3. Le caractère de la Génération

Nous devons bien comprendre son caractère pour pouvoir lui venir en aide. De tout temps et à toute époque, nous voyons que dans une génération remplie de perversions, les déviances envahissent la sphère morale dans tous ses secteurs. Comme le dit le prophète : “De la plante des pieds jusqu’à la tête, plus rien d’intact : ce ne sont que blessures, meurtrissures, plaies purulentes ni nettoyées, ni pansées, ni adoucies par l’huile” [Isaïe 1, 6]. En ces temps-là, une génération qui oublie Dieu – fautive vis-à-vis de la religion – est aussi une génération indocile et rebelle – fautive vis-à-vis des parents, gloutonne et ivrogne – moralement déchue et régressant vers la bestialité.

Depuis le temps des origines, quand Israël a délaissé le ‘Rocher de sa citadelle’ – quand Israël a délaissé la Thora et les mitsvot – d’un côté, “les sacrificateurs d’hommes embrassent des veaux” [Osée 13, 2], “ils s’accouplent à des idoles” [cf. Psaumes 106, 28], “ils oublient le Dieu de leur salut” [ibid. 21], c’est l’idolâtrie comme en Égypte, où l’on adorait des vaches et où l’on sacrifiait des hommes, c’est la décadence de la relation entre l’homme et Dieu ; et de l’autre, “les orgies et le vin prennent [leur] cœur” [Osée 4, 11], c’est l’irresponsabilité sociale, la déchéance morale et la vie de débauche, “vient un voleur, et toute une bande se répand au-dehors” [Ibid. 7, 1], le phénomène des bandes de voleurs et d’assassins est venu s’ajouter à l’idolâtrie ; ici, “des femmes font pleurer le Tammouz” [Ézéchiel 8, 14], le ‘Tammouz’ était une idole babylonienne [qu’on faisait ‘pleurer’ pour réclamer des sacrifices humains, cf. Rachi], et là, “tout frère s’applique à tromper, et tout ami va calomnier” [Jérémie 9, 3], ce sont l’escroquerie et le mensonge. Par conséquent, quand ils étaient valeureux, ils étaient valeureux en tout, et quand ils étaient pervertis, ils étaient pervertis en tout. On peut consulter les livres de moussar et les livres de responsa, pour saisir quel était le profil de ces générations.

C’est la règle qui s’est maintenue jusqu’à l’arrivée de notre génération, même en exil. [Mais] notre génération est singulière : elle est rebelle, elle est sauvage, mais elle est également haute et noble. Laissons à part les quelques grossiers personnages qui se servent de l’esprit de la révolte comme couverture pour commettre des vols, des violences et toutes sortes de crapuleries. Aujourd’hui aussi, il y a des voleurs et des assassins, mais combien ? Même pas cinquante mille, soit un pour cent sur cinq millions d’âmes. Par l’expression : ‘les quelques grossiers personnages qui se servent de l’esprit de révolte comme couverture’, le Rav veut parler de ceux qui travestissent leur malfaisance au moyen de l’idéologie. À l’époque du Rav Kook également, il y avait des individus sans vergogne et des voleurs. Il se trouve que mis à part cela, “l’effronterie atteint des sommets”. L’effronterie, c’est-à-dire croire que les mauvaises actions sont justifiées, et les accomplir par idéal. “Le fils n’a pas de honte devant son père, et l’outrance des jeunes fait pâlir les vieux” [Sota 49b], les qualités humaines simples et basiques leur font défaut. [Mais] de l’autre côté, les sentiments généreux – le même homme, irrespectueux de ses parents, fait aussi preuve d’un cœur généreux.

Notre Maître fait allusion à une michna [Sota 9, 15] qui décrit la situation très difficile qui prévaudra à l’approche des pas du Messie [‘’akvata démechiha’]. Qu’est-ce que ‘l’approche des pas du Messie’ ? – d’après Rachi : “à la fin de l’exil, avant la venue du Messie”, il n’est pas encore là, mais il est à la porte. C’est une situation intermédiaire intéressante : quelle est cette montée de l’effronterie ? Nos Sages disent : “Si quelqu’un commet une transgression et en éprouve de la honte, on lui pardonne toutes ses fautes” [Berakhot 12b]. Ici, il s’agit de la situation inverse : l’homme qui commet une transgression est certain d’avoir raison, ce qui l’amène à aller plus loin et à combattre ceux qui craignent Dieu !

Les nouvelles générations pensent qu’elles savent tout. Elles ne sont donc pas intimidées par leurs parents, et vont même jusqu’à les outrager. C’est une situation terrible, et c’est un des visages de la Génération. Et d’un autre côté, la droiture, la justice et la miséricorde progressent et se renforcent, la puissance de la science – c’est-à-dire l’aptitude à penser et l’honnêteté intellectuelle – et de l’idéalisme s’impose et s’élève. De nos jours, ces qualités ont encore progressé par rapport à l’époque du Rav, et l’endroit par excellence où l’on peut voir ces idéaux ressortir est l’armée.

Il y a donc une terrible contradiction : les mêmes personnes sont bonnes et mauvaises à la fois, ainsi que les a surnommées le Rav Kook : les “bons fauteurs” [Les Lumières de la Résurrection § 43], ou : “les frères détestés et chéris” [Maamaré Haréïya p. 92]. C’est une génération où la lumière et l’obscurité agissent en amalgame, une génération à la fois entièrement innocente et entièrement coupable, comme on l’expliquera dans la suite.

Question : Il y a des non-religieux qui prétendent qu’on peut être moral même sans Thora.

Réponse : Bien sûr qu’il est possible d’être moral sans la Thora. Mais de quelle façon ? Le Rav notre maître écrit dans Orot Hakodech [vol III, introduction au 7e chapitre] qu’un incroyant ne peut pas être moral, parce qu’il n’existe pas de source morale véridique en-dehors de la foi en Dieu. Il en résulte qu’un homme moral est nécessairement aussi un croyant, au moins un peu croyant, et que là se trouve la source de sa moralité. La moralité des incroyants ne vient pas du côté du reniement qui est en eux, mais du côté de la foi qui est en eux. Et d’où leur vient leur foi ? Soit des restes de leur éducation, soit de l’héritage de leurs ancêtres.