1 – Pourquoi passer son temps à étudier ?
Pour qui s’imagine que la Thora s’étudie comme un sujet technique, où il suffit de recueillir des informations et de comprendre leurs liens logiques, l’importance donnée à l’étude par le judaïsme, et surtout le zèle des Sages à consacrer tout leur temps à l’étude, sont difficiles à comprendre : pourquoi revenir tout le temps sur les mêmes textes alors qu’on les connaît déjà par cœur ? Quel intérêt à toujours répéter la même chose ?
2 – La spécificité de la langue hébraïque.
D’abord il faut savoir que la richesse de la langue hébraïque est unique, et que la fonction du signifiant par rapport au signifié n’y est pas seulement descriptive, comme c’est le cas ailleurs, mais véritablement constructive. C’est-à-dire que les mots se composent selon une arborescence de ‘racines’ combinant les lettres par deux, puis par trois, dans une logique où la morphologie et le sens sont étroitement liés. Les racines dilitères déterminent un sens général, à partir duquel l’idée se précise par l’adjonction d’une troisième lettre qui forme la racine trilitère du verbe hébreu. Il y a ainsi une structuration sémantique qui n’existe nulle part ailleurs, et qui suggère fortement que le mots hébreux furent composés par une pensée créatrice a priori, et non par les progrès hasardeux d’une communication primitive entre proto-humains. La tradition juive voit là également une preuve que les paroles divines créèrent le monde en hébreu, appelé en conséquence ‘lachon hakodech’ [= la langue du Saint]. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir davantage, et on pourra utilement se référer à ce sujet à la méthode d’exégèse du Rav Chimchon Raphaël Hirsch, qu’il expose dans son commentaire sur le Livre de la Genèse.
3 – La Thora, source de vie.
Il est facile de comprendre en tout cas que la complexité et la profondeur des textes saints écrits en hébreu, qui reproduisent à l’infini l’empreinte de la création du monde à travers la structure des mots eux-mêmes, est sans commune mesure avec toute autre étude scientifique ou littéraire, et qu’ils constituent une source inépuisable pour la méditation et le commentaire. Nos Sages font remarquer que le mot ‘oth’ [= lettre] vient d’une racine qui veut dire ‘véhiculer’. Ainsi, notre tradition stipule que chacune des lettres saintes de la Thora fait transiter vers celui qui l’étudie des éclats de lumière divine, et avec eux des parcelles de vie. L’étude ne cesse de grandir celui qui étudie par l’afflux de ces parcelles de vie qu’il reçoit et qu’il accumule.
4 – Le profit de l’étude.
Nous avons compris de ce qui précède que l’étude de la Thora n’est nullement une simple accumulation de connaissances, mais une véritable rencontre avec Dieu. La Thora est un des dévoilements les plus forts de la Divinité dans ce monde. La condition en est que cette étude ait lieu dans la modestie et l’annulation de soi devant le Divin, avec l’espoir qu’Il me “fera grâce de la connaissance” [Prière des Dix-Huit Bénédictions], et alors le flux de bénédiction ne tarit jamais. En effet, celui qui a donné la Thora est aussi celui qui crée le monde de manière constante : « Qui renouvelle par sa bénédiction chaque jour et pour toujours l’œuvre créatrice du début » [Bénédiction avant de dire le Chéma’ du matin]. De même que Dieu crée en permanence un dynamisme et un renouvellement vital dans tout ce qui existe, de même ma rencontre avec le Créateur dans l’étude me recrée en permanence, et entraîne des changements dans ma personnalité : tous les traits de caractère bas et vils sont amendés par la lumière divine qui se trouve dans la Thora.
5 – La base nécessaire à l’étude.
Toutefois ceci n’est possible qu’après élimination les barrières qui font obstacle à la Thora, comme par exemple les mauvaises middot, les mauvais comportements, les mauvaises conceptions. C’est pourquoi, avant même d’étudier la Thora, il faut faire techouva, c’est-à-dire se nettoyer de tous ces obstacles, faute de quoi l’étude, au lieu d’être profitable, pourrait au contraire être nocive, comme le disent nos Sages : « S’il est méritant, elle lui devient un élixir de vie, et s’il n’est pas méritant, elle lui devient un élixir de mort » [Yoma 72b]. Et il faut entendre ‘être méritant’ [‘zakha’] au sens de ‘zikhoukh’, ‘purification’, c’est-à-dire s’il purifie ses middot. Alors la Thora elle-même va amplifier ses forces et les bonifier, et sinon elle ne fera qu’amplifier le mouvement dans le mauvais sens.
6 – Les effets différenciés de l’étude.
La Thora nous dit : « Que mon enseignement ruisselle comme la pluie, que mon discours s’écoule comme la rosée ; comme les tempêtes sur la végétation, et comme les gouttes d’averses sur les plantes » [Deutéronome 32, 2 – trad. d’après Rachi]. Explication de la Guemara : « Rav Yéhouda dit : “Que mon enseignement ruisselle comme la pluie” – c’est le vent d’ouest, qui vient de l’arrière du monde ; “Que mon discours s’écoule comme la rosée” – c’est le vent du nord, qui dévalue le monde [qui dévalue l’argent car les produits de la terre sont rares et leur prix est élevé] ; “Comme les tempêtes sur la végétation” – c’est le vent d’est, qui amène la dévastation sur le monde comme un démon ; “ comme les gouttes des averses sur les plantes” – c’est le vent du sud, qui amène les averses et fait pousser les plantes » [Baba Batra 25a]. Autrement dit, les effets de la Thora peuvent être aussi divers que les quatre vents, selon le mérite de celui qui l’étudie. C’est pourquoi nos Sages enseignent qu’on ne fait pas entrer au Beit haMidrach un élève qui n’a pas les qualités requises, afin d’éviter que la mauvaise graine se mette à pousser au lieu de la bonne. On commence donc par apprendre à l’élève à bien se conduire à l’extérieur du Beit haMidrach. Et quand il a acquis ces principes fondamentaux, on peut l’arroser de Thora et le faire grandir comme une bonne plante en terre fertile.