Le rapport entre la Thora et la science – une nouvelle perspective


Parallèle entre la science contemporaine et l’enchaînement des mondes selon la Kabbale


Par le Dr. Michaël Nabet et le Rav Menahem Akerman chelita, in : ‘Lada’at Darkékha’, pp. 49-66. 


Notre recherche suggère que le point de vue le plus fécond et le plus actuel sur le rapport entre la Thora avec la science (surtout en physique) consiste à voir les différents niveaux de la réalité physique comme la concrétisation de l’enchaînement des mondes, tel qu’il est défini dans la Thora de la Kabbale, dans les écrits du Ari Hakadoch et dans tous les livres de Kabbale publiés après lui.

Cette approche permet de la renouveler en la complétant la vision classique, qui était basée sur une correspondance chronologique, sur un parallélisme entre la formation de l’univers – à savoir : le Big Bang, puis l’expansion de l’univers, puis son refroidissement progressif jusqu’à son état présent – et la suite chronologique des jours de la Création énoncée dans le premier chapitre du Livre de la Genèse. La vision classique est partagée par la plupart des auteurs, qui recherchent une analogie entre la succession des événements de la Création, tels qu’ils apparaissent dans la Thora au sens littéral, et le processus physique de formation de l’univers.

Nous pensons cependant que, d’un point de vue à la fois méthodologique et fondamental, il convient de relier les découvertes scientifiques dans leur dimension profonde avec la profondeur de la connaissance contenue dans l’intériorité de la Thora, autrement dit la Thora de la Kabbale.


I -‘Ma’assé Béréchit’ et ‘Ma’assé Hamerkava’

Pour bien comprendre ce dont nous parlons, il faut savoir que le lien entre Dieu et la Création est enseigné de deux manières selon la Kabbale : ‘Ma’assé Béréchit’ [l’‘Œuvre du Début’], ou ‘Ma’assé Hamerkava’ [l’‘Œuvre du Char Céleste’]. Ma’assé Béréchit vise à comprendre le monde de manière causative : en partant de l’origine on arrive aux résultats et aux conséquences, et c’est donc sur ce mode de pensée de Ma’assé Béréchit qu’est construite toute la démarche scientifique. À l’opposé, l’approche de Ma’assé Hamerkava est une démarche finaliste, qui explique les phénomènes selon leur but. Elle y voit un ‘assemblage’ [‘harkava’] d’éléments en vue de l’achèvement futur du programme.

Puisque nous cherchons les liens entre la Thora et la recherche scientifique, il nous semble qu’on doit les trouver dans l’approche de Ma’assé Béréchit, telle qu’elle est transmise dans la tradition kabbalistique du Ari zal, telle qu’elle ressort du livre Kol Hator du Gaon de Vilna, chez le Rav Ginsburg, et chez d’autres auteurs.


II – Les ‘Quatre Mondes’ (‘ECFA’) et l’ordre des sept jours de la Création, d’après la Kabbale

Il existe quatre mondes qui, entre autres choses, définissent le processus de la création du monde : l’Émanation, la Conception, la Formation et l’Action, qu’on peut représenter par le sigle ECFA. Ils décrivent le développement progressif de la réalité, depuis le point le plus spirituel et le plus abstrait jusqu’au monde physique dans sa dimension tangible.

◊ Émanation [‘atsilout’] : c’est le monde supérieur, antérieur à la Création, considéré par la Kabbale comme celui de la Divinité, celui de l’infini que nous n’avons aucune possibilité de concevoir en fonction des mondes inférieurs. La Kabbale s’intéresse cependant aux stades nombreux et importants de l’élaboration de l’existence, qui précèdent la Création elle-même. On peut les mettre en analogie avec les processus de la formation de l’être humain, qui comprend aussi de nombreux stades antérieurs au développement physique, au niveau du programme originel et de la pensée. Nous nous contenterons dans cet article de la définition suivante : le monde de l’Émanation [‘atsilout’] se définit par la proximité du Divin ; le mot ‘atsilout’ est en effet apparenté à ‘etsel’ [‘près de’], et à ‘haatsala’ [‘inspiration’].

