“Les Juifs exagèrent !” – par le Rav Élie Kling


(Le général De Gaulle)


Je relisais récemment la magistrale biographie de De Gaulle écrite par Jean Lacouture. Arrivé aux relations qu’entretenait le général avec Israël et le peuple juif, je m’aperçus que le pire n’était pas la fameuse petite phrase du discours de novembre 1967. En réalité, il y avait dans cette conférence de presse tous les arguments dont allaient se servir les ennemis d’Israël à partir de ce jour et jusqu’aujourd’hui. Jugez plutôt :

“On pouvait se demander, on se demandait même chez beaucoup de Juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allaient pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de  lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formulaient depuis 19 siècles… On avait vu apparaître un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir… Le 22 mai, l’affaire d’Akaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre… Israël, ayant attaqué, s’est emparé en 6 jours de combats, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour, il qualifie de terrorisme”.

Tout y est. Depuis la remise en question à la fois de la légitimité du droit des Juifs à s’installer chez eux (“dans des conditions plus ou moins justifiables”), et de la sagesse du projet sioniste (“au milieu des peuples arabes foncièrement hostiles”), jusqu’à l’accusation d’Israël d’avoir prémédité le conflit (“état guerrier et résolu à s’agrandir”), n’attendant que l’occasion “d’en découdre” dès que le prétexte sera trouvé !  Prétexte que lui fournira “fâcheusement” Nasser en déclenchant la crise. C’est tout juste si les Juifs ne sont pas accusés d’avoir, derrière les coulisses, manipulé le Raïs égyptien qui est stupidement tombé dans le piège. Ce qui ne serait finalement pas tellement étonnant puisque les Juifs n’ont jamais cessé d’être “un peuple sûr de lui et dominateur”. Remarquez également le procédé qui consiste à s’appuyer sur l’opinion de certains Juifs opposés au sionisme, procédé repris depuis par tous les antisém….., pardon, les antisionistes du monde ! Et enfin, last but not least, l’utilisation, tout sauf innocente dans la bouche d’un De Gaulle, du terme de “résistance” pour définir l’opposition arabe à toute présence juive dans cette partie du monde, résistance qu’Israël appelle “à son tour” terrorisme, oubliant donc qu’il fut lui aussi taxé de terroriste par les Anglais 20 ans plus tôt. Le général sait pertinemment qu’en comparant ainsi la “résistance” arabe au combat des Juifs pour leur indépendance, il traite Israël de puissance coloniale, une sorte de nouvel empire britannique !

Pourquoi l’attitude d’Israël en juin 67 a-t-elle tant exaspéré le grand Charles ? Certes, il était profondément blessé de constater que les Israéliens n’avaient pas suivi son conseil et avaient préféré contrer les plans criminels de Nasser en attaquant les premiers. Mais cela n’explique pas tout. Après tout, les combats d’Israël relèvent de ce que certains ont appelé une “conception volontariste de l’histoire” qui ne pouvait que séduire l’homme qui, depuis le 18 juin 40, personnifie l’ambition nationale retrouvée du peuple français ! Mais derrière l’acte d’accusation qu’il dresse contre le peuple juif et son jeune état, il y a profondément cette conviction que, décidément, les Juifs exagèrent !

C’est ainsi qu’André Malraux confie qu’à chaque fois qu’il tentait de défendre la cause d’Israël devant De Gaulle, celui-ci répondait inlassablement : “ils exagèrent” ! Jean-Claude Servan-Schreiber, autre gaulliste ami de l’Etat hébreu, entendra un jour le général lui dire : “moi aussi je suis un ami d’Israël mais ils exagèrent toujours !” Et, dans une lettre envoyée à Ben Gourion qui lui reprochait son fameux discours, il répondit qu’Israël avait dépassé “les bornes de la modération nécessaire”.

Nos “amis” européens voulaient bien tolérer que les Juifs retrouvent une certaine souveraineté, en compensation (quel horrible terme) de la saignée durant laquelle le tiers de notre peuple disparut dans les flammes de la Shoah. Ils ont même pour la plupart voté ‘pour’ à l’assemblée des Nations Unies de 1947, guidés sans doute par une bien compréhensible mauvaise conscience d’avoir, au mieux, laissé agir les assassins. Mais de là à ce que ce peuple, dominateur par nature, prétende jouer à nouveau un rôle de premier plan sur l’échiquier mondial, voilà qui est très exagéré !

Plus d’un demi-siècle après les propos blessants du général, Israël n’en finit pas d’exagérer. Cette année encore les études internationales indépendantes classent l’Etat hébreu dans le top 10 (ou 8) des puissances mondiales, à égalité avec des pays ayant une population 10 fois supérieure ! Israël pousse aussi la prétention jusqu’à vouloir faire profiter les autres de son savoir-faire et de ses réalisations. Chez nous par exemple, à Hemdat Hadarom, des Népalais viennent de Katmandou et de Pokhara jusqu’à Nétivot pour apprendre les secrets de l’agriculture moderne ! Et au classement des pays les plus heureux au monde, Israël, malgré “les interminables et incessants frictions et conflits” se classe parmi les pays en tête du tableau, laissant derrière elle des pays sans guerre ni conflits, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon ou la France !

À croire que le général avait raison : une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, les Juifs retrouvent peu à peu la confiance en eux et, sans jamais chercher à devenir à leur tour dominateurs, ils continuent à rêver comme ils l’ont toujours fait d’un monde meilleur, conscients qu’à présent ils peuvent plus que jamais faire bénéficier l’humanité entière de leur génie, de leur longue expérience, de leur dynamisme, de leur foi en l’homme et en Dieu et de leur incomparable amour de la vie.

Ils exagèrent toujours !

Arrêtez-moi si je dis des bêtises….

Rav Elie Kling,   Hemdat Hadarom  –  klingelie@gmail.com


(Article paru dans ‘Le P’tit Hebdo’ du 28 décembre 2019)