Rabbi Éliézer Yéhouda Waldenberg (Jérusalem 1915 – 2006, auteur de ‘Tsits Éliézer’)
Voici le lieu de publier les développements halakhiques que j’ai rédigés sur l’obligation de monter en Erets-Israël, après la création de l’État encore plus qu’auparavant.
I – Fondements de l’obligation de monter et de s’installer en Terre d’Israël après la création de l’État :
Depuis que l’État a été fondé avec l’aide du ‘Rocher et Sauveur d’Israël’, Éternel-Tsevaot est son nom, il est devenu nécessaire d’éclaircir la halakha sur le caractère obligatoire de la mitsva de monter en Terre d’Israël et de s’y installer. Il s’agit ici de toute l’étendue de ses territoires, sans faire de distinction entre ceux qui furent conquis par les arrivants de Babylonie et ceux qui ne furent conquis que par les arrivants d’Égypte, car la mitsva de monter et de s’installer découle de la sainteté propre à la Terre où réside la Présence divine, et celle-ci étend sa résidence sur tout le territoire dont les frontières ont été définies par la Thora. La sainteté de la Terre est une sainteté perpétuelle, qui durera jusqu’à la fin des jours du monde, comme c’est amplement expliqué dans ‘Kaftor Vaferah’ chap. 10, dans les Responsa du Tachbets [1], 3e partie, §§ 198-200, dans ceux du Hatam Sofer, section Yoré De’ah, §§ 233-234, dans l’introduction de ‘Chabbat Haarets’ [2], et d’autres.
II – La mitsva d’habiter Erets-Israël dans son principe :
Le principe de la mitsva d’habiter en Erets-Israël dans toutes ses ramifications et ses multiples variantes, l’obligation d’y monter de tous les coins de la terre comme des enfants qui rejoignent le sein de leur mère, l’importance de cette mitsva centrale et globale, la pérennité de l’obligation que nous avons de l’accomplir, sa persistance malgré la destruction du Temple et le bannissement d’Israël de sa Terre, tout cela a été largement expliqué et clarifié depuis les premiers de nos Guéonim et de nos Rabbanim, les commentateurs et les décisionnaires classiques, jusqu’à notre génération. Ces choses ont été rédigées et mises au clair dans leurs ouvrages, et parfois exposées de manière synthétique, comme dans le livre ‘Péat Hachoulhan’, Halakhot d’Erets-Israël.
Je signalerai à ce propos ce que j’ai vu dans les Responsa Toldot Yaakov (de l’auteur de ‘Cheerit Yaakov’, Hochen Michpat § 8) : l’auteur y analyse l’omission par le Rambam de la mitsva d’habiter en Erets-Israël dans le compte des mitsvot de la Thora, un sujet sur lequel les décisionnaires ont beaucoup écrit. Il explique que le Rambam a posé dans ses principes [Principes 4-5] qu’il ne faut pas prendre en compte des commandements qui incluent toute la Thora, ou un grand nombre de mitsvot – comme si l’on disait : « Fais tout ce que Je t’ai ordonné » ! C’est pour cette raison qu’il n’a pas compté la mitsva d’habiter en Erets-Israël, car elle en inclut beaucoup d’autres comme on l’a noté : « De toute façon, la Thora a ordonné d’habiter en Erets-Israël pour y accomplir les mitsvot liées à la Terre ». La mitsva d’habiter en Erets-Israël est donc bien une mitsva de ce type, qui inclut l’accomplissement de nombreuses mitsvot. On l’appelle pour cette raison « mitsva globale », et le Rambam n’a pas pris cette catégorie en considération dans son compte des mitsvot.
Il faut ajouter que nous trouvons dans les commentaires des Richonim que toutes les mitsvot de la Thora n’existent dans leur principe qu’en Terre d’Israël, dans leurs fondements comme dans leur formulation et leurs prescriptions. Ceci est développé par le Ramban dans son commentaire sur la Thora [Genèse 26, 5 ; Lévitique 18, 28] ; et dans les Responsa du Rachba [I § 134] sont expliquées les paroles de nos Sages [Traité Ketoubot 110b], que : « Celui qui habite hors d’Erets-Israël est comme un athée ». Le Rambam a repris ces propos sous la forme d’une décision codifiée [Lois sur les Rois, chap. 5, hal. 12], que quiconque émigre hors d’Erets-Israël est comme un idolâtre – et point n’est besoin d’ajouter ici sur les différences de formulation entre la Guemara (ibid) et Thorat Cohanim [Section ‘Behar’ 25, 38], ni sur la recomposition qu’en a faite le Rambam (ibid).
Dans Toldot Yaakov, l’auteur explique aussi l’intervention de Rav Samlaï dans le Traité Sota [14a] : « Notre Maître Moïse désirait ardemment entrer en Erets-Israël parce que le peuple d’Israël avait reçu de nombreuses mitsvot, et qu’on ne pouvait les réaliser qu’en Erets-Israël… ». [D’après lui,] il faut noter que Moïse ne dit pas que son désir ardent concerne la mitsva d’habiter en Erets-Israël pour elle-même, puisque le fait de parcourir n’implique pas la réalisation de la mitsva de s’y installer (ce sur quoi les décisionnaires sont partagés), et qu’en outre il lui était impossible de demander d’y habiter, puisqu’il savait qu’il devrait mourir en face de Beit Péor pour expier l’affaire de Péor. Il faut aussi étudier à ce sujet le livre Hemdat Israël [section Ner Mitsva, note 50], qui vient renforcer cette objection, en ceci que c’est Rabbi Samlaï lui-même, à la fin du Traité Makkot, qui enseigne que les 613 mitsvot ont été données à Moïse au Sinaï… [3]
Et à mon humble avis, puisqu’on a dit plus haut que c’est une mitsva globale, cette difficulté elle aussi se résout d’elle-même. Tout est en réalité implicite dans les propos de Rabbi Samlaï lorsqu’il déclare : « Moïse a dit : » Israël a reçu de nombreuses mitsvot qui ne sont réalisables qu’en Erets-Israël, et je voudrais entrer au Pays pour pouvoir les faire toutes moi-même » ». Il veut certes parler de la mitsva d’habiter en Erets-Israël elle-même, et si Moïse veut y entrer pour accomplir cette grande mitsva, c’est parce qu’elle inclut de nombreuses mitsvot de la Thora prescrites aux Bné-Israël, et que par le fait même d’y entrer il pourra toutes les réaliser. Quant au sens littéral, on peut résoudre la difficulté en disant simplement ceci : pourquoi Rabbi Samlaï n’a-t-il pas expliqué que Moïse notre maître (la paix soit sur lui) désirait accomplir la mitsva d’habiter en Erets-Israël ? – parce que l’Éternel l’avait informé de la décision le concernant, qu’il n’entrerait pas au Pays. Cette mitsva n’en était donc plus une pour lui et elle ne lui incombait plus, alors à quoi bon demander la possibilité de l’accomplir si elle ne possédait plus pour lui le statut de commandement ? C’est pourquoi Rav Samlaï a dit que, même s’il n’accomplissait pas en cela de mitsva, Moïse notre Maître (la paix soit sur lui) brûlait malgré tout du désir d’entrer en Erets-Israël. De cette manière, en effet, entrant dans le Pays même pour un temps très bref, il endosserait aussitôt l’obligation des nombreuses mitsvot liées à la Terre, qui s’imposent automatiquement et selon des modalités variées à tout ceux qui s’y trouvent.