◊  Conception [‘bria’] : c’est le monde du passage de la réalité du Créateur à la réalité du créé. Du point de vue du processus de la Création, c’est le premier instant, qui n’a pas de durée ; celui de la prise d’existence de la réalité matérielle, physique. C’est l’instant d’avant la réalité physique de l’espace-temps. (Nous suggérons dans cet article que ce monde touche aux limites de la physique contemporaine et aux questions soulevées par les physiciens ces dernières années – physique de l’échelle de Planck).

Formation [‘yetsira’] : c’est le monde où ce qui est devenu une réalité distincte du Divin dans le monde de la Conception est modelé pour recevoir une forme. Dans la démarche de la Création, c’est l’étape où le Saint-Béni-Soit-Il donne une forme à ce qui a été conçu instantanément au stade de la Conception. Ce sont les ‘six jours de l’Œuvre du Début’, au cours desquels le Saint-Béni-Soit-Il façonna et organisa le monde créé.

Action [‘‘Assiya’] : c’est le monde où apparaît la réalité matérielle tangible. Dans le processus de la Création, c’est l’étape où l’homme a sa place, et la possibilité d’y agir, comme il est écrit au septième jour [à propos de l’œuvre de la Création] : “que Dieu a créée pour faire” [Genèse 2, 3].

Ces quatre mondes sont en correspondance avec le processus des sept jours de la Création, selon la conception du Livre du Zohar que ces sept jours correspondent à sept niveaux progressifs dans la concrétisation du projet divin.

Nous voudrions proposer un modèle commun à la physique contemporaine et au Ma’assé Béréchit de la Thora, tel qu’il est expliqué par le Ari zal. Nous étayerons la présentation de ce modèle par les propos de notre maître le Rav Yéhouda Askénazi – Manitou sur les sept jours de la création du monde.


III – Le point de vue du Rav Léon Askénazi sur les sept jours de la Création du monde

1.1 – Le Chabbat de la Création

Selon le Rav Askénazi, les lois de la nature, qui forment le cadre de la vie humaine, n’appartiennent pas aux six premiers jours de la Création, mais exclusivement au septième jour – qui est le Chabbat [de la Création]. C’est le sens de l’expression ‘chômage divin’ [Genèse 2, 2-3] : il ne s’agit pas de repos, car Dieu ne connaît pas la fatigue, mais de cessation de son implication permanente dans la Création, avec la mise en vigueur des lois de la nature telles que nous les connaissons. C’est la signification du mot ‘nature’ [‘teva’’], à savoir que la réalité est ‘mise en forme’ [‘tevou’a’], comme enchâssée dans ses lois. C’est également ce que veut dire le mot ‘Chabbat’, à savoir une cessation volontaire de l’intervention du Créateur sur à la nature. Son ‘chômage’ n’est rien d’autre que le règne des lois de la nature, à l’intérieur desquelles s’inscrit la vie de l’homme (nous verrons dans la suite que ces concepts [du Chabbat de la Création] se relient à la physique macroscopique classique et au déterminisme).

Le septième jour du Saint-Béni-Soit-Il ne coïncide pas avec le Chabbat de l’homme : le Chabbat du Saint-Béni-Soit-Il commence avec l’expulsion de l’homme du Jardin d’Éden, après qu’il eut mangé du fruit de la connaissance du bien et du mal, et il se poursuit jusqu’à aujourd’hui. C’est pourquoi il n’est pas écrit dans la Thora : “il y eut un soir, il y eut un matin, jour du Chabbat”, parce que jusqu’à présent le Chabbat de Dieu n’est pas encore terminé.

Le but du Chabbat divin est de donner à l’homme, créé à l’approche de Chabbat, la possibilité d’agir librement, et de réparer le monde à la fois du point de vue matériel et du point de vue spirituel, comme il est écrit : “Il le mit dans le Jardin d’Éden pour le travailler et pour le garder” [Genèse 2, 15].

Autrement dit, la fixation des lois de la nature de façon déterministe est la condition nécessaire pour que l’homme, qui possède en lui l’image de Dieu, puisse agir librement. C’est dans le Chabbat du Saint-Béni-Soit-Il que se déroule toute l’histoire humaine.

