La mitsva d’habiter en Erets-Israël s’applique aujourd’hui


Rabbi Hillel Michkelov  (Élève du Gaon de Vilna, Europe centrale 1757 – Jérusalem 1838)


La faute des explorateurs dans le désert à l’époque de Moché est une des plus grandes fautes collectives qui pèsent sur le peuple d’Israël jusqu’à présent. D’après le Midrach, la faute des explorateurs détermina les « pleurs des générations », sur la destruction du Temple, sur la ruine de Jérusalem et sur la désolation de la Terre. A cause de la faute des explorateurs, Israël au cours des générations a énormément souffert, et il endure encore les souffrances amères de l’exil. Le plus gros de la punition fut infligé, à l’époque même de la faute, à la génération du désert, comme il est expliqué dans la Thora. Mais le reste a été fractionné en nombre de parts que nous continuons d’éprouver à toutes les générations.

Une réparation salvatrice de la faute des explorateurs peut venir de la délivrance de Jérusalem et de sa reconstruction, et de toutes les actions en faveur du rassemblement des exilés, selon le principe bien connu que Dieu compense une chose par une autre, mesure contre mesure, d’un côté la culpabilité et de l’autre le mérite. Tout ce qui a été abîmé est réparé selon le lieu, selon le temps, selon la nature des actes et selon leur notoriété. La faute des explorateurs a causé des pleurs dans toutes les générations, comme l’ont expliqué nos Sages à partir du verset : « Le peuple pleura cette nuit-là » [Exode 14, 1]. Cette nuit-là était celle du 9 Av, date à laquelle le Temple a été détruit. La réparation doit donc être la reconstruction du Temple, et avant de reconstruire le Temple il doit y avoir la reconstruction de Jérusalem, comme l’a expliqué notre Maître [le Gaon de Vilna] à propos du verset : « Il dira à Jérusalem : « Sois bâtie » et au Sanctuaire : « Sois édifié » » [Isaïe 44, 28], verset qui s’applique autant aux débuts de notre délivrance ultime qu’à l’époque de Cyrus.

À notre grand démérite, nombreux sont ceux qui commettent la faute gravissime dont parle le verset : « Ils ont dédaigné une Terre pleine de charme » [Psaumes 106, 24]. Même parmi les hommes de Thora, beaucoup n’ont pas compris, et ne s’aperçoivent pas qu’ils se fourvoient dans cette faute, qu’ils sont entraînés dans ses scories par toutes sortes de raisonnements spécieux, d’arguments vains et factices. Ils masquent leurs opinions derrière la théorie que la mitsva d’habiter en Erets-Israël ne s’appliquerait pas de notre temps, théorie qui a pourtant été réfutée par les Grands du judaïsme, anciens comme modernes. Ces ‘explorateurs’ veulent être plus grands que nos maîtres les Tanaïm et les Amoraïm [1], qui ont tranché qu’habiter en Erets-Israël pèse autant que toutes les mitsvot de la Thora ; que notre maître le Ramban, que son mérite nous protège, qui a identifié cette mitsva comme un commandement positif de la Thora, d’après le verset : « Vous en prendrez possession et vous l’habiterez » [Deutéronome 11, 31] ; que notre maître le Tossefot Yom Tov, selon qui il y aura avant la Délivrance une phase initiale, comme ce fut le cas à l’époque de Cyrus pour la construction du Deuxième Temple ; et que notre maître le Chlah [2], dans ‘Cha’ar Haotiot’, où il explique l’importance de la mitsva d’habiter en Erets-Israël en tout temps et à toute époque, et que la sainteté de cette mitsva ne s’est jamais interrompue un seul instant.

Et qui est plus grand pour nous, dans toutes les générations modernes, que notre maître le Gaon de Vilna, Saint d’Israël qui, par des discours enflammés, exhortait ses élèves à monter en Erets-Israël et à prendre part au rassemblement des exilés, qui les pressait de hâter la fin des temps et la Délivrance en allant habiter en Erets-Israël.

Presque tous les jours, notre Maître nous disait en tremblant d’émotion « qu’à Sion et à Jérusalem il y aurait une libération », et qu’il ne fallait pas être en retard au rendez-vous. Qui pourra dire et qui pourra décrire l’inquiétude de notre Maître quand il nous parlait de ces choses, le souffle de son inspiration et les larmes de ses yeux ? Il nous a aussi expliqué plusieurs fois que l’opinion de Rav Yéhouda dans le Traité Ketoubot [110], qui disait que celui qui monte de Babylone en Erets-Israël transgressait un commandement positif, ne concernait que Babylone et non le reste du monde, et que même pour l’aliya de Babylone, l’opinion de Rav Yéhouda était une opinion isolée, réfutée là-bas dans la Guemara, et ensuite par les commentateurs. De plus, Rav Yéhouda s’appuie sur le verset : « Ils seront amenés à Babylone et ils y resteront jusqu’au jour où je me souviendrai d’eux » [Jérémie 27, 22], or quel est le sens de « jusqu’au jour où je me souviendrai d’eux » ? On voit que l’aliya d’Ézra et de Néhémie est partie de l’exil de Babylone, et on sait que tout ‘souvenir’ du Ciel doit être initié par un ‘réveil’ d’en-bas. Comme le dit notre Maître à différents endroits, le ‘souvenir’ d’en-haut commencera comme au temps de Cyrus à l’époque du Deuxième Temple, du ‘côté gauche’ par l’attribut de justice, c’est-à-dire par un réveil d’en-bas…