III – Retour de l’obligation collective de monter s’installer en Terre d’Israël depuis la création de l’État :
Nous touchons ici la finalité principale de cet article : expliquer et démontrer selon la Halakha que l’obligation de monter en terre d’Israël et la mitsva de s’y installer n’ont aucunement été invalidées avec la création de l’État, et l’acquisition de sa souveraineté sur une partie significative de son territoire. Au contraire, elle [la mitsva de l’aliya) n’en a pris que plus de valeur, et pour chaque Juif habitant en exil, l’obligation de l’accomplir est encore plus forte. Certains font un lien entre l’aliya et l’obtention de la souveraineté sur la Terre ; ils pensent, à tort, que cette mitsva est essentiellement liée à la création d’un état, de manière à accroître la population juive et à devenir les maîtres du Pays en constituant la majorité de ses habitants. Pour ceux-là, le but recherché est déjà atteint, puisque nous formons désormais un peuple indépendant, avec un gouvernement propre sur la Terre de notre sainteté, même si ce n’est que sur une partie de son territoire. Ils pensent donc que le devoir et l’obligation religieuse de monter en Erets-Israël sont maintenant considérablement atténués. Mais comme nous le démontrerons avec l’aide de Dieu, la mitsva de l’aliya n’est nullement liée à d’autres objectifs, elle est absolument indépendante, et elle est un but en elle-même.
La mitsva de monter et de nous rassembler sur notre Terre est formée de deux volets :
1. Une mitsva collective, obligation collective pour le peuple d’Israël de venir prendre possession de la Terre pour y être un peuple saint, car c’est la communauté présente sur sa Terre qui est appelée ‘communauté digne de son Nom’ [4].
2. Une mitsva individuelle, obligation individuelle pour toute personne d’Israël, partout où elle se trouve, de mettre tout en œuvre pour monter à Sion et s’y établir.
La mitsva collective a cessé d’avoir force de loi après la destruction de notre Temple, lors de notre exil loin du Pays, après que la Gloire de notre ‘maison de vie’ se fut retirée, et dans l’attente de son retour. De surcroît, nous avons été liés par le serment ‘de ne pas monter en muraille’, comme il est précisé dans le Traité Ketoubot [111a]. Il ne reste donc plus que la mitsva individuelle, qui concerne toute personne d’Israël en particulier. C’est ce qu’explique l’auteur de Péat Hachoulhan dans les Halakhot d’Erets-Israël [1, 3] : « Durant toute la période d’exil où nous sommes plongés, ce n’est pas une mitsva collective pour la communauté d’Israël dans son ensemble, mais c’est une mitsva pour chaque individu d’y habiter ».
Il se dégage ainsi dès à présent de ces enseignements eux-mêmes une évidence du redoublement de l’obligation de l’aliya, et du commandement s’y rattachant, depuis l’avènement de l’État. En effet, le serment de ne pas monter ‘en muraille’ nous engageait à nous abstenir de monter en force tous ensemble, comme l’explique Rachi dans Ketoubot sur place. Il n’avait donc lieu d’être que tant que Dieu n’était pas venu à notre aide de manière éclatante, car alors une grande aliya collective aurait pu être prise par le pouvoir en place comme une sorte de montée ‘en muraille’, de tentative d’épreuve de force, alors qu’en réalité nous étions bridés par une législation qui nous étranglait. Et nous nous souvenons encore des événements tragiques qui frappèrent à l’époque du Mandat les « tisons sauvés du feu » [5] [Zacharie 3, 2], quand il sembla au pouvoir en place que nous montions ‘en muraille’. Mais depuis, l’Éternel s’est souvenu de nous avec bonté, pour nous donner un nom et un héritage dans la Terre de sa sainteté, et pour nous en rendre maîtres. Il a inspiré le cœur des nations du monde réunies, comme autrefois celui de Cyrus, pour qu’elles nous restituent une partie de la Terre qui nous avait été dérobée. Alors les portes de la Terre [6] se sont largement ouvertes, sans jamais devoir se refermer, ni de jour ni de nuit, devant aucun Juif, sans limitation ni restriction, et tous y seront accueillis à bras ouverts et dans une joie profonde.
S’il en est ainsi, il va de soi que le serment qui limitait l’aliya collective, de ne pas ‘monter en muraille’, n’a plus cours aujourd’hui. Il est devenu obsolète, car personne n’y voit plus une ‘montée en muraille’. Au contraire, la plupart des peuples qui ont un pouvoir de décision au plan international voient cela plutôt d’un bon œil – pour différentes raisons qu’il n’est pas besoin d’expliquer – ils voient cela comme une chose naturelle, comme le retour des fils au sein de leur mère patrie. Il en résulte que la mitsva de l’aliya revient aujourd’hui dans sa dimension collective qui concerne toute la maison d’Israël, et que chaque communauté juive de Diaspora se doit de se lever en bloc, pour venir s’installer sur notre Terre bien-aimée.