1.2 – Les sept jours de la ‘Formation’ 

Pendant les six premier jours, le Rav Askénazi dit que la réalité de l’univers n’était pas encore fixée de manière définitive, qu’elle était dans une situation dynamique (‘fluidité’) qui permettait au Créateur de former à chaque stade de nouvelles créatures.

Dans le présent article, nous admettons que le monde des six premiers jours avait un certain degré d’autonomie, d’indétermination, autrement dit de superposition de différents potentiels de développement. Nous y faisons correspondre la spécificité et le déterminisme particuliers qui caractérisent le comportement quantique.

Dans le Kabbale, le septième jour est lié au monde de l’Action, il est livré à l’homme pour qu’il en fasse ce qu’il doit faire, comme il est écrit : “que Dieu a créé pour faire” [Genèse 2, 3] ; alors que les six jours précédents appartiennent au monde de la Formation, car pendant ces jours-là le Saint-Béni-Soit-Il a donné une forme à ce qu’il avait conçu au début.

2 – Comparaison de la réalité physique contemporaine avec le modèle de la Création

Depuis l’époque de la physique moderne, comme nous l’avons suggéré, il est possible de fonder une comparaison entre l’enchaînement kabbalistique des Quatre mondes (‘ECFA’) et le processus de la Création, d’une part, et le développement du monde physique dans la vision scientifique de l’univers, d’autre part. Les questions qui nous intéressent ici sont les suivantes :

◊ Comment la science peut-elle définir la réalité de la nature pendant les six jours qui ont précédé le Chabbat ? Quel est le sens de l’indétermination du comportement de la nature pendant ces jours-là ?

◊ Y a-t-il, comme dans le modèle kabbalistique de l’enchaînement des mondes, des origines dans les mondes supérieurs à tout phénomène physique aux différents niveaux ?


IV – Comparaison au monde physique : les différentes couches de la réalité physique et les lois qui s’y rapportent

Dans cet article nous posons l’hypothèse que les trois mondes de la Conception, de la Formation et de l’Action, qui décrivent les sept jours de la Création, correspondent aux différents niveaux de la réalité physique, dont chacun a ses lois propres, et est décrit par une échelle d’espace-temps différente. Il est raisonnable de penser que l’articulation la plus fondamentale et la plus véridique entre la Thora et la science réside dans ce parallélisme. 

Si nous observons la réalité de la physique moderne, nous pouvons voir que toutes les lois physiques qui régissent le comportement de la nature ont cours dans une échelle d’espace-temps, de la plus grande à la plus minuscule. Lorsque nous considérons les phénomènes physiques dans leur échelle d’espace-temps, beaucoup d’événements de l’échelle inférieure deviennent négligeables en raison de leur influence extrêmement faible ; ils sont imperceptibles à cause de leur portée très limitée, ou bien ils disparaissent dans les interférences et le bruit de fond. Ainsi, les événements individuels au niveau des particules élémentaires produisent des phénomènes de nature complètement différente à l’échelle supérieure quand on passe à la dimension collective, par l’effet de l’accumulation statistique d’un grand nombre d’événements élémentaires.


V – Progression continue et discontinue, écrans et émergence

Si nous regardons de plus près, nous observons ce qui suit : parfois les progrès dans la précision des lois physiques vers une échelle d’espace-temps plus petite se font de manière continue, et ils ne font que perfectionner notre compréhension antérieure en accroissant sa précision ; mais parfois, cette progression n’est pas continue, la compréhension des phénomènes, des principes et des lois physiques fondamentales change complètement d’une échelle à l’autre, ce qui rend nécessaire une redéfinition en profondeur des lois physiques. Il y a là de toute évidence un saut qualitatif des concepts, et non un progrès quantitatif. Nous avons donc d’un côté un phénomène d’écran, qui masque les phénomènes émergents des niveaux inférieurs de l’échelle du temps, et de l’autre une émergence de lois différentes, qui étaient moins essentielles à plus grande échelle, et donc passées inaperçues.

Jusqu’au début de la physique moderne, on pouvait penser que la transition d’échelle se faisait en continuité, et que pour descendre à plus petite échelle il suffisait d’améliorer la précision. Mais la physique moderne nous a révélé qu’il y a en réalité des sauts qualitatifs.


