Le couple, créateur de l’Histoire – par le Rav Léon Askénazi


[Extraits de l’intervention du Rav Léon Askénazi zatsal au Treizième Colloque des Intellectuels Juifs de Langue Française, à Paris le 16 octobre 1972]


Le sujet qui m’a été proposé : « Le couple, créateur de l’histoire », renferme un postulat à diverses faces que je vais essayer de mettre en évidence du point de vue de l’enseignement de la tradition juive et des textes que je vais interpréter.

Le couple est non seulement une réalité, mais il a une signification, une fonction, une finalité ; d’autre part, l’histoire a, elle aussi, une finalité ; et, troisièmement, il y a un lien entre ces deux réalités. Le fait que la nature humaine soit duelle, que la nature de l’être dans le monde où nous sommes soit duelle, serait intentionnel, et cela rendrait compte du sens de l’histoire, s’il y a direction de l’histoire. Cela fait toute une série de problèmes, et vous voyez que, dès le départ, il y a un postulat d’essence finaliste.

Je ne cache pas que ces problèmes, comme les textes que nous allons évoquer, pourraient être analysés, ou lus, à partir d’autres points de vue ; il n’est pas nécessaire que le présupposé philosophique d’un tel sujet soit forcément finaliste ; j’admets très volontiers que d’autres exégèses soient possibles. Si j’adopte ce postulat et cette méthode, c‘est que la conception la plus classique du point de vue de l’enseignement biblique et de la tradition juive sur ce que nous montre l’histoire en général – et la réalité du couple en est le véhicule essentiel – s’exprime dans un vocabulaire finaliste, baigne dans une atmosphère, dans une mentalité messianique.

Pour le comprendre, il faut dès l’abord analyser le terme dont l’hébreu se sert pour dire « histoire ». Bien entendu, en hébreu moderne, lorsque professeurs et maîtres parlent de l’histoire dans sa conception occidentale, c’est-à-dire essentiellement de l’histoire des évènements et de l’effort des historiens pour faire comprendre les structures constantes qui rendent compte de la signification des évènements, ils se servent du mot historia, emprunté aux langues occidentales. Mais le mot hébreu renvoyant à la mentalité hébraïque proprement dire a une tout autre signification ; c’est le mot de toledoth, qui signifie bien « histoire » mais dans le sens des « engendrements ». Cela nous amène à une intuition de base de la conscience hébraïque : au fond, pour l’hébreu, ce qui importe dans l’histoire ce n’est pas essentiellement les évènements : les évènements deviennent immédiatement des souvenirs et par conséquent l’évènement n’a pas de consistance du point de vue de la destinée de l’être. L’histoire qui importe est essentiellement l’histoire de l’identité humaine, du sujet, de l’être que nous sommes, et non pas simplement des évènements que nous produisons ou qui nous affectent. C’est l’histoire d’une modification de l’identité humaine qui, dans cette cohérence, est orientée selon un point de départ et un point d’aboutissement que nous nommons messianique, et donc une finalité. Nous serons donc peut-être plus à l’aise, du point de vue de la méthode, dans un vocabulaire finaliste que dans tout autre vocabulaire. Mais, encore une fois, il est bien évident que, pour certaines analyses ou lectures, d’autres points de vue avec les mêmes contenus seraient possibles.

Pour la conscience hébraïque, si l’histoire a un sens, c’est celui d’une orientation, de l’engendrement d’une identité humaine que les prophètes d’Israël ont nommée « le fils de l’homme », expression qu’il faut prendre dans son sens plein : non seulement engendrement, reproduction, multiplication, mais littéralement effort de création à partir de l’identité humaine originelle, d’une identité humaine où les problèmes, conflits et contradictions de notre monde seraient résolus. Il s’agit là de l’espérance messianique, réussite ou aboutissement de l’histoire : identité messianique dont le mot d’ordre nous est donné très tôt par l’enseignement biblique et qui est shalom. Nous retrouvons là le problème essentiel que le couple a à résoudre.