IV – L’obligation de l’aliya n’est pas suspendue par la prise du pouvoir dans le pays :
Certains pensent que puisque le territoire qui est entre nos mains est déjà conquis, qu’il échappe à l’emprise des non-Juifs et qu’il se trouve sous notre souveraineté exclusive, il n’y a plus d’obligation de monter pour s’y installer, car il se trouve déjà en notre possession. Mais ils font une grave erreur, car la mitsva de monter pour prendre possession de notre Terre est tout-à-fait distincte de la mitsva de la conquête, ce sont deux mitsvot séparées. Et de même que nous avons reçu le commandement de la conquête, de même nous avons reçu spécifiquement celui de peupler le pays, comme il est écrit dans la section Mass’ei : « Vous prendrez possession de la Terre et vous y habiterez… » [Nombres 33, 53]. En premier lieu vient la mitsva « vous prendrez possession », de repousser le peuple qui est devant nous et de ne pas laisser la Terre entre ses mains, et ensuite vient la mitsva « vous habiterez », de ne pas laisser la Terre en déshérence, mais de venir s’y installer dans tous ses coins et recoins, comme l’explique Nahmanide sur place : « Il leur donne ce commandement positif d’habiter la Terre, car elle leur est donnée en possession et ils ne doivent pas dédaigner l’héritage de l’Éternel ; ainsi, s’il leur venait à l’esprit d’aller conquérir la Babylonie, l’Assyrie ou d’autres pays et de s’installer là-bas, ils transgresseraient la mitsva de l’Éternel ». Ce que le Ramban veut dire ici par « ne pas dédaigner l’héritage de l’Éternel » en allant s’installer dans un autre pays, s’entend même après la conquête de la Terre, car alors fixer sa résidence ailleurs s’appelle « dédaigner l’héritage de l’Éternel ».
Les choses apparaissent de manière plus explicite encore dans le décompte des mitsvot positives du Ramban [mitsva n°4], où il est écrit : « Nous avons reçu l’ordre de prendre possession de la Terre donnée par le Très-Haut à nos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob, et de ne pas la laisser aux mains d’autres que nous parmi les nations, ni de la laisser en déshérence. C’est ce que [Dieu] leur dit : « Vous prendrez possession de la Terre et vous y habiterez, car Je vous ai donné cette Terre pour que vous en preniez possession » [Nombres 33, 53] ; et vous hériterez de la Terre « que J’avais promise par serment à vos ancêtres » [Jérémie 11, 5] ». Il est bien précisé que l’obligation est double : d’abord ne pas laisser la Terre aux mains d’autres que nous parmi les nations, et ensuite ne pas la laisser en désolation, mais d’en prendre possession.
Dans la suite de ses propos, le Ramban continue de clarifier dans un langage qui ne laisse planer aucun doute : « Si les nations ont pris la fuite devant nous et sont parties… nous avons le commandement de venir nous saisir des villes de ce pays, et d’y faire revenir nos tribus. Après que nous aurons éliminé le peuple [qui l’occupait], si nos tribus voulaient l’abandonner pour conquérir la Babylonie, l’Assyrie, ou d’autres pays, elles n’y seraient pas autorisées, car nous avons reçu l’ordre de conquérir et d’habiter la Terre d’Israël ». Les choses sont donc bien explicites, et elles sont même précisées sur le mode « venant enseigner l’un, il explique l’autre » : quand le Ramban dit que s’il leur venait à l’esprit d’aller conquérir la Babylonie etc, il précise explicitement que c’est même « après que nous aurons éliminé le peuple qui l’occupait » [7].
Et c’est peut-être aussi ce que veulent dire les mots de la Tossefta [Traité Avoda Zara, chap. 4, hal. 5 – selon la version du Ramban, section Aharei Mot, Lévitique 18, 25, éd. Zuckermandel] : « « Mais tout le temps qu’ils l’occupent, elle est considérée comme conquise » – cela signifie que s’ils ne l’occupent pas elle n’est pas conquise » [et d’après Zuckermandel : « elle n’est pas considérée comme conquise »]. Autrement dit, même si elle a été conquise, la conquête n’est pas achevée, et elle ne pourra mériter ce titre tant que le peuple d’Israël n’en aura pas pris possession en y habitant, puisque la mitsva n’a pas encore été accomplie conformément aux principes de sa formulation. Pour cette Tossefta, la Terre n’est considérée comme conquise devant l’Éternel que si Israël, son peuple bien-aimé, s’y est implanté.
V – Redoublement de l’obligation individuelle de monter et de s’installer depuis la création de l’État :
Nous avons vu que dans la perspective de la mitsva collective, l’obligation de monter et de s’installer au pays d’Israël, qui incombe à toute personne d’Israël se trouvant en exil, est encore plus grande depuis la création de l’État. En effet, cette obligation est double :
1. Obligation au plan individuel.
2. Obligation au plan collectif, exprimant la nécessité impérative de s’installer en Terre d’Israël afin de consolider le statut de la souveraineté et de la présence collective, dans le but d’empêcher qu’elle retourne jamais aux mains des étrangers.