Notre Maître le Gaon parle en de nombreux endroits d’une ‘première délivrance’ du joug des empires par le ‘premier Messie’, le ‘Messie du début’. C’est le Messie fils de Joseph, dont la vocation est le rassemblement des exilés par un ‘réveil d’en-bas’. Que signifient ‘le premier Messie’ et ‘la première délivrance’ dans les paroles de notre Maître le Gaon ? C’est l’étape qui prépare la venue du Messie fils de David [3]. Que diront alors ceux qui professent des explications tendancieuses sur ces paroles de nos Sages : « Quand Jérusalem sera reconstruite le Messie viendra », et sur le verset : « Il viendra un sauveur pour Sion » [Isaïe 59, 20] à partir du Midrach et du commentaire de Rachi : « Tant que Jérusalem ne sera pas reconstruite, le sauveur ne viendra pas » ? Ce sont les ‘mousses du mur’ qui sont parvenues à vaincre les ‘cèdres du Liban’ [4] ! [Les errements de ceux-ci] ne sont que de lointains échos des explorateurs qui élèvent la voix ! Et c’est en effet ce qu’ont annoncé nos Sages : à l’approche du Messie, la vérité disparaît et l’insolence se multiplie, une insolence qui vise même les paroles saintes de nos prophètes et de nos visionnaires, qui vise les Grands d’Israël les plus anciens, dirigée contre l’opinion et les directives du Saint d’Israël, notre Maître le Gaon. Nous devons prier pour que tous ceux-là, qui sont sous l’influence de l’esprit d’Amalek, reviennent vite de leur mauvais chemin, et que le Miséricordieux fasse expiation de leurs fautes.

Comme nous l’avons expliqué, la réparation de la faute des explorateurs ne peut se faire que par la reconstruction de Jérusalem et par l’accroissement de la zone de peuplement, cette mitsva étant d’ordre prophétique : « Élargis l’emplacement de ta tente » [5] [Isaïe 54, 2]… Nous devons savoir au premier abord que tout le potentiel de bénédiction dont cet essor est porteur ne se réalise que si l’initiative provient des enfants d’Israël eux-mêmes, et fonctionne comme un ‘réveil d’en-bas’, selon les termes du verset : « Élargis l’emplacement de ta tente ». C’est encore ce qui est dit à propos d’Isaac notre père, qui commença lui-même à ensemencer la terre et à creuser le puits, et c’est seulement alors que vint la bénédiction d’abondance envoyée par le Ciel, comme il est dit : « L’Éternel te destinera la bénédiction, dans tes greniers et dans toutes les œuvres de tes mains » [Deutéronome 28, 8]. Ainsi, tout développement venant d’ici-bas, tel que nous l’avons rappelé, joue un rôle d’amorce pour attirer le flux de bénédiction venant des espaces supérieurs, c’est-à-dire de la ‘Jérusalem d’en-haut’, qui est aussi appelée ‘l’espace des hauteurs’. Et ainsi se rapproche-t-on de la Délivrance.

Tous ce qui contribue à cette ‘mitsva de développement‘ doit donc être fait et intensifié sans interruption ni atermoiement, conformément à la prophétie citée : « Élargis l’emplacement de ta tente [et que les tentures de ta demeure soient déployées], ne néglige rien » [Isaïe 54, 2] – l’expression « ne néglige rien » signifiant : ne te relâche pas, et plus loin « fixe solidement tes chevilles ! ».

Et quand notre Maître s’adressa pour les bénir à ceux qui, parmi ses élèves, lui avaient fermement promis d’aller en Terre Sainte, il dit avec une grande émotion : « Soyez heureux d’accomplir la mitsva d’habiter en Erets-Israël, qui équivaut à toutes les mitsvot de la Thora. Soyez heureux d’être les partenaires du Saint-Béni-Soit-Il, Lui qui revient avec le retour de Jacob et s’apitoiera sur ses demeures, Lui qui reconstruit Jérusalem, affermit la part de la veuve et étend la frontière d’Israël. Soyez heureux d’accomplir la ‘mitsva de développement’ selon l’ordre prophétique « Élargis l’emplacement de ta tente » [Isaïe 54, 2], car cette mitsva amènera le retour des exilés dans la clémence, comme il est écrit : « Car tu parviendras à droite comme à gauche et ta descendance héritera des nations, elle repeuplera les villes détruites… Je te rassemblerai avec une immense compassion «  [Isaïe 54, 3 et 7] ».

Tout cela, nous devons le savoir d’emblée quand nous œuvrons dans la sainteté pour le rassemblement des exilés et la reconstruction de Jérusalem. Nous devons savoir qu’à mesure que notre travail avancera, ‘l’autre côté’ [6] se renforcera pour nous gêner et nous faire échouer, au moyen de son arme principale qui est le déni de vérité, comme l’ont expliqué nos Sages et notre Maître le Gaon.

[‘Kol Hator’]


[1] Maîtres de la Michna et de la Guemara, respectivement.
[2] Rabbi Icha’ya Halévy Horowitz, dans ‘Chnei Louh’ot Habrit ‘.
[3] Le Gaon de Vilna enseigne donc qu’il doit y avoir une ‘première délivrance’, ‘dont la vocation est le rassemblement des exilés par un réveil d’en-bas’, avant l’avènement du Messie fils de David, qui consacrera la délivrance définitive.
[4] D’après l’expression talmudique [Moëd Katan 25b] : « Si la flammèche a atteint jusqu’aux cèdres, que pourront faire les mousses du mur ? » ‘Ceux qui professent des explications tendancieuses’ sont, comme les ‘explorateurs’ [Nombres chap. 13], des personnages éminents de la Thora comparables aux ‘cèdres du Liban’, mais leurs enseignements erronés se trouvent démentis par la masse des humbles ‘mousses du mur’, ceux qui dans la pratique réalisent le ‘réveil d’en-bas’ et la ‘première délivrance’ selon le Gaon de Vilna.
[5] Le prophète s’adresse à Jérusalem.
[6] Les forces du mal.