VI – Mise en parallèle des différents mondes avec les différents niveaux de la matière

Notre approche postule que les niveaux ‘qualitativement’ différents de la description des phénomènes physiques correspondent à différents niveaux de la Création selon la Kabbale, à savoir les trois mondes de la Conception, de la Formation et de l’Action, ou encore les sept jours/sept étapes de la Création, comme nous l’avons expliqué. Nous pouvons les mettre en parallèle de la manière suivante :

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Le but de la recherche scientifique vise à rejoindre l’‘Œuvre du Début’ selon Kabbale : 

Il faut remarquer que les lois les plus fondamentales sont celles qui correspondent au niveau d’observation le plus ténu de la réalité physique. Il en ressort que le but de la recherche en physique moderne, dans la mesure où elle vise à la compréhension de l’infiniment petit, est de rendre possible l’observation ‘au-delà de l’écran’, vers le système de lois le plus fondamental qui est aussi, selon ce qui est expliqué ici, le plus précoce dans les étapes de la Création.

Le processus de création du point de vue des niveaux de conscience et de connaissance des phénomènes physiques

Nous nous sommes occupés jusqu’à présent, tantôt du point de vue physique, tantôt du point de vue de la Thora, de phénomènes objectifs. Mais les niveaux décrits plus haut peuvent aussi être expliqués d’un point de vue subjectif, car les trois mondes dont nous parlons ici se rapportent, pour l’homme, à des niveaux de compréhension ou de perception de la réalité. Du point de vue de la Kabbale, quand la notion d’enchaînement des mondes s’applique au fonctionnement interne de la vie humaine, elle le décrit comme une superposition des niveaux de l’âme : la force vitale [‘nefech’] correspond à l’Action ; la force de l’intellect [‘rouah’] correspond à la Formation ; la force spirituelle [‘nechama’] correspond à la Conception ; et la ‘spiritualité de la spiritualité’ [‘nechama denechama’] correspond à l’Émanation.

Réveil d’en-haut et réveil d’en-bas/rationalité

L’approche physique de l’infiniment petit nous amène à renouveler complètement notre manière de voir dans de nombreux domaines, en nous dirigeant vers les idées d’unification des notions et de symétrie, vers le dépassement du sens commun et vers la pensée contre-intuitive. Ces progrès de la pensée nous rapprochent d’une prise de conscience de la réalité plus spirituelle et plus véridique, comme nous l’expliquerons par la suite. Elle nous fait avancer ‘en remontant’ vers les premiers instants de l’œuvre de la Création.

Rapport avec l’époque contemporaine

Pourquoi ces progrès ahurissants de la perspicacité humaine ont-ils eu lieu précisément dans les cent dernières années ? Est-ce dû seulement au hasard et au développement de la civilisation ? Les sources kabbalistiques donnent une réponse précise à cette question. En effet, le rythme de développement de la société humaine dans les cent cinquante dernières années a été plus qu’exponentiel, au point qu’on a du mal à l’expliquer rationnellement.

Selon la tradition hébraïque et comme il est dit dans le Zohar [parachat Vayéra p. 117], l’année 5600 de la Création (1840) est l’année du tournant décisif, tant pour les découvertes scientifiques et les progrès technologiques qu’elles entraînent, que pour les progrès de la Délivrance et les dévoilements des secrets de la Thora, qui les accompagnent et aident à leur compréhension. Il est fait allusion à cette année dans le verset : “Dans l’année six cents… jaillirent toutes les sources de l’immense abîme, et les cataractes du ciel s’ouvrirent” [Genèse 7, 11]. La mention simultanée de ces deux phénomènes appelle une explication.