Je trouve un appui dans les Responsa du Ribach [8] [§ 101] qui, au cours d’une de ses réponses, explique qu’habiter en Terre d’Israël n’est pas la mitsva limitée à une époque, mais un devoir permanent. Elle est à la fois une mitsva et un acte d’intérêt public envers tout Israël, afin que la Terre sainte ne tombe pas entre des mains impures. En cela, les caractères spécifiques de cette mitsva ne sont pas généralisables aux autres mitsvot. Le Ribach revient encore sur ce point au § 387. Car habiter en Terre d’Israël est une grande mitsva et une obligation contraignante pour chacun, non seulement du point de vue personnel, mais également du fait qu’elle implique l’impératif de solidarité, signifiant à chacun le devoir de se soucier de l’intérêt commun. Lorsqu’elle s’installe elle-même dans le pays, [chaque personne] devient bénéfique pour toute la collectivité, contribuant à ce que la Terre ne tombe pas aux mains des étrangers, et participant de manière positive à sa résurrection et à sa fertilité. Et si cela était déjà vrai à toute époque, même quand nous étions encore loin de constituer un peuple sur notre Terre, à plus forte raison est-ce vrai aujourd’hui où cette obligation incombe à chacun de nous, non seulement du point de vue individuel, mais également du point de vue du devoir et de la responsabilité vis-à-vis de la collectivité. Chacun doit se soucier de l’intérêt de la nation et de l’État en cours de formation, de sa restauration et de sa souveraineté, afin d’implanter une nation vigoureuse sur la Terre de sainteté, de la soutenir et de la renforcer, pour qu’elle porte ses fruits, pour qu’elle se multiplie, s’élargisse et s’étende à tous les territoires cités dans la bénédiction de l’Éternel.
Avec la création de l’État, l’obligation de l’aliya s’est renforcée aussi pour deux autres raisons :
Premièrement, les empêchements et les obstacles liés aux périls physiques pendant le voyage ont été éliminés, de même que ceux qui découlent de l’impossibilité de subvenir à ses besoins dans le Pays, au point de souffrir de la faim – Dieu nous en préserve. Avec ces obstacles ont également disparu les dispenses halakhiques, en rapport avec eux, qui étaient mentionnées dans les écrits des décisionnaires ; et il n’y a plus lieu d’écouter les objections à l’aliya, même celles du père ou de la mère, et même celles du Beth-Din, comme c’est expliqué longuement dans les Responsa du Maharit [9] [Tome II, Yoré De’ah § 28], et dans son commentaire à la fin du Traité Ketoubot à propos des paroles de Rabbi Haïm Cohen citées par les Tossaphistes. Et de même dans les Responsa du Maabit [10] [Tome I § 139], dans les Responsa Meïl Tsédaka [§ 26], dans Pithei Techouva [Éven Ha’ezer § 75/6], dans les Responsa Beit Yéhouda du Mahari Ayache [Yoré De’ah § 54], et en d’autres endroits, en termes exhaustifs.
Deuxièmement, on peut dire que dans la situation actuelle de l’État, qui à peine sorti des langes s’est trouvé encerclé par des ennemis mortels avides de l’engloutir – à Dieu ne plaise, il y a une obligation spécifique de se mobiliser sans tarder pour monter au Pays d’Israël, afin de lui venir en aide contre le bras hostile qui l’assaille. Ceci découle de l’obligation de la « guerre de mitsva », telle qu’elle est stipulée par Maïmonide dans les Lois sur les Rois [chap. 5, hal. 1]. Tout mouvement de montée, organisé ou non, est évidemment un soutien direct ou indirect à l’État en guerre.
VI – La mitsva de travailler la terre en Erets-Israël :
Par ailleurs, personne ne doit mésestimer l’importance du peuplement des colonies agricoles pour ceux qui vivent du travail de leurs mains. Et à plus forte raison, il n’y a aucune justification à faire obstacle à l’aliya ainsi orientée, ni à s’opposer à un tel programme. Et s’il est notoire que le travail de la terre est d’une manière générale préférable aux diverses activités professionnelles et commerciales, parce qu’il est le plus souvent dénué de toute escroquerie et de toute exploitation de l’autre, cela est plus vrai encore sur la Terre de sainteté, où les activités destinées à « la travailler et la garder » [Genèse 2, 15] constituent en elles-mêmes une mitsva.
Nous nous contenterons de rapporter à ce sujet les propos merveilleux du Hatam Sofer dans son commentaire sur le chapitre ‘Loulav Hagazoul’ [Traité Soukka, 36a], à propos de la discussion entre Rabbi Chimon bar Yohaï et Rabbi Ichmaël dans Berakhot [35b], sur l’explication du verset : « Tu amasseras ta récolte » [Deutéronome 11, 14] [11]. Voici ce que dit notre Maître le Hatam Sofer : « Il me semble, à mon humble avis, que Rabbi Ichmaël lui-même ne comprend ainsi le verset « Tu amasseras ta récolte » qu’en Erets-Israël quand la majorité du peuple d’Israël y réside, car alors le travail du sol est lui-même une mitsva, au titre d’habiter le Pays et de lui faire donner sa production de fruits auxquels s’attache la sainteté. C’est dans ce but précis que la Thora a ordonné « Tu amasseras ta récolte ». [On voit également :] « Et Boaz (…) fait le vannage de l’orge dans la grange cette nuit » [Ruth 3, 2] – au titre de la mitsva. Dirais-tu : « Je ne peux pas mettre les téfillines parce que j’étudie la Thora ? De même on ne doit pas dire : « Je ne peux pas amasser ma récolte parce que je suis occupé à la Thora. Cependant, dans une période où, par nos fautes, la plus grande partie d’entre nous est dispersée parmi les nations du monde, et où celui qui abonde dans le travail ne fait que ruiner davantage le service divin, alors Rabbi Ichmaël est d’accord avec Rabbi Chimon. C’est [seulement] dans cette situation de l’exil que nous retenons l’enseignement de Rabbi Nehoraï dans la michna de la fin du traité Kiddouchin : « Je laisse de côté tous les métiers du monde, et je n’apprends à mon fils que la Thora » ; il s’agit ici des pays de l’exil et pas d’Erets-Israël, comme nous l’avons vu plus haut ».