Deuxième remarque, et c’est peut-être un paradoxe : le premier couple dont l’histoire de la Bible se préoccupe pour nous dire, nous dévoiler, nous suggérer la finalité de l’histoire qui se cherche dans l’espérance messianique, ce n’est pas tellement le couple homme-femme – le premier homme et la première femme – c’est le couple des premiers frères. L’histoire commence à Caïn et Abel. La cohérence globale de l’ensemble des récits bibliques – récits historiques proprement dits mais aussi dispositions de la loi – vise à enseigner le mode d’emploi d’une conception de l’histoire qui aboutit à cette espérance messianique : parvenir à rendre possible la fraternité des personnes humaines.

Nous retrouvons évidemment, à une place très importante, ce même souci, ce même propos, cette même recherche dans le couple engendreur, le couple des parents, homme et femme, isch et ischa. Mais il est frappant que l’objectif messianique vise essentiellement l’effort d’engendrement du fils de l’homme, d’un être qui soit capable d’être frère. Il y a là une piste cohérente autour de laquelle je vais organiser un certain nombre de textes et d’analyses afin de tenter de répondre à notre question : en quoi la finalité du couple est-elle d’engendrer l’histoire, de la construire, de la créer, mais : dans quel but ? et quelle histoire ? et pourquoi une histoire ?

(…)

L’optimisme messianique ne consiste pas à simplement espérer une solution qui mette un terme au drame, mais surtout à la construire. La révélation de la Thora ne se borne pas à nous décrire la « carte d’identité » du projet de notre histoire – de l’engendrement du fils de l’homme  – , les voies par lesquelles cette finalité a émergé, a pris sa signification dans l’identité spécifique d’Israël ; la Thora nous en donne aussi le « mode d’emploi » pour nous inviter à construire, littéralement à engendrer. En d’autres termes, pour les Juifs, le Messie n’est pas seulement à espérer : il est à engendrer. A l’échelle individuelle, cela peut être une croyance ; à l’échelle collective, c’est un effort historique de l’engendrement d’une certaine manière d’être homme qui résoudrait le problème de l’histoire, qui répondrait à l’espérance de paix. Shalom est le « slogan » de la tradition messianique et prophétique juive.

La tradition juive emploie très souvent une expression qui traverse et relie tous ces propos : a’harith hayamim, que l’on traduit habituellement par « la fin des temps », dans le sens de l’achèvement des temps. Et après, qu’y aurait-il ? néant ?… catastrophe eschatologique ?… Telle n’est pas la vision proprement hébraïque. André Néher a éclairé la traduction juive de cette expression ; il ne s’agit pas d’un « achèvement à la fin de la série des jours », après lesquels il n’y aurait rien. En hébreu cela veut dire quelque chose de bien plus précis : il y a les jours, l’histoire, les temps ; et il y a un a’harith hayamim, ce qui vient après les jours, après l’effort de l’histoire. Après l’effort de l’histoire, le monde ne s’arrête pas ; il commence seulement. Tout l’effort de l’histoire « dans les jours » vise à arriver à engendrer l’être, l’identité, le fils de l’homme, le messianisme, l’être frère ; et une fois cet être engendré, commence le monde vrai – on pourrait dire en langage théologique le monde des béatitudes, c’est-à-dire un monde où les contradictions essentielles de notre nature, cette identité de « duel », seraient enfin résolues et où la joie serait enfin possible.

Pour évoquer le schéma préalable à toute identité de groupe, le Talmud part d’un verset de la Genèse (I, 16) :

« Et Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour gouverner le jour, et le petit luminaire pour gouverner la nuit. »

Dieu fit donc les deux grands luminaires – et il est pourtant écrit immédiatement après : le grand luminaire et le petit luminaire. La Guemara commente : « La Lune – le petit luminaire – a dit devant le Saint-béni-est-Il : « Est-il possible que deux rois se servent de la même « couronne ? » » – c’est-à-dire : un monde est-il possible où il y aurait égalité des êtres, où tout le monde serait couronné d’une même couronne ? Dans un monde où il y aurait deux êtres absolument égaux, l’un des deux serait inutile ? Et c’est celui qui l’a compris qui pose la question. En hébreu, le mot qui signifie « égal » se dit shavé, et le mot qui signifie « vain » se dit shav ; c’est à peu près le même radical : dans la mentalité sémantique de l’hébreu, s’il y a égalité il y a vanité de l’une des deux réalités égales ; le concept d’égalité n’existe donc pas, en ce qui concerne en tout cas les problèmes d’identité, d’égalité de valeurs. Il n’y a pas égalité, il y a équivalence de dignité, il peut y avoir égalité de dignité, mais non égalité vraie, égalité concrète, égalité absolue.

