Les Vertus du Nationalisme – Yoram Hazony

_______________________________________

Nous partageons ici le Premier chapitre du livre remarquable de Yoram Hazony sur la conception politique du monde selon la Thora : un ensemble organique de nations souveraines et indépendantes, à l’opposé des conceptions impérialistes (universalistes) et anarchistes (individualistes), qui ont depuis des millénaires fait la preuve de leur incapacité à construire durablement l’avenir.

Ce livre est désormais disponible en traduction française aux éditions Jean-Cyrille Godefroy.

______________________________________

« Deux visions de l’ordre mondial »

Pendant des siècles, la vie politique des nations occidentales fut marquée par une lutte entre deux visions antithétiques de l’ordre mondial. L’ordre des nations indépendantes et libres, poursuivant chacune l’idéal du Bien commun en accord avec leurs propres traditions et perceptions s’y opposait à un ordre des peuples unis sous un seul régime de droit, mis en place et préservé par une autorité supranationale unique. Actuellement, certaines nations défendent la première vision. Citons l’Inde, Israël, le Japon, La Norvège, la Corée du Sud, la Suisse – et bien sûr la Grande-Bretagne, dans le cadre de sa volonté d’indépendance nouvelle. La seconde vision est défendue par une bonne partie des dirigeants de l’Union européenne. Ils l’ont réaffirmée en plaidant pour une « union toujours plus étroite » de peuples à l’occasion du traité de Maastricht de 1992. Ils ont depuis œuvré pour introduire les lois et la monnaie communautaires dans la plupart des Etats membres. Parallèlement, ils exigèrent que la liberté de circulation des peuples fût respectée au sein de l’UE. Les Etats-Unis, engagés depuis leur fondation dans la défense d’un Etat national indépendant, ne dévièrent pas de cette ligne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Leur rivalité avec l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide leur firent partiellement abandonner ce modèle d’indépendance nationale. Ils devinrent les hérauts d’un régime de droit mondial imposé à l’ensemble des nations par la puissance américaine. Ce conflit est aussi vieux que l’Occident. L’idée que l’ordre politique devrait être fondé sur des nations indépendantes remonte à la vieille pensée israélite de la Bible des Hébreux (l’« Ancien Testament »). Si la civilisation occidentale, durant la plus grande partie de son histoire, rêva souvent à l’empire universel, la place prépondérante qu’y joua la Bible y maintint la conception de la nation s’autodéterminant et défendant son indépendance.

Pourquoi l’indépendance des nations joue-t-elle un tel rôle dans la Bible ? Les pouvoirs impériaux dominaient le monde des prophètes d’Israël : l’Egypte, Babylone, l’Assyrie et la Perse, à tour de rôle. En dépit de leurs différences, ces empires cherchaient à imposer un pouvoir politique universel sur l’humanité. Les dieux les auraient envoyés pour créer un domaine international unifié où les hommes coexisteraient dans la paix et la prospérité. « Personne n’eut faim ou soif pendant les années de mon règne », écrivit le Pharaon Amenemhet I quelques siècles avant Abraham. « Les hommes vivaient en paix grâce à mon action ». Il ne s’agissait pas de vantardises. En mettant un terme à la guerre dans de vastes régions et en soumettant leurs populations aux logiques des travaux agricoles productifs, les puissances impériales furent assurément capables de faire vivre en paix des millions d’êtres humains. Elles mirent un terme à la famine. Que les dirigeants impériaux de l’Ancien monde considérassent comme leur devoir, pour reprendre les paroles du roi babylonien Hammourabi, « d’obliger les quatre quartiers du monde à obéir » ne devrait donc pas nous étonner. En échange de cette obéissance, les populations échappaient à la guerre, aux maladies et à la famine.

Malgré les avantages évidents d’une paix égyptienne ou babylonienne unifiant l’humanité, la Bible naquit d’une opposition féroce à une telle situation. Selon les prophètes d’Israël, l’Egypte était « le lien de servitude ». Ils ne mâchaient pas leurs mots pour décrire la cruauté et les effusions de sang accompagnant la conquête impériale. Ils haïssaient la manière dont les empires gouvernaient : par l’esclavage et le rapt des femmes et des propriétés. Selon les prophètes israélites, la cause s’en trouvait dans l’idolâtrie égyptienne. La soumission à des dieux y justifiait tous les sacrifices : l’expansion du royaume impérial de paix était à ce prix. Maintenir la production de céréales à son optimum était la seule chose qui aurait compté pour les Egyptiens.

Existait-il alors une alternative viable à l’empire universel ? Le Proche-Orient antique avait largement expérimenté en matière de pouvoir politique local avec les cités-Etats. Las, elles furent incapables de lutter contre les armées impériales. Elles se laissèrent séduire par l’idéologie de l’empire universel qui les animait. La Bible imagine pour la première fois une alternative : un ordre politique fondé sur l’indépendance d’une nation vivant dans des frontières limitées parmi d’autres nations indépendantes.

