Pour pouvoir lui venir en aide, nous devons bien comprendre son caractère.
Nous voyons en tout temps et dans toutes les générations que, dans une génération en rupture, les failles s’étendent à tous les secteurs de la sphère morale. Comme le dit le prophète : “De la plante des pieds jusqu’à la tête, plus rien d’intact : ce ne sont que blessures, meurtrissures, plaies purulentes, ni nettoyées, ni pansées, ni adoucies par l’huile” [Isaïe 1, 6]. En ces temps-là, une génération oublieuse de son Dieu – ceci est le point de vue religieux – est aussi une génération insoumise et révoltée– vis-à-vis de ses parents, gloutonne et ivrogne – ceci est la déchéance morale, la régression vers la bestialité.
Dès l’époque où Israël commença de délaisser le ‘Rocher de sa Protection’ – quand Israël se mit à délaisser la Thora et les mitsvot, il y avait [dans le peuple] d’un côté “des sacrificateurs d’hommes [qui] embrassent des veaux” [Osée 13, 2], qui “s’accouplent à des idoles” [cf. Psaumes 106, 28], qui “oublient le Dieu de leur salut” [ibid. 21], c’est l’idolâtrie comme en Égypte, où l’on adorait des vaches et où l’on sacrifiait des hommes, c’est la décadence de la relation entre l’homme et Dieu ; et de l’autre, “la débauche, le vin et le moût [qui] captivent le cœur” [Osée 4, 11], c’est l’irresponsabilité sociale, la déchéance morale et la vie de débauche, “vient un voleur, et toute une bande se répand au-dehors” [Ibid. 7, 1], le phénomène des bandes de voleurs et d’assassins s’est associé à l’idolâtrie ; [il y a] ici “des femmes [qui] font pleurer le Tammouz” [Ézéchiel 8, 14], le ‘Tammouz’ était une idole babylonienne [qu’on faisait ‘pleurer’ pour réclamer des sacrifices humains, cf. Rachi], et là, “tout frère s’avère trompeur, et tout prochain se répand en calomnies” [Jérémie 9, 3], ce sont l’escroquerie et le mensonge. Par conséquent, quand le peuple d’Israël était valeureux, il était valeureux en tout, et quand il était perverti, il était perverti en tout. On peut consulter les livres de moussar et les livres de responsa, pour saisir quel était le profil de ces générations.
Cette règle s’est maintenue au tout long de notre histoire, même en exil. [Mais] notre génération est étrange : elle est rebelle, elle est sauvage, mais elle est aussi éminente et sublime. [Même] si nous faisons sortir du compte les individus grossiers qui se sont servi de l’esprit de licence comme d’un masque pour commettre des vols, des violences et toutes sortes d’indélicatesses – même aujourd’hui il y a des voleurs et des assassins, mais combien ? Moins de cinquante mille, soit un pour cent sur cinq millions d’âmes. Par l’expression : ‘les individus grossiers qui se sont servi de l’esprit de licence comme d’un masque’, le Rav parle ici de ceux qui travestissent leur malfaisance au moyen de l’idéologie. À l’époque du Rav Kook aussi, il y avait des individus sauvages et des voleurs – nous trouvons que même au-delà [de cette minorité], “l’effronterie atteint des sommets, – l’effronterie, c’est-à-dire le fait de croire que les mauvaises actions sont justifiées, et de les accomplir par idéal – le fils n’a pas de honte devant son père, et l’outrance des jeunes fait pâlir les vieux” [Sota 49b], les qualités humaines les plus simples et les plus basiques font défaut. Et malgré cela, les sentiments de bonté [… se renforcent]
Notre Maître fait allusion à une michna [Sota 9, 15] qui décrit la situation très difficile qui prévaudra à l’approche des pas du Messie [‘’akvata démechiha’]. Qu’est-ce que ‘l’approche des pas du Messie’ ? – d’après Rachi, c’est “à la fin de l’exil, avant la venue du Messie”, le Messie n’est pas encore là, mais il est à la porte. C’est une situation intermédiaire intéressante : qu’est-ce que cette montée de l’effronterie ? Nos Sages disent : “Si quelqu’un commet une transgression et en éprouve de la honte, on lui pardonne toutes ses fautes” [Berakhot 12b]. Or il s’agit ici de la situation inverse : l’homme qui commet une transgression est certain d’avoir raison, ce qui l’amène à aller encore plus loin et à se battre avec ceux qui craignent Dieu !
Les nouvelles générations pensent qu’elles savent tout. Elles ne sont donc pas intimidées par leurs parents, et vont même jusqu’à les outrager. C’est une situation terrible, et c’est un des visages de la Génération. Et d’autre part, les sentiments de bonté, de droiture, de justice et de compassion progressent et se renforcent, et la force scientifique – c’est-à-dire l’aptitude à penser et l’honnêteté intellectuelle – et de l’idéalisme dépasse des sommets. De nos jours, ces qualités ont encore progressé par rapport à l’époque du Rav, et le lieu par excellence où l’on peut voir ressortir ces idéaux est l’armée.
Il y a donc une terrible contradiction : les mêmes personnes sont bonnes et mauvaises à la fois, ainsi que les a surnommées le Rav Kook : les “bons fauteurs” [Les Lumières de la Résurrection § 43], ou : “les frères détestés et chéris” [Maamaré Haréïya p. 92]. C’est une génération où la lumière et l’obscurité servent pêle-mêle, une génération à la fois entièrement innocente et entièrement coupable, comme on l’expliquera par la suite.
Question : Il y a des hilonim qui prétendent qu’on peut être moral même sans Thora !?
Réponse : Bien sûr qu’il est possible d’être moral sans la Thora. Mais de quelle façon ? Le Rav notre maître écrit dans Orot Hakodech [vol III, introduction au 7e chapitre] qu’un incroyant ne peut pas être moral, parce qu’il n’existe pas de source morale véridique en-dehors de la foi en Dieu. Il en résulte qu’un homme moral est aussi nécessairement croyant, un peu croyant, et que c’est la source de sa moralité. La moralité des incroyants ne vient pas du côté du reniement qui est en eux, mais du côté de la foi qui est en eux. Et d’où leur vient leur foi ? Soit des restes de leur éducation, soit de l’héritage de leurs ancêtres.