Hanoucca : la force intérieure


Par Menahem Brégégère – paru dans ‘J’ANNONCE’ n° 158, décembre 2017.


L’obscurité est le domaine de l’inconnu et de la peur. La lumière nous rassure parce qu’elle nous rend la perception de la réalité. J’ai eu la chance de naître à Paris, ‘ville-lumière’ pas seulement par l’éclat de ses réverbères, mais par la culture et l’intelligence qui transpire de ses pierres comme de son histoire. Je me souviens de sa beauté classique. Cette cité était ouverte à tous les défis du cosmopolitisme, elle relevait le défi de l’intelligence et de l’ouverture à l’autre, fierté de l’être humain à l’image du Créateur. Je n’ai pas oublié.

Le Rav Kook aussi nous renvoie à la lumière. Tous ses livres s’appellent ‘Orot’ [‘Lumières’] ! Il y a les lumières de la Techouva, les lumières de la Thora, les lumières de la Résurrection… Et puis ‘Orot’ tout court, quand la lumière émane de si haut que l’esprit humain ne peut plus la catégoriser. Il y a lumière et lumière, et c’est tout le sujet de Hanoucca.

Au niveau le plus bas, il y a les projecteurs de l’actualité. Aujourd’hui l’allumage de Hanoucca devient populaire dans le monde entier. Des personnages politiques y sont mêlés. S’ils connaissaient vraiment le sens de ce rituel, certains n’y participeraient peut-être pas ! Mais doit-on pour autant mépriser ce tapage médiatique ? Certainement pas, car c’est un signe des temps de la plus grande importance.

Qu’on se rappelle qu’il y a 75 ans à peine, le sort des Juifs semblait scellé dans la malédiction, non seulement en Allemagne, mais plus largement dans le vaste monde. Deux ans après la libération des camps, les Britanniques persistaient à barrer la route de la Terre promise aux rescapés de la Shoah, les entassant comme des pouilleux dans de nouveaux camps, à Chypre ou à Atlit. Le drame de l’Exodus, c’était en 1947 ! On était encore loin de l’allumage des bougies de Hanoucca à la Maison Blanche !

En 1948 l’État d’Israël est né, et grâce à la persévérance de ses fondateurs, à l’héroïsme de ses combattants, au dévouement de tous pour reconstruire le pays des Patriarches à l’image de leurs idéaux, la masse exsangue s’est métamorphosée, elle est devenue une nation prospère qui force aujourd’hui le respect par ses réussites économiques, politiques et militaires. C’est une première victoire : le peuple juif sort de l’obscurité. Mais le sens de la fête de Hanoucca va beaucoup plus loin.

Car s’il s’agissait seulement du succès public, tous les empires ont connu leur apogée et leur décadence. Même la gloire des Hasmonéens fut éphémère. Mais pour ces derniers une particularité doit attirer l’attention : leur victoire ne fut jamais le résultat d’une supériorité matérielle sur l’empire grec. Alors quel genre de miracle la rendit possible ? Nos Sages nous le font comprendre en perpétuant le souvenir de la petite fiole d’huile pure cachée au fond du Sanctuaire, et dont l’allumage persista miraculeusement au-delà de sa capacité matérielle.

Quel rapport avec la victoire ? Cette petite flamme de sainteté, dont nous allons tenter de comprendre la nature, poussa le peuple de Dieu à des entreprises invraisemblables, dont la réussite fut ensuite assurée par la bénédiction divine. Il n’y eut pas le déchaînement d’un incendie dévastateur, mais la constance d’une petite flamme spirituelle qui ne s’éteint jamais, dont nous devons maintenant comprendre le rapport avec la force et l’invincibilité.

Il y a deux sortes de lumières, et cela remonte loin ! Il y a celle des astres et de tous nos luminaires, qui nous montre le monde tel qu’il est dans son état matériel. Elle nous fait comprendre la réalité des choses au moyen de notre perception et de notre intelligence. Elle permet le développement des sciences et des techniques, l’acquisition d’une connaissance féconde bien qu’approximative.

La création de cette lumière-là nous est annoncée le quatrième jour [Genèse 1, 14 ; Rachi et le Midrach]. Alors la lumière du début, celle dont Dieu avait dit “qu’elle était bonne” [Genèse 1, 3], fut cachée et mise en réserve pour les Justes des temps futurs. Cette lumière cachée est la lumière intérieure qui se libère dans nos cœurs de génération en génération au fil de nos progrès spirituels, et qui assure la permanence de notre être.

Mais cette intériorité dont on parle n’est-elle pas chimérique par rapport à la réalité sonnante et trébuchante à laquelle nous sommes habitués ? En y réfléchissant, c’est exactement l’inverse. L’intériorité, c’est par définition ce qui ne nous est pas étranger, ce par quoi nous existons en tant que personnes, et en tant que peuple, ce qui fait que nous pouvons dire ‘je’, ‘nous’, ce qui nous donne la certitude absolue d’exister, car il n’y a pas d’existence possible sans espace intérieur.

Cette intériorité est aussi le terrain de tous nos progrès spirituels, d’année en année, et de génération en génération. C’est le lieu de l’âme collective d’Israël, qui fut purifiée par les épreuves de deux mille ans d’exil. La petite lumière de Hanoucca, allumée aujourd’hui sur notre Terre, reste discrète et profonde, opiniâtre et indéracinable comme avant, mais sa qualité s’est transformée, son potentiel est devenu grandiose, et c’est à nous de le réaliser !

Pour cela, nous avons grandement besoin de cette Thora de l’intériorité dont parlent les fils de Korah à propos des temps messianiques : “Ma bouche parlera de connaissances, et le roucoulement de mon cœur de compréhensions. Écoute la métaphore, mon oreille, j’éluciderai mon énigme par la lyre” – c’est-à-dire : “Mon oreille, écoute les paroles de Thora, et entends le message intérieur porté par la musique et le murmure du cœur” [Psaume 49, 4-5].

Aujourd’hui, la lumière de Hanoucca a vocation d’éclairer l’humanité entière et de lui faire reconnaître la royauté divine. C’est à nous de l’allumer comme il convient, dans la discrétion, la confiance et la force tranquille. Ce processus est amorcé, et en y consacrant tous nos efforts et avec l’aide de Dieu, nous trouverons dans la Thora d’Israël les moyens de le conduire à son accomplissement.