Pour moi, le terme de nation correspond à un nombre de tribus partageant une langue, une religion et une histoire communes. Elles agissent alors à la manière d’un organisme : elles abordent ensemble les questions de défense et tous les autres projets plus ambitieux. Pour la Bible, les membres d’une nation sont sans conteste des « frères ». La loi de Moïse offrit aux israélites une constitution. Elle les agrégea en ce que nous appellerions aujourd’hui un Etat national. Le roi d’un tel Etat serait désigné « parmi vos frères ». Ses prophètes seraient également « issus de vos rangs », tout comme les prêtres, chargés de préserver les lois traditionnelles de la nation et de les enseigner au roi « afin que ses pensées ne l’amènent pas à se considérer comme au-dessus de ses frères ». En outre, Moïse fixa des frontières pour Israël. Il dissuada son peuple de tenter de mettre la main sur les royaumes voisins de Moav, Edom et Ammon. Ils avaient un droit à l’indépendance. Comme il leur déclara au nom de Dieu : faites donc attention. Ne vous mêlez pas des affaires (des enfants d’Esaü) parce que je ne vous donnerai pas leur pays. Non, même pas une parcelle de terre. Parce que j’ai donné la montagne Seir à Esaü pour qu’ils la possèdent… Ne troublez pas Moav, ne leur livrez pas bataille, parce que je ne vous donne pas le droit de posséder leurs terres, parce que j’ai donné Ar aux enfants de Lot afin qu’ils le possèdent… Et lorsque vous vous approchez des enfants d’Ammon, ne les dérangez pas, n’entrez pas en compétition avec eux, parce que je ne vous donnerai pas la moindre possession du territoire des enfants d’Ammon. Ces terres reviennent aux enfants de Lot.

Ces passages ne sont pas isolés. La Bible nous enseigne que les prophètes d’Israël n’aspirent pas à la fondation d’un empire. Ils rêvent plutôt d’une nation libre et unie vivant dans la justice et la paix avec les autres nations libres.

La Bible pose donc une nouvelle conception politique sur la table : un Etat d’une nation unique et unifiée, autonome et qui ne souhaite pas dominer ses voisins. Cet Etat n’est pas gouverné par des étrangers responsables devant un dirigeant qui vivrait sur une terre éloignée. On trouve à sa tête des rois et des gouverneurs, des prêtres et des prophètes, issus des rangs de la nation elle-même. Cette proximité et ces origines rendent de tels individus plus familiers avec les besoins de leur peuple, même les plus démunis de leurs « frères ».

Le roi israélite fait un avec son peuple. Il ne nourrit pas une ambition universelle abstraite. Ses pouvoirs peuvent donc être contrôlés afin d’éviter tout abus. A la différence des rois d’Egypte ou de Babylone, le roi israélite obéissant à la constitution de Moïse ne forge pas les lois. Elles sont inscrites dans l’héritage de la nation et échappent à son bon vouloir. Il n’a pas non plus le pouvoir de nommer les prêtres. Ni la loi ni la religion ne sont donc soumises à ses caprices. En outre, la loi de Moïse limite les droits du roi en matière de fiscalité. Elle lui interdit de réduire des gens en esclavage. Quant aux limites posées aux frontières d’Israël, elles étouffent les velléités royales de conquête universelle.

La conception israélite de la nation n’a rien à voir avec la biologie ou avec ce qui est appelé la race. C’est un point fondamental. Pour les nations bibliques, les seuls critères qui comptent sont l’histoire, la langue et la religion. Leur transmission passe avant tout par les parents, même si des étrangers peuvent s’y rattacher. Le livre de l’Exode nous enseigne notamment l’intégration d’Egyptiens. Beaucoup d’entre eux s’amalgamèrent aux esclaves hébreux fuyant l’Egypte. Ils reçurent les Dix Commandements que l’on pourrait traduire de manière plus précise comme les « Dix Préceptes ») sur le Mont Sinaï avec le reste d’Israël. De manière similaire, Moïse invita le sheikh midianiste Jethro à rejoindre le peuple juif. Ruth la Moabite devient partie intégrante d’Israël lorsqu’elle fut prête à dire à Naomi « ton peuple est mon peuple et ton Dieu est mon Dieu ». Son fils fut d’ailleurs un ancêtre du roi David lui-même. La capacité d’Israël à intégrer ces individus nés étrangers dépendait de leur volonté d’accepter les lois et le Dieu d’Israël. Ils devaient comprendre son histoire. S’ils rejetaient ces piliers de la tradition israélite, ils étaient exclus de cette nation…

_____________________________________________

La suite dans le livre dont voici la Table des matières :

_____________________________________________

I. LE NATIONALISME ET LA LIBERTÉ OCCIDENTALE

  1. Deux visions de l’ordre mondial
  2. L’Église romaine et ses visions d’empire
  3. La construction protestante de l’Occident
  4. John Locke et la constitution libérale
  5. Le nationalisme discrédité
  6. Le libéralisme en tant qu’impérialisme
  7. les alternatives nationalistes au libéralisme

II. PLAIDOYER POUR L’ÉTAT NATIONAL

  1. Deux types de philosophie politique
  2. Les fondations de l’ordre politique
  3. Comment les États naquirent-ils réellement ?
  4. Commerce et famille
  5. L’empire et l’anarchie
  6. La liberté nationale comme principe organisateur
  7. Les vertus de l’État national
  8. Le mythe de la solution fédérale
  9. Le mythe de l’État neutre
  10. Un Droit à l’indépendance nationale ?
  11. Quelques principes de l’ordre des États nationaux

III. ANTINATIONALISME ET HAINE

  1. Est-ce que la haine est un argument contre le nationalisme ?
  2. Les campagnes de diffamation à l’encontre d’Israël
  3. Emmanuel Kant et le paradigme antinationaliste
  4. Deux leçons d’Auschwitz
  5. Pourquoi les discours absurdes de l’Islam et du Tiers Monde ne rencontrent aucune opposition
  6. La Grande-Bretagne, l’Amérique et les autres nations honteuses
  7. Pourquoi les impérialismes haïssent-ils ?

Conclusion. Les vertus du nationalisme.