Voilà donc ce que dit la Lune : « Tu nous a créés égaux, mais ce n’est pas possible. » C’est le langage de la créature vis-à-vis du Créateur. Pour être, il faut être créé ; et pour être créé, il faut être autre que Dieu, et « autre » cela signifie inévitablement diminué. Il y a tout un problème d’identité profonde qui affleure dès le début de ce texte.

Alors Dieu répond : « Va, et diminue-toi. » – Et la Lune répond : « Parce que j’ai dit quelque chose de logique, de normal, je vais me diminuer ! » Pour l’un des commentateurs, il y a là une stratégie de la créature pour briser l’impossibilité de l’être, et Dieu répond : il n’y a qu’une seule stratégie possible, il faut que la Lune soit diminuée par rapport au Soleil. Il a fait les deux grands luminaires, mais il faut que la Lune se diminue afin que l’histoire du monde commence. Cela fait mal à la Lune, et elle demande : parce que je suis logique, il faut que je me diminue ! – Un des commentateurs pose la question suivante : il aurait pu y avoir une autre solution, Dieu aurait pu agrandir l’un des deux luminaires, et il n’y aurait pas eu le drame de l’être diminué, mais apothéose d’un être qui peut devenir plus grand ; il n’y aurait pas eu ce drame qui se ressent dans le décalage des relations de sujet à sujet dans tout couple – et qui est le drame de l’histoire. Notre texte enseigne qu’il ne peut en être autrement : agrandir l’un des deux serait faire équivaloir la créature au Créateur, et par conséquent empêcher le projet de créer l’autre. Pour créer l’autre, il faut d’abord le diminuer.

Mais Dieu veut consoler la Lune : « Eh bien ! toi, ta destinée sera de gouverner et le jour et la nuit. » – Voyez la compensation. Bien sûr, la Lune diminue, c’est la lumière quand il fait nuit, alors que le Soleil non diminué c’est la lumière quand il fait jour. Eh bien ! voilà que la Lune sera aussi présente le jour, sera partout, de l’autre côté des choses, pas seulement objet mais aussi sujet. Mais cela ne satisfait pas la Lune. « A quoi sert une lampe en plein midi ? » – Bien sûr, la Lune est présente dans le jour du Soleil, mais à quoi cela sert-il ? Sa lumière est perdue dans la lumière du Soleil. – Une lampe en plein jour ! – Alors, deuxième consolation de Dieu : « Va, tu peux commencer l’histoire : Israël comptera d’après toi les jours et les années. »

Je voudrais ici ouvrir une parenthèse concernant un des problèmes du calendrier juif. Nous savons l’importance du souci de trouver le point d’équilibre entre le rythme de durée de la Lune et le rythme de durée du Soleil. Vous savez que nous avons le seul calendrier où les années sont solaires et les mois lunaires. Il est enseigné dans le midrach à propos de la découverte par Abraham du principe d’unité en Dieu : pendant la nuit, il a vu la splendeur de la Lune et il a adoré la Lune ; le matin, il a vu la grandeur du Soleil et il a adoré le Soleil. Mais le soir, la Lune revenue, il a dit : ce n’est donc ni la Lune ni le Soleil – il y a une unité au-delà qui régit et la Lune et le Soleil. Dans l’identité d’Abraham, il y a eu une sélection, qui sépare Ismaël d’Isaac, Jacob d’Esaü ; Ismaël a repris un calendrier purement lunaire, et Esaü revient à un calendrier purement solaire. Le calendrier qui combine les deux « luminaires » est resté uniquement en Jacob.