Le Hatam Sofer veut parler ici de ceux qui [en Erets-Israël] confèrent à leurs occupations profanes la pureté des choses saintes, en s’occupant du travail de la terre au nom du Ciel et de manière désintéressée. Mais ces enseignements du Hatam Sofer sont en eux-mêmes absolument merveilleux, et ils valent leur pesant d’or. Il se présente comme le plus grand amoureux de Sion qui puisse exister, pour reprendre un concept de notre génération. Et ce, bien qu’étant en même temps un Juif harédi, qui n’était pas censé avoir de telles idées, encore moins les exprimer de sa bouche, et encore moins mettre par écrit des pensées originales telles que d’affirmer que si un homme d’Erets-Israël dit : « Je ne peux pas amasser ma récolte parce que j’étudie la Thora », c’est comme s’il disait : « Je ne peux pas mettre de téfillines parce que je suis occupé par la Thora « – parce que le travail du sol est en lui-même une mitsva, au titre d’habiter le Pays et de lui faire donner sa production de fruits auxquels s’attache la sainteté. Et si nous entendons malgré tout ces paroles formulées explicitement dans la pureté et la sainteté, de la bouche de ce grand zélateur, combattant farouche des guerres de l’Éternel dans la génération précédente et Maître de tout Israël, notre Maître le Hatam Sofer (que le nom des Justes soit rappelé pour la bénédiction), il y a là une exhortation considérable à se renforcer et à s’enhardir, un encouragement et une consolation pour nos frères respectueux de la parole d’Hachem, et qui forment des associations dans le but de s’installer sur la Terre de sainteté, de la travailler et de lui faire produire les fruits qui font sa réputation.
VII – C’est une mitsva de monter en Erets-Israël et de s’y installer, même quand les gouvernants sont essentiellement laïcs :
Il me semble clair que qu’il n’y a aucune justification à refuser de monter au Pays sous prétexte que la direction de l’État est livrée en majorité à des impies, à cause de nos fautes. Il n’y en a pas davantage à l’allégation que jamais la délivrance du Ciel ne pourra s’épanouir dans les mains de ceux dont le cœur est dépourvu de la crainte de Dieu. Cette insertion est non seulement fallacieuse, mais elle contient également sa propre réfutation : en effet, il est clair que plus l’aliya des observants de la Thora augmentera, et plus grandira la force et l’influence du Judaïsme fidèle dans les institutions de l’État, jusqu’à ce qu’avec le temps les efforts pour changer le cours des choses soient, grâce à Dieu, couronnés de succès.
De plus, qui peut pénétrer le secret de la Providence divine, et deviner la pensée du Tout-Puissant ? Il est déjà arrivé dans l’histoire, en l’absence de tout appui ou soutien, que l’Éternel, depuis sa demeure de sainteté, envoie son aide par l’intermédiaire d’un roi d’Israël infidèle, afin d’élargir les frontières du Pays et d’y installer les multitudes d’Israël. Il est remarquable que les versets rapportent la chose en faisant l’éloge de ce roi-là, tandis que toute l’étendue de sa méchanceté se trouve notée juste après, conformément au principe : « une transgression n’annule pas une mitsva » [Sota 21a]. N’est-ce pas ce que disent les versets : « Dans la quinzième année d’Amacia fils de Joas, Jéroboam fils de Joas devint roi d’Israël à Samarie et régna 41 ans. Il fit le mal aux yeux de l’Éternel, il n’évita aucune des fautes de Jéroboam fils de Nebat, qui avait fait fauter Israël. Il rétablit la frontière d’Israël depuis les environs de Hamat jusqu’à la Mer de la Plaine, selon la parole de l’Éternel Dieu d’Israël, qu’il avait énoncée par son serviteur Jonas fils d’Amitaï, le prophète de Gat Hahéfer. Car l’Éternel avait vu que la misère d’Israël était au comble de l’amertume, sans appui ni soutien, et sans que nul ne leur vienne en aide. Mais l’Éternel n’avait pas parlé d’effacer le nom d’Israël de dessous les cieux, et il les a sauvés par la main de Jéroboam fils de Joas » [Rois II 14, 23-27] ?
Telles sont les paroles explicites du prophète de vérité et de justice, telles un rêve assorti de son interprétation : c’est la vision hallucinante de l’aide [divine] prodiguée par un scélérat impardonnable pour délivrer Israël de ses oppresseurs. On sait que tout ce qui est marqué dans les versets de la Bible, même sur le mode historique, n’est pas simplement mentionné à titre anecdotique, mais pour sa valeur prophétique et comme sujet d’étude pour les générations. Nous disons à ce propos : « Heureux l’homme… qui mettra ta Thora et tes paroles sur son cœur » [Bénédiction ‘Émet veyatsiv’, après la lecture du ‘Chema’ du matin] – pas seulement ‘ta Thora’, mais aussi ‘tes paroles’ [12]… Il est donc évident que ce qui vient d’être cité a été inscrit pour nous servir de phare et de prisme limpide, pour comprendre les événements dans la suite des générations.
S’il en est ainsi, [pouvons-nous savoir] qui sera notre garant, et qui nous prêtera main forte ? N’avons-nous pas été de notre temps, après la grande destruction de la Choah, tout autant qu’alors « au comble de l’amertume, sans appui ni soutien et sans que nul ne nous vienne en aide » ? Il semble qu’il n’y ait jamais eu d’extermination aussi cruelle et aussi massive depuis l’apparition de l’humanité sur la terre ! C’est pourquoi nous ne sommes pas loin de penser que dans sa bonté à notre égard, « l’Éternel n’a pas dit d’effacer le nom d’Israël de dessous les cieux ». Et comme nous avions un besoin immédiat, autant que de l’air pour respirer, d’un état indépendant sur le sol qui nous a été dévolu comme notre Terre, l’Éternel nous a aidés dans sa grande miséricorde par la main de ceux qui avaient toujours tenu les rênes de la politique nationale, qui étaient préparés et compétents pour cela, sans attarder son regard sur le fait que la plupart ne semblaient pas respecter la Thora et les mitsvot. « Ces secrets du Saint-Béni-Soit-Il, à quoi bon t’en mêler ? » [Traité Berakhot 10a].
L’essentiel est de faire notre devoir, de garder et d’observer les mitsvot de l’Éternel, et parmi elles la mitsva grandiose et sublime de monter en Erets-Israël et d’y demeurer, qui est mise en balance avec toutes les mitsvot de la Thora (comme l’indique le Sifri, section Reeh, et la Tossefta du 5e chap. d’Avoda Zara). Et nous devons exercer notre influence dans toute la mesure du possible envers tout ce qui porte le nom d’Israël, depuis les institutions de l’État jusqu’à celles qui lui sont extérieures, à la ville comme à la campagne, afin de les voir revenir vers l’Éternel et vers sa Thora pour notre bien à tous. « Les insensés qui s’égarent auront à rendre des comptes » [Traité Avoda Zara 54b], et l’Éternel fera ce que bon Lui semble.
