2. L’idéalisme

Cette vision des choses fait déjà tomber le diagnostic habituel des rabbins qui disent que cette génération “est vile et méprisable, par nos innombrables fautes”, que “jamais encore il n’y avait eu autant de dévoiements et de méchanceté en une seule génération”, que “tout ce qui l’intéresse, c’est l’argent et les plaisirs”. En cela, ils se cachent le mérite qu’il y a dans la Génération, tout l’idéalisme qu’il y a dans la Génération, et tout le dévouement.

Aujourd’hui, il est plus facile de voir l’idéalisme de la Génération qu’à l’époque du Rav notre maître. Un homme qui va à l’armée parce qu’il est prêt à donner sa vie est-il vil et décadent ? C’est de l’abnégation ! Le harédi n’explique pas l’engagement dans l’armée en termes d’abnégation parce que cela contredit son diagnostic. Il est difficile au harédi de reconnaître que c’est une grande génération, c’est pourquoi il recourt à toutes sortes d’arguments. Le plus commode est de dire : ‘tout est mal’, ou : ‘tout est bien’. Et pourtant, il y a des hilonim qui font du bien toute leur vie, qui ne volent pas, qui disent la vérité, qui vont à l’armée – tout cela, ce sont des qualités constitutives, pas une action isolée !

Dans les nations, les non-Juifs vont à l’armée pour donner libre cours à leurs pulsions violentes, comme le Rav notre maître le dit dans Orot“La discipline morale prônée par la culture profane a beaucoup tourmenté les peuples. Elle a accablé leur cœur, et beaucoup de vices, de maladies et de rages se sont accumulées dans le tréfonds de leur âme. Et ils se déchaînent au moyen de guerres sanglantes et cruelles, qui s’accordent mieux avec leur nature encore mal dégrossie” [Orot – La Guerre, chap. 5] 

Dans la société actuelle, il est “impossible” d’être violent à cause de toutes les lois qui sanctionnent la violence, c’est pourquoi tout explose dans de terribles guerres. Dans les armées des nations, plus l’unité est combattante, et plus les soldats sont violents et vulgaires, alors que dans l’armée d’Israël, plus l’unité est combattante, et plus la personnalité des soldats est raffinée. Les soldats américains qui revenaient du Vietnam étaient devenus des malades mentaux, on ne pouvait plus les intégrer dans la société tellement ils s’étaient transformés en sauvages, en individus antisociaux qui ne savaient plus ni écouter ni réfléchir. Les soldats d’Israël, même après 60 années de guerre très dures, sont restés des personnes sensibles.

Un jour, des soldats qui étaient entrés dans une maison de Ramallah me demandèrent s’il était permis d’utiliser l’électricité pour recharger leur téléphone. Une autre fois, des soldats qui étaient entrés dans une maison arabe obligèrent la famille à dormir dans une autre pièce, pour que les soldats puissent dormir dans une pièce séparée. Le lendemain, ils collectèrent cent shekels par personne pour les donner aux résidents. C’était exagéré, parfois nos soldats ont trop de compassion. Mais tout cela provient d’une âme miséricordieuse et aimante pour l’homme, et certainement pas d’un caractère cruel.

Einstein disait que le baromètre d’un peuple est son comportement à l’armée. À l’armée, il n’y a ni les barrières ni les lois de la vie civile. Les soldats des nations violent, maltraitent et tuent. Mais chez nous, cela ne se passe pas comme cela. Dans l’armée d’Israël se révèle aussi notre personnalité délicate, et quelquefois trop, comme Achab, qui eut pitié de son ennemi Ben Hadad [voir Rois I, 20] et qui fut réprimandé à ce sujet par le prophète. Dans son armée, il n’y avait aucune médisance [Midrach Devarim Rabba 5, 6], et nos Sages disent de lui qu’il était ‘à égalité’, une moitié de fautes et une moitié de mérites [Sanhédrin 102b, d’après Rachi].

Le Rav Kook notre maître écrit dans ‘Orot’ que les ‘bons fauteurs’, ceux qui sont liés à la collectivité d’Israël et qui œuvrent pour le peuple d’Israël, sont d’un certain côté préférables à ceux qui ont la crainte de Dieu sans avoir la dimension collective d’Israël. À un rav qui lui demanda : “D’où tenez-vous cela ?”, il répondit : “C’est écrit dans ‘Chaar Haguilgoulim’ du Ari zal, et on l’apprend d’Achab”.