A ce propos, le midrach compare les civilisations des nations au temps du Soleil, alors que l’identité et l’histoire d’Israël sont comparées au temps de la Lune. D’autre part, la consolation de la Lune c’est que la vraie histoire, celle d’Israël dans la cohérence biblique, celle des engendrements, sera comptée d’après les phases de la Lune et non pas d’après les phases du Soleil. Quelle est la différence ? En hébreu, l’année solaire se dit shana, mot qui se rattache à shéni qui signifie « deuxième », de la racine de shanot, changer, modifier. La modification c’est que le deuxième est autre radicalement que le premier et remplace le premier. Chaque année solaire, son cycle achevé, disparaît et est remplacée par une deuxième année solaire ; il y a un temps qui se répète, c’est l’histoire des évènements, l’histoire des nations, du temps qui se répète et où finalement il ne se passe rien de nouveau. L’Ecclésiaste dit : « Sous le temps du Soleil, il n’y a rien de nouveau » ; le temps étant gouverné par le Soleil, rien de nouveau. A contrario, dans le temps gouverné par la Lune, il y a quelque chose de nouveau : le mot par lequel nous vivons le mois lunaire hébreu, est ‘hodesh qui se rattache au mot ‘hidouch qui signifie « renouvellement », mais renouvellement de l’identité qui se renouvelle en restant elle-même. L’identité qui se dédouble meurt, et nous renvoie au mythe de la répétition du temps, du rythme solaire ; c’est l’histoire des nations. Le temps d’Israël est un temps de ‘hidouch, le temps des engendrements et non pas des évènements.

Voilà donc la consolation que Dieu veut donner à la Lune : « Par toi on comptera l’histoire » – tu seras le véhicule de l’histoire. C’est grâce à la Lune que les deux luminaires font couple et non pas égalité
vaine.

Nous verrons que cela n’a pas consolé complètement la Lune. Mais je voudrais d’abord ajouter un point d’explication sur la comparaison des calendriers. Les grandes civilisations humaines, que le vocabulaire juif appelle « les empires », ont toujours une naissance, un apogée et une fin : une série d’histoires closes, même s’il reste parfois des rémanences, non seulement dans les musées et par l’archéologie, et aussi dans quelques peuplades souvenirs des civilisations anciennes. Chaque empire, comme l’année solaire, est remplacé par un autre empire. L’histoire d’Israël, comme le mois de la Lune qui se renouvelle à travers toutes les années, traverse toute l’histoire des empires. Mais ce sont deux histoires différentes : l’histoire selon le Soleil, histoire des évènements ; et l’histoire selon la Lune dont je dis que c’est l’histoire de l’identité humaine. Lorsque l’on est attentif à la lecture du récit biblique, on s’aperçoit que ce qui importe dans la partie historique de la Bible, ce n’est pas tant ce qui s’est passé au niveau des évènements – si même les évènements nous éclairent sur les situations à résoudre – ce sont les généalogies, c’est-à-dire la modification des identités humaines à travers des engendrements. Là se pose le problème qui est le nôtre : le couple engendreur et le couple du frère. Tel est le lieu de la signification de l’histoire. Si l’histoire a un sens, c’est d’essayer d’engendrer.

Revenons à notre texte. Malgré cette consolation, la Lune répond à Dieu, avec une grande sagacité : « Mais le jour aussi », c’est-à-dire : dans le temps du Soleil aussi, il n’est pas possible qu’on ne compte pas des jours et des années ; dans la civilisation du Soleil, il y a aussi chronologie et apparence d’histoire. La consolation n’est pas suffisante. Alors, Dieu change de niveau, de registre, et dit : « Va, et les justes se nommeront par ton nom. » C’est une réponse au niveau de l’éthique. Il y a une finalité morale à toute cette aventure : il faut « fabriquer » des justes, et les justes « auront ta vertu », on les « nommera de ton nom » ? Par exemple, Yaakov hakatan, « Jacob le petit » ; Shmouel hakatan, « Samuel le petit » ; David hakatan, « David le petit » : ils possèdent la vertu d’accepter d’être celui qui est diminué pour que l’histoire se fasse. Dieu dévoile donc à la Lune qu’il y a une finalité morale à l’histoire : il faut arriver à « fabriquer » l’être qui sera capable d’être frère, d’être le petit de l’autre, le petit par rapport à l’autre. Dans la liturgie de Rosh Hashana, le jour du jugement, la communauté d’Israël se définit comme la petite sœur, A’hoth ketana.

