fautes, c’est une chose bien évidente, écrite dans la Thora, répétée par les Prophètes et redite encore par les Hagiographes. Il est également clair qu’il y avait un but constructif à la destruction et à l’exil, de ‘mettre fin au péché et de supprimer la faute’ [Daniel 9, 24]. Mais comment cet exil pouvait-t-il mettre un terme à nos fautes, et nous placer dans le faisceau de lumière des absous de toute péché, d’un peuple saint, pur et innocent ?
“Ceci appelle une explication claire, une étude en profondeur, pour se familiariser avec les idées et les comprendre vraiment… À la base, la faute qui provoque l’exil est : [1/] ce qui détruit le caractère divin de l’entité nationale, son fond de sainteté collectif, [à savoir la débauche,] qui retire à chacun la possibilité d’élever sa vie intérieure vers la pureté et la sainteté de ses désirs ; [2/] ce qui obscurcit l’éclairage divin dans sa généralité, et l’empêche d’éclairer la nation à son plus haut niveau [à savoir l’idolâtrie]” [Dans le Traité de Chabbat, p. 33a, la Guemara explique en effet que les trois fautes qui amènent l’exil sont la débauche, l’idolâtrie et le non-respect des années sabbatiques et des jubilés. Le Rav Kook explique également ce troisième point dans le texte original, auquel on pourra se reporter – NdT]...
“… Quand Israël fauta, quand ‘ils abandonnèrent l’Éternel, outragèrent le Saint d’Israël, reculèrent loin de Lui’ [Isaïe 1,4], l’âme nationale en fut atteinte, les hautes et saintes aspirations qui sont la base de toute son existence se mirent à manquer et à s’estomper, au point que leurs lueurs deviennent imperceptibles. Le désir divin présent dans les profondeurs de l’âme d’Israël, alors qu’il devait se renforcer et passer à l’action, resta enfoui et caché ; il descendit jusqu’à son niveau le plus fruste, jusqu’à la dévalorisation complète de la vie et de la pensée…
“L’esprit du Dieu vivant peut être enseveli et dissimulé sous des amas de perversité, d’entêtement et de corruption des mœurs, sous des fatras d’idéologies trompeuses au contenu de méchanceté, de bassesse et d’imagination chimérique. Mais la marque divine ne sera jamais complètement effacée du caractère national… Dans le peuple d’Israël, le caractère humain à l’image de Dieu est si étroitement lié au diadème divin qui couronne la nation [la segoula d’Israël], que lorsque le second est mis à mal, le premier se dégrade aussi de manière catastrophique [la spiritualité sublime entraîne dans sa chute la moralité courante]. La vie de la collectivité tomba tellement bas que le caractère national commença de miner lui-même son propre fondement. Ce qu’il avait de bon et de divin fut relégué et mis en sommeil, et les comportements prirent le chemin du mal et du vice : ‘car leur mère s’est débauchée, celle qui les a conçus s’est couverte de honte’ [Osée 2, 7]. Le caractère divin de son regard disparut et se perdit : ‘Il y avait la lyre, la harpe, le tambourin, la flûte et le vin de leurs beuveries, et ils ne regardaient plus les actes de l’Éternel, ils ne virent plus l’œuvre de ses mains. C’est pourquoi mon peuple fut exilé pour son égarement, ses notables devinrent des gens affamés et sa multitude fut altérée par la soif’ [Isaïe 5, 13].
“Dans le cœur des individus persistait la marque profonde [de la segoula d’Israël], impossible à effacer, mais la vigueur morale émanant de l’influence divine, celle du désir divin dans sa plénitude, héritage de l’âme nationale venu de la sainteté des Patriarches, patrimoine de l’idéalisme lumineux de la Thora reposant sur cet héritage… dans la trame de la vie collective elle avait été dévastée presque jusqu’à la base, elle était arrivée au seuil de l’anéantissement…
“Le côté mauvais de cette société pervertie, plus étalé que le bon côté caché des individus, trouva les instruments de sa corruption dans les instances du pouvoir et du gouvernement. Il fallait donc démolir cette vie sociale corrompue de fond en comble, la tournure qu’elle avait prise dans les faits, et les mauvaises graines qu’elle était arrivée à implanter dans le cœur des individus, le poison qu’elle était arrivée à instiller dans les conceptions les plus pures et les plus saintes”.
Alors Israël fut exilé de sa terre. Et quel fut le rôle de l’exil ?
