Rabbi Moché Sofer – le ‘Hatam Sofer’ (Francfort sur le Main 1762 – Bratislava 1839)
« Si je n’avais la certitude de voir la bonté de l’Éternel sur la Terre des vivants !… » [Psaumes 27, 13]
« La bonté de l’Éternel sur la Terre des vivants » – il veut dire : « comme si« , et il écrit : « si je n’avais la certitude » [1]. Même si je ne croyais pas voir les bontés de l’Éternel, j’ai confiance de les voir dans la Terre des vivants. C’est pour indiquer que l’essentiel de l’accomplissement de la Thora et des mitsvot n’est que dans la ‘Terre des vivants’, qui est Erets-Israël, et que c’est ainsi que pouvons acquérir le mérite de voir les bontés attendues. D’ailleurs, bien que ce soit pure vérité et que nous y adhérons, quand bien même nous n’aurions pas le mérite de voir tout cela, de toute façon nous serions heureux de pouvoir seulement servir l’Éternel en Erets-Israël, même sans être payés de retour, car que peut-il y avoir de mieux ? Et le mot ‘certitude’ est un appui, comme un pieu planté dans un terrain solide [2]. Il dit : « Si la vérité n’était pas ainsi, si je n’avais la certitude de voir les bontés de l’Éternel dans le monde à venir, de toute façon je croirais quand même voir la Terre des vivants dans sa sainteté, pour y accomplir les mitsvot selon la volonté de l’Éternel ».
L’octroi du droit de citoyenneté à nos frères Israélites dans les pays où ils furent dispersés [3] – à quoi ressemble-t-il ? À ces fils de roi qui furent bannis de la table de leur père, et qui errèrent d’un exil à l’autre. Ils souffrirent bien des malheurs, et ils acceptèrent tout avec amour, sachant qu’à la fin ils reviendraient à leur dignité passée dans la maison de leur père. Après qu’ils eurent passé de longs jours d’épreuves, le roi se prit pour eux de miséricorde, et il leur envoya des équipes d’ouvriers pour leur construire un palais royal dans leur exil ! Les fils, qui étaient bien éduqués, reçurent les équipes de travail de façon respectable, et ils écrivirent une lettre de remerciement à leur père pour tous ses bienfaits. Mais en secret, leur âme pleura amèrement : « Toutes les peines que nous avons subies jusqu’à maintenant ne peuvent se comparer à cette grande affliction : nous sommes restés en exil pendant tout ce temps, et nous avons tout supporté, parce que nous pensions que l’heure approchait de notre rachat et de notre délivrance. Et en fin de compte, notre père nous envoie un palais royal dans notre exil ! Cela semble n’avoir qu’une signification, à savoir qu’il veut, à Dieu ne plaise, nous abandonner [définitivement] à la condition d’exil ». Ainsi avons-nous, à cause de nos nombreuses fautes, subi exils et persécutions et partagé un sort cruel pendant presque deux mille ans ; or, nous avons tout supporté car nous nous sommes dit : « L’échéance de notre rachat se rapproche ». Et voici que l’Éternel nous a témoigné sa bonté aux yeux des princes et des rois du monde entier, qui de nouveau ont pris de bons décrets à notre égard. Nous remercions l’Éternel pour toute sa bonté et nous remercions les rois des peuples à l’ombre desquels nous résidons, mais en secret notre âme pleure : jusqu’à quand serons-nous encore dispersés, sans pouvoir nous rassembler pour le retour à Sion ?
« Aimez le Chalom » [Zacharie 8, 19] – il s’agit de la reconstruction du Temple… Aimez-le et guettez son retour ; ne soyez pas parmi les détracteurs de Sion, ceux qui rechignent à revenir et choisissent la tranquillité apparente que leur apporte la soumission aux nations du monde, plutôt que la délivrance et le rachat de nos âmes.
[Sermons du Hatam Sofer – Sermon de Chabbat Chouva]
[1] Il veut évoquer une condition irréelle (« comme si« ) en l’exprimant par « si… ne… pas« . Dans le contexte du Psaume : « Ils auraient obtenu ma perte, si je n’avais pas eu le mérite de la foi en la parole de l’Éternel, qui m’a promis de voir ses bontés dans ce monde » [Metsoudot David]. Et ici : « Même si je n’avais la certitude de voir toutes les bontés de l’Éternel à la fin des temps, de toute façon j’ai confiance de les voir dans ce monde-ci en Terre d’Israël« , et il l’explique dans la suite.
[2] L’essentiel de ma force est dans la croyance en l’accomplissement de la promesse divine dans ce monde, dit le Roi David.
[3] L’émancipation des Juifs, qui deviennent citoyens à part entière à la suite de la Révolution Française.