Mordechaï, le Juif ou le sioniste ?


Par le Rav Chlomo Haïm Hacohen Aviner – chelita.

Mordechaï, citoyen perse fidèle et modèle, qui finit par devenir vice-roi, porte en fait un masque. Le livre d’Esther nous révèle sa véritable personnalité de défenseur du peuple. “Il désire le bien de son peuple”, et ce n’est que pour pouvoir agir dans ce sens qu’il est devenu roi des Perses. Il était, non pas un Perse-de-confession-israélite, mais un “Ich Yéhoudi”“un homme juif exilé de Jérusalem avec l’exil”, tout comme les Juifs de France sont des Juifs exilés en France, nés en France par un accident de l’Histoire.

Rabbi Moïse de Coucy, auteur du “Sefer Mitsvot Gadol”, le grand livre des mitsvot, était appelé “Sire”“le sire de Coucy”, mais il signait “Moché, l’exilé de Jérusalem qui se trouve en France”. Sa patrie, tout comme celle de Mordechaï, c’était Erets Israël.

En effet, certains détails de l’histoire de Mordechaï nous dévoilent cet Amant de Sion camouflé. Pourim n’est-il pas la fête des masques ?

En 3327, lors de l’exil en Babylonie de Iehonia, roi de Juda, Mordechaï décida de se joindre à lui avec une partie de la noblesse. C’était onze ans avant la destruction du Temple.

En 3338, année de la destruction du Temple, Mordechaï se trouve depuis onze ans en Babylonie avec la noblesse juive. 

En 3390, 52 ans après la destruction du Temple, Cyrus transfère sa capitale de Babylone à Suse, emmenant avec lui Mordechaï, déjà haut fonctionnaire du royaume, et préparant sa stratégie de sauvetage du peuple juif.

Et lorsqu’en 3390, Cyrus publie sa célèbre déclaration autorisant les Juifs à rentrer en Israël et à reconstruire le Temple, Mordechaï a obtenu gain de cause et rentre en Erets Israël [Ezra, chap. 2]. Il lui a fallu rester 63 ans en exil pour obtenir de Cyrus cette déclaration.

Une troublante analogie historique nous montre le Rav Kook, invité à un Congrès de l’Agoudat Israël en Allemagne, se trouvant bloqué en Europe quand la Première Guerre Mondiale éclata. En tant que ressortissant russe, il était considéré par les Turcs, alors maîtres d’Erets Israël, comme un ennemi. Il se rendit alors en Angleterre où les Juifs assimilés et également les orthodoxes s’opposaient au sionisme, et son autorité pesa de façon décisive dans l’obtention de la Déclaration Balfour

Certes, le retour en Erets Israël ne s’effectue pas sans problèmes. À l’époque de Mordechaï déjà, des populations s’étaient installées en Erets Israël et prétendaient en exclure les Juifs qui y revenaient. Les menaces et le terrorisme s’avérant inefficaces, ces populations usèrent de la voie diplomatique pour obtenir de Cyrus, en 3392, un arrêt de l’immigration. Les Juifs, bien sûr, envoyèrent également leur propre délégation afin de tenter d’enrayer le mal.

À la tête de la délégation des peuples se trouvait Haman, et à la tête de la délégation juive Mordechaï, contraint à redescendre en exil pour le bien de la nation. Dans un premier temps, ce fut Haman qui eut gain de cause et qui,ne se contentant pas de bloquer le processus du Retour en Erets Israël, s’efforça de tenter d’exterminer le peuple juif dans sa totalité. C’est alors en 3394 qu’eut lieu le festin mentionné par la Meguila. Mordechaï et Esther, par une action concertée, réussirent à renverser entièrement la situation et à faire exécuter Haman et sa famille. En récompense de sa fidélité, Mordeckhaï devint premier ministre et obtint des privilèges pour les Juifs…

En 3406, Darius, fils d’Assuérus et d’Esther, autorisa de nouveau les Juifs à monter en Israël et à reconstruire le Temple.

Mordechaï ne fut un haut dignitaire de la Cour du Roi de Perse qu’en apparence ; il fut en réalité un ardent défenseur de son peuple et un artisan du Retour en Erets Israël.


[In : ‘Le Souffle de Vie”, Jérusalem 5757 (1997), pp. 27-28.]