“L’arrêt prolongé des activités politiques et de leurs disputes réduisit au silence pour longtemps la personnalité collective, jusqu’à ce que la nation ait eu le temps et l’expérience nécessaires pour bien approfondir son bilan moral. Le tumulte et le tracas d’une vie à la recherche du pouvoir et des honneurs troublent la pureté morale de notre nation, de même que les soucis du moment, dans la lutte pour la vie de chaque individu, troublent les idéaux de sainteté dans la profondeur de son âme. Toutes ces interférences cessèrent pendant un temps très long, et ce répit accordé au peuple d’Israël permit à sa moralité naturelle de revenir à elle peu à peu. Les forces divines en état de léthargie revinrent à la vie. La vocation essentielle de la nation retrouvait ses bases grâce à la vigueur de la force morale projetée par l’éclairage divin au plus profond d’elle-même, grâce au désir puissant d’en faire régner la lumière. Une vie de droiture, de pureté, de moralité, de connaissance suprême, de bonté et de justice, équilibre idéal déterminé par le caractère divin de l’Alliance des Patriarches, voilà tout ce qui définit son originalité essentielle”.
Et où voyons-nous cela ?
“Chez beaucoup de gens de notre génération, nous trouvons que bien qu’ils se soient éloignés de l’Éternel en perdant de vue le contenu essentiel de la Thora, qu’ils soient dégoûtés de la religion et de la sainteté et qu’ils aient pris le chemin des mécréants des nations, malgré tout l’exigence de droiture collective est bien vivante au fond d’eux, intense et sublime, et ils restent attachés aux mitsvot ‘rationnelles’ et morales avec un très grand dévouement. Ceci nous apprend que la force divine de la sainteté des Patriarches, qui pousse la collectivité d’Israël ‘à garder la voie de l’Éternel, à pratiquer la justice et les lois divines, [Genèse 18,19], a commencé de se ressaisir et de donner ses fruits”…
Dans l’ouvrage cité, le Rav explique plus longuement la raison profonde de ce reniement de la foi. Revenant à notre sujet, il poursuit :
“… Le peuple d’Israël, au niveau collectif, est déjà lavée de toute faute : ‘Et ton peuple, ce sont tous des justes’ [Isaïe 60, 21. Et quand le verset dit : ‘tous des justes’, il parle bien-entendu au niveau du collectif ; voir Hessed LéAvraham, source 3, fleuve 12 ; Orot Israël 9, 5] ; ‘Parlez au cœur de Jérusalem, et criez-lui que son temps d’épreuve est fini, qu’elle a reçu de la main de l’Éternel double peine pour toutes ses fautes’ [Isaïe 40, 2].
“Nous voyons aujourd’hui sous nos yeux que si la nation d’Israël se lève dans la force et la dignité pour devenir une nation dynamique et puissante, indépendante et engagée dans les relations internationales avec le monde entier, c’est qu’elle arrive au bout de son expiation et de son redressement”.
Le Rav parle ici du point de vue collectif et général, et non du point de vue individuel. Ainsi, on voit par exemple que la faute de la débauche n’existe plus dans le peuple d’Israël comme facteur de décomposition sociale.
“Nous avons l’obligation de consoler Israël, de faire connaître la valeur du peuple d’Israël pris dans sa dimension collective, de faire connaître la pureté de son âme, et la santé fondamentale enracinée en lui… Nos forces nationales ont besoin d’être stimulées et encouragées, éclairées et étendues, elles ont besoin de consolation et de mise en confiance, et de la conviction claire et intime que ‘Le peuple qui réside [à Sion] est pardonné de ses fautes’ [Isaïe 33, 24].
“Certes, il est bien évident qu’au niveau des individus il faut une guidance morale est nécessaire, et quand le besoin et la possibilité se rencontrent, des blâmes et des réprimandes, voire des remontrances vigoureuses contre cette attitude de révolte, toujours en visant le sujet [et non la personne]. Mais l’esprit collectif a besoin d’encouragements et de consolation, de défenseurs et d’éloges, car il en est digne et il en vaut la peine : ‘Il est temps de lui faire grâce, car le moment est venu’ [Psaumes 102, 14].
“…Et qui a fait pour nous toutes ces choses ? Qui a transformé le cœur rejeté et ébranlé [de ce peuple] en cœur plein d’amour et de sérénité, et la société délabrée, qui était tombée au niveau ‘des bandits de grands chemins et des assassins qui sévissent à Sichem’ [Osée 6, 9] en communauté honnête et cachère ? Nous devons le reconnaître : ce sont les souffrances de l’exil qui ont dépêché les remèdes salvateurs, et qui ont rétabli la sainteté d’Israël sur sa base.
“Nous devons maintenant être fiers à juste titre de pouvoir assurer que plus le caractère de la société israélienne s’affirmera de façon nette et spécifique, plus sa vie sociale et ses institutions se développeront, et plus elle continuera de s’embellir et de s’améliorer, d’enrichir sa culture et la beauté de ses usages, pour la plus grande gloire de Dieu et de l’homme…
“Il est vrai que pour achever d’améliorer notre comportement social dans tous les domaines, nous avons encore besoin de remèdes. Mais le remède est proche de nous : ‘Les Sages font progresser la paix dans le monde’ [Bérakhot 64a]”.
[Autrement dit : la thérapie appropriée consiste à diffuser largement la Thora, plutôt que de dénoncer les défauts collectifs en long, en large et en travers – NdT]