Mais, même cette consolation au niveau de la morale n’a pas consolé la Lune. Dieu voit qu’elle n’est pas rassurée. « Le Saint-béni-est-Il dit alors : vous apporterez un sacrifice pour Moi parce que J’ai amoindri la Lune. » Il s’agit du sacrifice du Rosh ‘Hodesh ; à chaque jour de néoménie, au Temple de Jérusalem il y avait un sacrifice d’expiation. La Guemara (Shavouoth) explique que ce sacrifice doit être apporté avec beaucoup d’efforts pour des fautes dont on ne connaît même pas l’existence, pour un mal dont on ne connaît même pas l’existence – fautes, mal que Dieu seul connaît. Ou peut-être faudrait-il dire : « que Dieu reconnaît ».

Au-delà de ces deux enseignements, une particularité exégétique insiste sur le fait que le sacrifice de Rosh Hodesh n’est pas formulé dans la Thora de la même manière que tous les autres. Pour tous les autres sacrifices, l’expression est lashem korban, « pour Dieu un sacrifice » ; pour le sacrifice de Rosh Hodesh, il est écrit : « sacrifice pour Dieu » – non pas un sacrifice qu’on apporte vers Dieu, mais un sacrifice pour Dieu, à la place de Dieu. Le sacrifice de Rosh Hodesh est un sacrifice que Dieu lui-même devrait faire. Pour expier quoi ? Eh bien ! ce mal qui fait le drame de l’être, du monde, et dont personne ne connaît ni la responsabilité, ni la liberté, ni la culpabilité, ni le début, ni la fin.

L’identité du couple, à l’origine, est une dualité d’égal à égal ; il n’y a donc pas d’être, parce que les deux polarités sont mélangées, nulles, perdues l’une dans l’autre ; il n’y a pas de monde, il n’y a pas de créature. Pour que l’histoire commence, il faut qu’il y ait comme véhicule, véhicule privilégié, un « décalage d’identité » qui fait qu’il y a dans le monde une partie de l’être – que l’on appellera tout à l’heure féminin, l’être objet par rapport à l’être sujet – au point de départ de l’analyse proprement naturelle, existentielle. La tradition juive appelle ce « décalage d’être » messirouth nefesh : pour que l’histoire puisse se faire, il faut qu’une manière d’être de la personne sacrifie sa personne, livre sa personne ; et l’objectif de la vie du couple sera d’arriver à acquérir cette personne perdue.

C’est la grandeur des femmes, la grandeur de ce qui fait qu’il y a un couple – ce n’est pas l’homme qui fait qu’il y a un couple, c’est la femme –, c’est d’accepter cette diminution d’être ; et c’est peut-être là le mystère qui, du côté féminin du couple, fait qu’il y a une trace de l’intervention de Dieu. La Guemara le dit à sa manière, non pas d’une façon totale mais simplement comme ligne de cohérence : « La trace d’un mystère qui fait qu’il manque quelque chose dans l’être. » A vrai dire, et l’homme et la femme, chacun à sa manière, sont Adam diminué, l’un en Isch, l’autre en Ischa ; mais cela se devine, se perçoit plus clairement dans l’identité féminine.

Le temps donc, pour Israël, est du genre de celui de la Lune ; Israël est féminin par rapport à Dieu, Israël est le petit frère par rapport au grand frère, mais un petit frère qui est véritablement l’aîné, puisque c’est à travers lui que se fabrique cette manière d’être homme, cette manière d’être, qui est cherchée dans l’histoire de l’être-frère.

(…)


[L’autre dans la conscience juive – le sacré et le couple, pp. 267-273, Presses Universitaires de France, Paris 1973]