Je ne me priverai pas de citer un passage remarquable lu dans le livre de Responsa Toldot Yaakov [Hochen Michpat § 8], qui parle de l’éloge d’Erets-Israël et rejoint notre sujet. Il note que ceux qui s’activent [pour le retour à Sion] et qui appellent à sa réalisation sont en grande partie des gens qui ne pratiquent pas la Thora et les mitsvot, et il exprime à ce sujet une idée sublime qui mérite une attention particulière : « Si l’éveil des consciences était le fait des Talmidé Hakhamim, alors les gens diraient : « c’est parce qu’ils désirent ardemment la sainteté de la Terre d’Israël pour y accomplir les mitsvot qui y sont liées », conformément aux dires de Rabbi Samlaï [Sota 14a] : « Pour quelle raison Moïse voulait-il tellement monter en Erets-Israël… » [13]. On pourrait dire alors que leur empressement ne provient pas d’un souffle divin. Mais à présent que l’élan du renouveau vient de gens dont on n’aurait jamais pensé qu’ils s’éveilleraient à cette idée [14], alors « la chose ne peut venir que de l’Éternel » [Psaumes 118, 23] ». Et l’auteur ajoute ici une idée, à mon sens hautement inspirée et appelée à nous délivrer de nombreux problèmes et de nombreux doutes : « Peut-être y a-t-il une nécessité implicite à ce que la reconstruction de Jérusalem se fasse justement par ces gens-là ; il se peut en effet qu’ils aient été une des causes de la destruction de Jérusalem, et que pour cette raison un décret du Roi les assigne à sa réparation, car il est écrit : « Celui qui est banni de sa Présence ne sera pas repoussé pour toujours » [Samuel II 14, 14] ; et ainsi ils pourront réparer les fautes commises dans les générations antérieures ».
Sans entrer dans la profondeur d’un tel jugement, sans chercher à expliquer et éclaircir ces choses qui se tiennent dans les hauteurs du monde, qui embrassent les plus grands espaces et qui labourent en profondeur les fondements de l’être et de la création, il semble que ces paroles aient en elles-mêmes une substance exhaustive et suffisante pour éveiller le timbre de nos pensées à la pénétration des secrets du monde les plus profonds ; qu’elles aient en elles de quoi nourrir l’esprit et l’âme dans la discrétion et le secret, même si c’est en deçà du seuil de la conscience et du mutisme de la louange ; et qu’elles soient à même de diffuser et de répandre un peu de la lumière d’en-haut sur l’épaisseur des ténèbres qui pèsent sur nous, dans la situation spirituelle que nous connaissons dans notre Pays en reconstruction.
Quant à ceux qui restent frileusement en sécurité, à soigner leurs petites affaires dans les pays où ils se trouvent, ils devraient constamment méditer le verset : « Et dans ces nations tu ne trouveras pas de tranquillité » [Deutéronome 28, 65], ce qui risque de déranger quelque peu leur repos. Et en ce qui concerne la mitsva de l’aliya elle-même, ils doivent comprendre que c’est justement dans leur situation présente qu’ils peuvent la réaliser comme il se doit, c’est-à-dire en toute conscience, de plein gré et dans l’exercice d’un libre choix.
Le Hatam Sofer éclaire ce sujet avec finesse dans ses homélies, à propos du verset de David : « Il a mis des nations en notre pouvoir, des peuples sous nos pieds ; Il choisira pour nous notre héritage, l’orgueil de Jacob son aimé » [Psaumes 47, 4-5]. [Voici ce que dit en substance le Hatam Sofer :] on sait que toute la Thora est donnée sur la base du libre choix, et non pas imposée ; et on connaît aussi le commentaire de nos Sages sur : « Tu consolides mon lot » [Psaumes 16, 5] – « C’est Toi qui as posé ma main sur la bonne part et Tu as dit : « J’ai mis la vie et la mort devant toi, choisis la vie » [Deutéronome 30, 19] » [Rachi sur Psaumes ibid.] ; enfin, le Ramban a écrit sur la section Mass’ei, à propos du verset : « Vous prendrez possession de la Terre et vous vous y installerez » [Nombres 33, 53], que c’est une mitsva positive explicite d’habiter en Terre sainte. Il résulte de tout cela que dans le cas où nous ne pourrions trouver protection dans aucun pays du monde à part celui-là, il nous serait impossible de réaliser cette mitsva positive autrement que sous la contrainte, sans qu’on puisse l’attribuer à notre libre choix ni à une attitude désintéressée. Mais si les pays des non-Juifs sont prêts à nous accueillir, et si nous choisissons malgré tout d’habiter sur notre Terre, alors nous accomplissons la mitsva positive de notre plein gré, et comme l’écrit le Roi David dans ses Psaumes, le Saint-Béni-Soit-Il pose notre main sur la bonne part en disant : « Voilà ce que vous choisirez pour vous… ». C’est ce que veut dire le verset : « Il a mis des nations en notre pouvoir, des peuples sous nos pieds » – de façon que nous soyons libres d’habiter notre Terre, et ensuite : « Il choisira pour nous notre héritage » [Psaumes 47, 4]. Ainsi il sera clair que nous l’avons acquise par choix, et non par nécessité [Homélies du Hatam Sofer, vol. 2, chap. 4, § 306].
VIII – Obligation de répondre à la voix qui appelle à l’aliya :
La revendication divine à ce sujet est immense, particulièrement lorsque, dans l’un des pays où demeurent les exilés d’Israël, apparaît une nonchalance générale en réponse à la voix qui appelle à l’aliya et à l’installation dans le Pays ; et surtout en cette période de renouveau prodigieux, où l’on assiste à la restauration et à l’organisation de l’État, pour lesquels tant de miracles ont déjà été faits, et continuent de se produire à chaque étape et à chaque avancée.