Le Gaon de Vilna, dans le livre Kol Hator, [cinquième chapitre, deuxième partie…] explique les propos du Zohar en disant que ces événements sont liés, qu’ils dépendent les uns des autres et qu’ils dérivent d’un même processus qu’on nomme la ‘Délivrance du Messie fils de Joseph’. Son élève le Rav Hillel Rivlin explique là-bas :

“Pour notre maître le Gaon, il s’agit d’un principe essentiel préparant la Délivrance. C’est de l’année 600 dans notre millénaire, le sixième (1840), que parle le saint Zohar dans la parachat Vayéra [p. 117]. Il dit là-bas : ‘l’année 600 du sixième millénaire, s’ouvriront les portes de la connaissance suprême (la connaissance du Secret) et les jaillissements de la connaissance d’en-bas (la science), et le monde sera réparé en vue du septième millénaire…’. Notre maître le Gaon nous a aussi beaucoup parlé de ces paroles du Zohar en les accompagnant de calculs profonds, dont ils résultait pour l’essentiel que le début de la Délivrance est liée au rassemblement des exilés, et à un développement jaillissant des connaissances dans le réveil d’en-bas, par Israël à Jérusalem…”.

Comme nous l’avons vu, même en nous limitant au point de vue scientifique, il n’y a aucun doute que nous vivons une époque particulière, où les limites de la physique classique, qui a régi le monde de la science pendant des siècles, voire pendant des millénaires, ont été enfoncées au point d’être méconnaissables. Les nouvelles théories invitent l’humanité à reconsidérer complètement des concepts que l’on pensait jusque là parfaitement clairs et établis, comme la relation entre l’espace et le temps, la relation entre la matière et l’énergie, la question du déterminisme, etc.

Ceci n’est rien d’autre qu’un dévoilement d’une partie de la réalité cachée jusque là par le premier écran, celui qui sépare le septième jour des jours précédents ; et c’est aussi une approche du second écran !


VI – De la science physique à la Divinité

Selon le principe du ‘réveil d’en-bas’ tel qu’il est exposé par le Gaon de Vilna dans Kol Hator, nous découvrons comment, partant de la recherche scientifique moderne, il est possible d’arriver à une méta-rationalité qui aboutisse à un dévoilement divin. Nous croyons que cette approche peut, plus que toute autre, donner aux scientifiques et au large public la possibilité de voir le rapport de vérité qui existe entre le domaine de leurs activités et celui de la Thora, car il ne s’agit pas ici d’une approche qui découle de postulats théologiques ‘révélés au Sinaï’, mais qui provient d’une recherche scientifique libre de toute ingérence. Elle se développe selon la conception du ‘réveil d’en-bas’, c’est-à-dire qu’elle procède d’un réveil humain indépendant, dans une société ouverte à la libre expression des opinions et des théories, sans aucune contrainte religieuse, sociale ou politique. Petit à petit, l’humanité arrive à écarter d’elle-même les écrans dont nous avons parlé, et elle découvre que la cause première et le but des mondes se trouve dans un point de vérité ‘méta-rationnelle’.


VII – Avancée vers l’unification des notions et vers la symétrie absolue – l’union simple

Remarquons que le progrès scientifique, au niveau de la finesse de description des lois physiques, ou au niveau de la compréhension que nous en avons, décrit un mouvement d’unification croissante de principes fondamentaux qui étaient conçus auparavant comme mutuellement contradictoires, irrémédiablement séparés, tels que l’onde et la particule, le temps et l’espace, l’énergie et la masse, la force et la matière.

Et il y a là une analogie étonnante avec ‘Ma’assé Béréchit’, qui décrit globalement le passage de l’Unité divine primordiale à la pluralité et à la diversité du monde. L’intuition fondamentale du physicien, versé dans la physique théorique, est qu’il existe une ‘cause première’ simple à toutes les lois de la physique ; et la ‘simplicité’ dont il est question ici n’a pas le sens habituel qu’on donne à cette notion, mais elle signifie que la complexité de ce monde est organisée et ordonnée par une symétrie fondamentale et originelle.

Cette conception s’accorde bien avec le principe du monothéisme hébraïque, dans lequel l’idée de l’unité implique toujours la réunion de valeurs opposées, comme par exemple l’harmonie [‘tiféret’] dans la Kabbale, qui est la réunion de la bonté [‘hessed’] et de la rigueur [‘guevoura’].

