1. La lumière divine éclaire le monde vers son accomplissement.
Ceci a commencé depuis la nuit des temps.
“Dieu dit : ‘Que la lumière soit !’, et la lumière fut” [Genèse 1, 3].
On remarque une répétition apparemment inutile dans cette phrase, on s’attendrait à trouver : “- et il en fut ainsi”, et non : “- et la lumière fut”. Nos Sages expliquent qu’il ne s’agit pas de la même lumière. Comment cela ? Dieu a créé le monde le premier jour avec une intensité de lumière [c.a.d. de dévoilement divin] trop forte pour que le monde à peine créé puisse le supporter. Pour ‘baisser l’intensité’, Il remisa la lumière originelle le quatrième jour, et lui substitua celle du soleil et de la lune pour régir la succession des jours et des nuits [cf. Rachi sur Genèse 1, 14]. Au fur et à mesure du développement de l’histoire, le monde progresse, et Dieu fait revenir petit à petit la lumière du commencement en se dévoilant de plus en plus. Ce dynamisme constant, qui fait avancer le monde vers son but ultime, c’est cela le messianisme.
2. Israël, le peuple en charge du messianisme.
Toute l’histoire d’Israël est une longue et complexe suite de tentatives pour amener le dévoilement divin à son total accomplissement. Il naît en tant que peuple à sa sortie d’Égypte. Pendant les 40 années de la traversée du désert, sous la conduite de Moïse, il reçoit la Thora et se prépare à recevoir la Terre donnée sous serment par Dieu à ses pères fondateurs, Abraham, Isaac et Jacob. Puis il la conquiert avec Josué, et après une période de prise de contact à l’époque des Juges, il y établit son royaume au temps de Samuel et Saül. La royauté d’Israël connaît son apogée avec David et Salomon, mais ses fondements se dégradent bientôt, le royaume se divise. Les rois s’égarent dans l’idolâtrie, et bientôt la débâcle survient avec la destruction du Premier Temple et l’exil à Babylone. Un deuxième essai a lieu après le décret de Cyrus : des Juifs reviennent avec Ézra et y édifient le Deuxième Temple, mais de nouveau cette tentative aboutit à un échec politique. C’est la destruction de Jérusalem par les Romains, avec à la clé un exil de 2000 ans, un démembrement du peuple et une dispersion complète parmi les nations du monde. Ces 2000 ans d’exil étaient le moyen nécessaire pour amener le peuple d’Israël à la maturation morale et spirituelle indispensable pour l’enclenchement du processus messianique.
3. Le messianisme : une perspective universelle.
Le messianisme n’est pas simplement le sauvetage du peuple juif persécuté par les nations, mais c’est la rédemption totale de l’humanité, amenée à un niveau moral tel qu’il n’y aura plus de guerres. Le mal en général sera extirpé à sa source, et la mort elle-même sera totalement annulée. Le messianisme procède par étapes dans l’histoire. L’homme a commencé au Jardin d’Éden, une première chute l’a fait descendre dans ce monde-ci, puis une deuxième chute a amené Israël en exil où il a été complètement disloqué. Or c’est Israël qui constituait le cœur de l’humanité, et sa dislocation a mis celle-ci dans une situation de crise en permanente aggravation.
4. Quand commencent les temps messianiques ?
La période de l’exil débouche sur ce qu’on appelle les ‘temps messianiques’ [‘yemot Hamachiah’]. Nos Sages tracent une frontière bien claire entre l’exil et les temps messianiques :
“La seule différence entre ce monde-ci et les temps messianiques tient à l’asservissement [d’Israël] par les nations du monde” [Berakhot 34b ; Chabbat 63a et 151b ; Pessahim 68a ; Sanhedrin 91b et 99a].
