Le début de la Délivrance


Rabbi Israël Yéhochou’a Tronk de Koutna  (Pologne 1820 – 1893, Président du Beth-Din de Koutna, auteur de ‘Yéchou’ot Malko’)


1/ Le début de la Délivrance

[…] Au sujet de la crainte qui est la vôtre concernant les propos de Maïmonide dans les Lois sur les Rois, selon l’opinion du Kessef Michné, à savoir que celui qui monte de Babylone en Erets-Israël transgresse une mitsva positive, cela ne me paraît pas très cohérent. En effet, ceci est dit spécifiquement pour la Babylonie, et non pour les autres pays hors d’Israël. La raison en est que [les Juifs de Babylone] s’étaient montrés passifs à l’époque d’Ezra, refusant de revenir parce qu’ils ne croyaient pas que le temps [de l’exil] était terminé, et pensant qu’il fallait rester là-bas selon la parole du prophète jusqu’à la fin des temps. Mais ceux des autres pays, les descendants des exilés de Titus, qui furent déportés d’Erets-Israël avec d’autres populations, n’entrent pas dans la même catégorie, et [pour eux] c’est une grande mitsva. Et il semble que même ceux de Babylone qui montèrent en Erets-Israël à l’époque du Deuxième Temple, et qui furent ensuite exilés d’Erets-Israël vers ces différents pays, ne rentrent pas non plus dans cette catégorie.

Et les réticences du Maharam de Rothenburg proviennent de ses craintes sur l’insécurité des chemins et sur le manque de moyens de subsistance, et aussi en rapport avec la controverse qui régnait à l’époque : on le sait, son époque [1] fut marquée par une grande controverse entre les habitants d’Erets-Israël et ceux d’Allemagne et de France. C’était au temps de Rabbi Moché Takou [2], et la discussion s’était envenimée à partir de la glose du ‘Guide des Égarés’; mais en ce qui concerne celui qui monte de Babylone en Erets-Israël, aucune crainte à avoir. Et de notre temps où, grâce à Dieu, les choses ont changé en bien, tant du point de vue de la sécurité des chemins que de celui de la pauvreté, il n’y aucun doute que c’est une grande mitsva.

Cependant, même selon l’opinion de Nahmanide, qui voyait là une mitsva positive de la Thora, ce commandement consiste essentiellement dans la prise de possession de la terre et dans le fait d’y habiter, comme quelqu’un qui se comporte de façon souveraine pour conquérir le Pays d’Israël, afin qu’il revienne dans notre patrimoine; il n’est donc pas vraiment accompli quand la Terre reste vacante, comme maintenant [3]. Les décisionnaires modernes ont comparé ceci à la mitsva positive de manger la matsa, dont la nature réside dans l’action même de manger. Par conséquent la récolte du blé, le pétrissage et la cuisson au four, réalisés au nom de ce commandement, ne constituent pas une mitsva complète, mais il n’y a cependant aucun doute qu’ils ont la valeur d’une mitsva très grande. Il est dit à ce sujet que Dieu récompense l’homme selon ses efforts : l’action en vue de la mitsva est elle aussi récompensée, comme il est dit : « Heureux ceux qui sont intègres dans le chemin » [Psaumes 119, 1] – même dans le chemin de l’accomplissement des mitsvot, il y a un achèvement.

Il n’y a donc aucun doute que [l’aliya en Erets-Israël] est une grande mitsva, car le rassemblement [des exilés] est le début de la Délivrance, comme il est dit : « J’en rassemblerai encore, en plus des siens qui sont [déjà] rassemblés » [Isaïe 56, 8]. On voit aussi dans le Traité Yébamot [64a] que la Présence divine ne réside pas sur moins de vingt mille âmes d’Israël [4]. En particulier maintenant, quand nous voyons se manifester un désir fervent, aussi bien chez des gens de valeur [morale] médiocre que chez des gens moyens et chez d’autres qui ont le cœur droit, nous avons la quasi-certitude que le souffle de la Délivrance est en train de jaillir.

[Responsa Yéchou’ot Malko, Yoré Déah § 68]


[1] 1215-1293.
[2] Rabbi Moché ben Hasdaï de Takou vivait dans la ville du même nom en Bohême, vers 1220.
[3] L’auteur écrit au 19e siècle, à une époque où des communautés étaient fondées localement en Erets-Israël, sans possibilité d’y instaurer une souveraineté politique. Dans la suite il va montrer le grand mérite malgré tout de cette aliya ‘à vide’, qui est une préparation à la mitsva d’établir la Royauté d’Israël en Erets-Israël.
[4] D’où la nécessité à l’époque d’étoffer le yichouv ; aujourd’hui ce chiffre est grâce à Dieu largement dépassé !