On peut définir trois formes progressives de l’unité des concepts physiques :

1. La coopération : les concepts ne sont pas liés, mais ils peuvent s’associer pour agir ensemble.

2. L’inter-inclusion : à l’intérieur de chacun des concepts on identifie une partie du second.

3. La fusion et l’annulation : les concepts s’annulent tous devant une réalité de niveau supérieur, une ‘méta-réalité’.


VIII – Remise en question radicale de la compréhension naturelle et ‘contre-intuition’

Toute cette avancée de l’intelligence humaine s’accompagne d’une remise en question complète de la compréhension naturelle pour aller vers des notions contre-intuitives, parce qu’elle implique l’unification de principes auparavant conçus comme opposés, et parce qu’elle contredit des manières de pensée jusque là considérées comme imposées par la réalité. Le déterminisme des lois de la nature, et la possibilité de les connaître complètement et à l’infini, telles que ces notions existent dans la physique classique, disparaissent complètement dans la physique quantique. De même, la conception naturelle d’un temps absolu est mise en question par la physique relativiste et sa formulation quantique, la théorie des champs. Même chose pour le concept de matière, qui devient une forme particulière de l’énergie, de sorte que les derniers développements ébranlent même le concept de l’espace-temps !


IX – Les trois niveaux/compréhensions du monde, et les deux écrans qui les séparent

Arrivés à ce point, nous pouvons résumer de manière synthétique toutes les notions de Thora et de physique dont nous avons parlé. La figure montre qu’il y a deux écrans principaux séparant trois niveaux de réalité. Comme nous l’avons dit, le monde de l’Action est apparenté au Chabbat, le monde de la Formation aux six jours de la Création, et le monde de la Conception à l’instant du passage du néant à l’existence.

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Le premier niveau :

Le septième jour de la Création, le Chabbat, s’accorde avec la physique classique qui décrit la réalité macroscopique. C’est le niveau où l’homme vit et évolue. Là, la responsabilité lui revient de gérer et de réparer le monde sous la Royauté divine.

À ce niveau, la description et l’intelligence des lois qui régissent le monde suivent un schéma déterministe, ce qui est une condition nécessaire à la liberté de l’homme dans son champ d’activités.

À ce niveau, les concepts physiques apparaissent séparés, et non pas unifiés : l’espace et le temps, l’énergie et la matière, les ondes et les particules sont décrits par des lois différentes. Dans cette vision du monde, la recherche de l’unité des concepts nous amène à la conclusion qu’ils se trouvent associés sans avoir de lien essentiel entre eux, et qu’ils coopèrent dans un ordre harmonieux.

À ce niveau de la réalité et de la compréhension humaine, les scientifiques de l’époque classique ont été amenés à la conviction, qui est une croyance, qu’il est théoriquement possible d’arriver à une connaissance complète et infinie de l’univers.

Bien que cette approche soit considérée aujourd’hui comme partielle et obsolète, elle est jusqu’à présent le lot du public le plus large, parce qu’elle est rassurante pour l’esprit humain. Elle est même partagée par les scientifiques et les experts en technologies peu informés des progrès de la physique moderne, et ceux-là s’en servent beaucoup pour attaquer la conception du monde de la foi religieuse, arrogance outrancière !

Le premier écran :

C’est le passage du monde macroscopique au monde microscopique, de la physique classique à la physique quantique, et c’est aussi le passage de la vision déterministe de la nature à la pensée non-déterministe, qui apparaît dans tous les phénomènes à petite échelle. C’est le passage des actes créateurs appartenant au Chabbat [= monde de l’Action] à ceux des six jours de la Formation, selon la conception du Chabbat développée par Manitou. Il s’agit donc d’une transition totale, puisqu’elle passe du jour du Chabbat, qui est le monde de l’homme, aux six jours de la Formation, qui ne font pas partie de l’histoire humaine.

Cet écran a donc constitué une ‘défense’ et un cadre stabilisateur pour l’homme au cours de son histoire. Il était nécessaire pendant l’époque historique, et il se dévérouille peu à peu à l’époque moderne, époque du passage de la physique classique à la physique quantique. Il est intéressant de constater que c’est exactement au moment où cet écran a commencé de s’ouvrir que la Délivrance a abordé la phase des ‘talons du Messie’ [‘’Ikveta Démechiha’], c’est-à-dire le rassemblement des exilés, le retour du peuple d’Israël sur sa Terre et la création de l’État d’Israël. Tels sont les dévoilements des secrets de la Création du point de vue de la ‘sagesse d’en-bas’ (la science) : ils amènent l’humanité, en tant que partie prenante du processus messianique, à la révélation de la Présence divine et de l’Unité de Dieu dans le monde.