Autrement dit, ce qui marque la limite entre l’exil et les temps messianiques est le retour du peuple d’Israël à l’indépendance. On peut donc affirmer sans ambiguïté que le phase des temps messianiques a débuté le 5 Iyar 5708 [14 mai 1948], et nous constatons que depuis ce processus ne fait que s’amplifier, à la mesure de la montée en puissance de l’État d’Israël. Bien entendu, il faut avoir conscience que cette transition ne s’est pas faite brusquement d’un seul coup, mais mais qu’elle est la résultante de tous les efforts, les aspirations et les espérances du peuple juif dans toutes ses générations.
5. Messianisme et identité juive.
En effet, chaque Juif éprouve dans son cœur l’attente de la Délivrance de manière constante, et c’est d’ailleurs un des points cruciaux sur lesquels il devra rendre des comptes :
“Rava dit : au moment où l’homme est amené au Jugement [après sa mort], on lui demande : ‘- As-tu été honnête dans tes affaires ? – As-tu fixé des moments pour étudier la Thora ? – T’es-tu occupé d’avoir des enfants ? – As-tu ‘guetté’ [‘tsipita’] la Délivrance ? – As-tu discuté avec sagesse [des sujets qui concernent notre peuple] ? – As-tu analysé les choses avec intelligence ?’ – et même s’il répond ‘oui’ [à toutes ces questions, il n’est admissible au ‘‘olam haba’ que] si la crainte de Dieu a été pour lui son bien le plus précieux » [Chabbat 31a].
6. Une attente active.
Le fait de ‘guetter la Délivrance’ ne se limite pas à une attente patiente devant les événements [‘wait and see’], mais impliquent un engagement pour, comme le dit Rachi, “voir la réalisation des prophéties de tes jours”. La question posée le jour du Jugement est donc : “- As-tu été aux aguets pour examiner les événements, à l’affût des opportunités pour mettre la main à la pâte et faire avancer le monde vers sa Délivrance” ? Le Rav Kook explique que ‘tsipiya layechou’a’ [‘l’attente active du salut’] dérive de la même racine hébraïque que ‘tsofe’ [‘guetteur’, ‘sentinelle’]. La sentinelle postée en-haut de la tour scrute l’horizon pour guetter l’approche de l’ennemi, et tant qu’il ne voit survenir aucun danger, il se contente de noter tranquillement ses observations dans son carnet. Mais dès qu’il aperçoit une colonne ennemie, il doit évidemment sortir aussitôt de sa routine, se précipiter et donner l’alerte pour mettre les troupes en ordre de bataille.
De la même manière, pendant l’exil où rien ne bougeait, les Juifs étaient dans une attente passive et routinière du messianisme. Mais les choses ont bien changé ces dernières décennies, et l’horizon qui semblait bouché depuis 2000 ans a commencé de frémir. La vie, qui avait travaillé secrètement pendant le long hiver de l’exil, se met à jaillir en une brusque floraison. Les cœurs s’éveillent et les Juifs affluent vers la terre d’Israël. Le messianisme se met en route, et le moment est venu pour chacun de sortir urgemment de sa passivité pour mettre toute sa force dans cette dynamique.
7. Les signes de l’ère messianique.
Dans le traité Sanhedrin (98a), la Guemara se pose la question des signes qui accompagnent le messianisme. Après avoir envisagé toutes sortes de possibilités et les avoir repoussées, les Sages concluent :
“Qu’ils aillent au diable, tous ceux qui font calculs et supputations sur la venue du Messie !”…
…pour terminer par l’enseignement de Rabbi Aba :
“Il n’y a pas de signe plus évident de la fin de l’exil que ce qui est dit dans le verset :
‘Et vous, montagnes d’Israël, donnez vos branches et portez votre fruit pour mon peuple Israël, car ils sont proches de venir [; car Me voici de retour vers vous, Je me tournerai vers vous et vous serez cultivées et ensemencées]’ [Ézéchiel 36, 8-9]”.
Le fait que la terre d’Israël donne ses fruits en abondance est le signe avéré que le processus du messianisme est désormais déclenché ouvertement, alors que jusque là il était sous-jacent à l’histoire et se déroulait au fond des âmes du peuple d’Israël.