Nous apprenons ceci du Traité Yoma [9] : « Rech Lakich [15] se baignait dans le Jourdain. Vint Rabba bar bar Hana [16] et il lui donna la main [17]. Il [18] lui dit : « Dieu ! Je vous [19] déteste ; c’est bien ce qui est écrit : ‘Si c’est un mur, bâtissons dessus une tourelle d’argent, et si c’est une porte, entourons-la d’un panneau de cèdre’ [Cantique des Cantiques 8, 9] – si vous vous étiez constitués en muraille pour monter tous au temps d’Ézra, vous auriez été comparés à l’argent qui reste inaltérable ; maintenant que vous êtes montés comme des portes [20], vous êtes comparés au cèdre que la pourriture finit par corrompre » ». Rachi explique : du fait que les Juifs de Babylone ne sont pas montés au temps d’Ézra, ils ont empêché la Présence divine de venir habiter le Deuxième Temple ; il n’y eut en effet qu’une amorce de révélation, mais la totalité de Sa Présence n’y était pas. Et de même le Maharcha, dans la première partie de son commentaire, explique que si tous étaient montés, ils auraient été miraculeusement protégés sans avoir besoin de muraille, et la prophétie serait restée parmi eux ; mais maintenant qu’ils ne sont pas tous montés, ils ont besoin d’une muraille pour se protéger de leurs ennemis. La minorité revenue au Pays n’ont été que des portes, capables seulement de garder les entrées de la ville, et ils sont comparés au cèdre [que la pourriture finit par corrompre] parce que la prophétie les a quittés.
Nous constatons et nous apprenons d’ici l’importance des dégâts spirituels causés par l’absence de réponse positive et unanime pour monter en muraille, tous comme un seul homme, à l’appel de la voix qui vient dire au moment où l’Éternel réveille le souvenir de son peuple : « S’il est parmi vous quelqu’un qui appartienne à son peuple, que Dieu soit avec lui, pour qu’il monte [à Jérusalem] » [Ézra 1, 3]. Cette inertie va jusqu’à provoquer l’éloignement de la Présence divine, et une carence de cette Providence particulière, si nécessaire à la poursuite des miracles réalisés en faveur de ce peuple renaissant, dans le but de forger son identité sur la Terre de sa sainteté. Il semble bien que la main divine n’accomplisse de tels miracles qu’après le retour de tous les Juifs. D’ailleurs il en va de même pour un certain nombre de mitsvot liées à la Terre d’Israël, qui dépendent justement de la venue de tous, c’est-à-dire de la réunion et du rassemblement de toute la Communauté d’Israël dans sa Terre de sainteté, lieu d’élection de la Présence divine. La réprobation fut telle [21] que la rancune contre les résidents de Babylone persista pendant des générations, jusqu’à l’époque de Rabba bar Hana, comme nous le font entendre les expressions utilisées par Rech Lakich.
Ces propos saints et sublimes ne pénètrent-ils pas profondément le cœur de l’homme d’Israël, ne frappent-ils pas à la porte de son âme, ne réveillent-ils pas tous les sens de sa demeure corporelle, afin d’en apprendre une leçon édifiante pour l’esprit ? N’ont-ils pas le pouvoir de dessiller ses yeux, et de lui éviter de retomber une fois de plus dans le grave travers de la dureté du cœur, et de la surdité à la voix puissante et l’appel véhément du Saint-Béni-Soit-Il, lorsqu’il réveille le souvenir de tous les exilés d’Israël aux pays de leurs dispersions. « Rassemblez-vous et montez, et le plus tôt sera le mieux, vers Sion, ce centre de beauté [d’après Psaumes 50, 2] ! Venez, prenez possession de la Terre et habitez-la, car l’Éternel a prononcé des paroles de bonté sur Israël [d’après Nombres 10, 29] pour lui envoyer les bienfaits et la bénédiction qu’il avait annoncés par ses serviteurs les prophètes ! Mais il faut revenir vers Lui de plein gré et avec joie : nous voici, nous sommes prêts à monter ! [d’après Nombres 14, 40] ».
Et encore une explication du point de vue de la Halakha : quand on n’est pas dans une période historique où le Saint-Béni-Soit-Il réveille le souvenir de son peuple, les griefs sont plus mitigés, le justiciable peut arguer que le temps de la peine d’exil n’est pas encore écoulé, et que nous sommes encore liés par les trois serments mentionnés dans Ketoubot. Alors on peut voir dans l’empressement à réaliser l’aliya une sorte d’effort pour précipiter la fin des temps, ou de révolte contre les nations alors que nous ne devons pas ‘monter en muraille’. De fait, comme le souligne le Ribach [22] dans ses Responsa [§ 101 Passim], il n’y a aucun doute que l’aliya en Erets-Israël est une mitsva, comme le stipulent nos Sages : « Celui qui habite à l’étranger ressemble à un athée » [Ketoubot 110b], et : « Quiconque marche quatre coudées en Erets-Israël est assuré d’être présent au monde à venir » [Ketoubot 111a]. Et ceci n’est nullement en contradiction avec les paroles du prophète aux exilés : « Bâtissez des maisons [23] et habitez-les, plantez des jardins et mangez-en les fruits » [Jérémie 29, 5], car ils devaient alors se soumettre au décret d’exil qui avait été pris contre eux, et Celui qui les avait exilés ne les laissa pas revenir avant que Cyrus leur en donne la permission. Même alors, l’un des trois serments par lesquels le Saint-Béni-Soit-Il avait fait jurer Israël était de ne pas ‘monter en muraille’. Mais à partir du moment où fut réveillé leur souvenir, et où Celui qui les avait exilés, comme ceux qui en étaient l’instrument, les laissèrent partir, il n’y avait plus aucun problème à ‘monter en muraille’. C’est pourquoi toutes les excuses et tous les prétextes pour refuser de monter aujourd’hui sont écartés, et ceux qui continuent de refuser se mettent dans une situation dramatique dans laquelle « Le juge s’en est allé, le défenseur s’en est allé, et l’accusateur accuse » [Rachi sur Genèse 18, 33] – et tout particulièrement lorsque la mitsva : « Vous en prendrez possession » [Deutéronome 11, 31] a déjà été réalisée sur une partie de la Terre, et que s’impose d’autant plus l’obligation restante « Vous y résiderez », figurant à la fin du même verset.