Le deuxième niveau : les six jours de la Formation

Comme nous l’avons vu, les principes fondamentaux de la physique, telle qu’elle est définie dans la physique quantique, puis dans la physique quantique relativiste (théorie quantique des champs), deviennent de plus en plus unitaires : unification des concepts d’ondes et de particules, d’espace et de temps, d’énergie et de matière, etc.

À ce niveau de compréhension, l’union des valeurs n’est plus définie comme une ‘coexistence pacifique’, comme dans le jour du Chabbat (physique classique), mais comme une inter-inclusion [cf. ci-dessus]. Ce niveau s’accorde avec le concept d’union tel qu’il figure dans la Kabbale, qui consiste à reconnaître que tout est composé de deux valeurs opposées/ contradictoires/ dialectiques, avec toujours une valeur indépendante et décisive qui amène l’union des deux qualités – c’est-à-dire une synthèse des deux – sans annuler la spécificité de chacune. L’exemple typique dans la Kabbale est la sphère [sefira] de l’harmonie [‘tiféret’], qui est la synthèse, l’union de la bonté [‘hessed’] et de la rigueur [‘guevoura’].

Cette notion de l’union de valeurs opposées n’est pas du tout intuitive pour l’esprit humain, qui ne peut pas se libérer de la contradiction exclusive des concepts telle qu’il la vit dans le monde réel (celui du septième jour et de la physique classique).

De plus, les lois fondamentales sont devenues non-déterministes, probabilistes. Ceci bouleverse encore plus profondément la compréhension naturelle et le bon-sens, car cette notion ébranle la structure de la pensée, elle contredit des idées dont on admettait auparavant qu’elles allaient de soi.

Pendant les quatre-vingts dernières années, tous les progrès de la physique se sont situés à ce niveau des six jours de la Formation : supersymétrie, espace à dix ou onze dimensions, intégration avec la relativité restreinte (et de manière générale avec la théorie des cordes ou Correspondance AdF/CFT pour les problèmes locaux). Mais on a le sentiment qu’on se rapproche de plus en plus du premier jour. Cela amène à se poser des questions fondamentales qui remettent en cause notre conception de l’espace (disparition de l’espace) et du temps (intemporalité/ éternité). Tout cela nous rapproche du premier écran (la Conception), et de là vers un dépassement des concepts de matière-espace-temps, vers un abandon du concept de l’espace-temps comme base fondamentale des lois physiques.

Il est possible que tout cela tende, avec l’aide de Dieu, à une approche des valeurs infinies de la Divinité, qui sont au-dessus de la réalité matérielle. Il y a peut-être là une ‘fenêtre’ qui nous permet de contempler le monde de l’Émanation [‘atsilout’], au-delà du deuxième écran.

Il est possible que soit dévoilée ici, avec l’aide de Dieu, une forme supérieure de déterminisme dont l’origine se trouve dans la Connaissance divine de l’infini (‘super-déterminisme’), et qui échappe au déterminisme de la nature. S’il en est ainsi, le monde quantique, représentant du déterminisme dans le monde de la Formation, ne serait qu’un phénomène d’émergence. Cette notion est à approfondir.


X – Connexion profonde entre la Thora et la science

En conclusion, nous pensons que cette analyse montre la possibilité de créer une liaison profonde entre la connaissance véridique de la Thora, et la connaissance actuelle des différents niveaux de compréhension de la nature et des lois physiques. Nous croyons qu’il y a encore un vaste champ pour approfondir la réflexion, et trouver de nouvelles idées dans cette approche. Nous espérons qu’avec l’aide de Dieu s’ouvrira une perspective nouvelle, tant pour les scientifiques dans leur manière de regarder la sainte Thora, que pour les gens de Thora vers une unification conceptuelle complète, qui intègre le savoir et les progrès scientifiques. Avec l’aide de Dieu, la Thora sortira plus vaste et plus profonde de sa rencontre avec la science, et la science se grandira et se sanctifiera elle aussi à partir de la vision plus large et plus globale que donne la Thora. Amen ken yéhi ratson !