Nous terminerons notre exposé avec les paroles impressionnantes du grand kabbaliste auteur du Hessed Léavraham [24] : « Quand ces hommes [ceux du rassemblement des exilés qui viendront en Terre d’Israël avec le Messie], verront comment leurs frères [qui se trouvaient déjà en Erets-Israël] sont devenus des créatures nouvelles, prêts à s’envoler dans les airs pour aller habiter au Jardin d’Éden apprendre la Thora de la bouche du Saint-Béni-Soit-Il, alors ceux qui reviennent d’exil se réuniront, et l’inquiétude s’emparera de leur cœur. Ils éprouveront un grand chagrin et ils gronderont contre le Roi Messie en disant : « Ne sommes-nous pas des enfants d’Israël comme eux ? D’où vient qu’ils sont tout spiritualité dans leur corps et dans leur âme, et pas nous ? Pourquoi sommes-nous désavantagés ? » – Et le Roi Messie leur répondra : « N’est-il pas bien connu que les jugements du Saint-Béni-Soit-Il sont tous rendus ‘mesure pour mesure’ ? Ceux qui étaient à l’extérieur et qui, au prix de grands efforts, ont réussi à venir en Erets-Israël pour y vivre dans la pureté, qui n’ont pas craint pour leur vie ni pour leur argent, qui sont venus par mer ou par terre sans craindre d’être noyés en mer, ou dévalisés en chemin, ni de rester prisonniers aux mains de maîtres cruels, tout cela ils l’ont fait pour l’intégrité de leur esprit et de leur âme. C’est pour cela qu’ils sont, eux, redevenus tout esprits, mesure pour mesure. Mais vous, qui aviez la possibilité de venir en Erets-Israël comme eux, et qui vous êtes ramollis par amour de l’argent, vous qui avez craint de perdre vos corps et vos biens, dont vous avez fait l’essentiel alors que de vos esprits et de vos âmes vous avez fait l’accessoire, vous êtes restés pour cette raison dans un matérialisme qui a pris le pas sur votre esprit… Quant à ceux qui, comme on l’a dit, n’ont craint ni pour leur corps ni pour leur argent, mais seulement pour leur esprit et pour leur âme, l’Éternel – béni soit-Il – fait pour eux de multiples bienfaits, afin de les transformer en créatures nouvelles et de les faire entrer dans le « Jardin d’Éden inférieur » » [Hessed Léavraham, 3e source, rivière 22].
Heureux l’homme qui choisira de venir rejoindre les « Parvis de la Maison de l’Éternel » [Rois II 21, 5 ; etc], notre Terre de sainteté, pour s’y abriter et demeurer dans l’élévation, et mériter le parfum de cette atmosphère pure et redoublée, de raviver son âme dans « La rosée du Hermon qui descend sur les montagnes de Sion… », émanant des trésors de la rosée de résurrection cachés dans le jardin de Dieu, « …car c’est là que l’Éternel a ordonné la bénédiction de la vie éternelle » [Psaumes 133, 3]. Ce n’est pas en vain que nos pères, de génération en génération, se sont mis en danger et ont risqué leur vie pour gagner le mérite de « marcher devant l’Éternel dans les pays de la vie », car ils savaient bien que : « l’air de ton pays ravive les âmes, la poussière de ton sol est liberté, et le nectar de tes rivières est de miel » [25].
[Responsa ‘Tsits Éliézer’, 7e partie, chapitre 48, § 12]
[1] Rabbi Chimon ben Tsémah Doran.
[2] Du Rav Avraham Itshak Kook zatsal.
[3] Cf. : « « 613 mitsvot ont été données à Israël » [Makkot 23b]. Pourquoi dirais-je alors que Moïse notre Maître voulait accomplir la mitsva d’habiter en Erets-Israël pour elle-même, alors que selon le Ramban, elle ne serait qu’une parmi 613 ? »
[4] Le Nom du Saint-Béni-Soit-Il.
[5] Ce terme a été repris alors pour désigner les Juifs qui avaient échappé aux persécutions, et en particulier les rescapés de la Choah venant reconstruire le Pays.
[6] Les portes de l’immigration en Erets-Israël.
[7] L’obligation d’habiter fait donc suite à la conquête et persiste après elle.
[8] Rabbi Itzhak ben Chechet.
[9] Rabbi Yossef Mitrani.
[10] Rabbi Moché Mitrani.
[11] Rabbi Ichmaël pense que ceci vient nous apprendre que le verset : « Ce livre de Thora ne s’écartera pas de ta bouche » [Josué 1, 8] ne doit pas être pris littéralement, mais que chacun doit aussi participer au travail social ; et Rabbi Chimon bar Yohaï dit qu’il est impossible de le comprendre ainsi, car alors il ne resterait plus de temps pour la Thora.
[12] C’est-à-dire : pas seulement les lois de la Thora (‘halakhot’), mais également ses récits (‘agadot’).
[13] Et il explique dans la suite qu’à son avis c’était pour y accomplir toutes les mitsvot liées à la Terre.
[14] Parce qu’ils n’y ont ni intérêt matériel ni motivation religieuse.
[15] Qui vivait en Erets-Israël, avec la communauté revenue d’exil avec Ézra pour construire le Deuxième Temple.
[16] Qui vivait à Babylone, avec la majorité de Juifs qui avaient préféré rester en exil.
[17] Pour l’aider à remonter du fleuve, eu égard à sa dignité.
[18] Rech Lakich.
[19] Vous qui avez préféré rester en exil.
[20] Comme un portail à deux battants, quand le premier s’ouvre le second se ferme ; c’est ainsi que vous êtes montés à moitié [Rachi].
[21] À l’époque d’Ézra.
[22] Rav Itshak ben Chéchet.
[23] – à Babylone.
[24] Rabbi Avraham Azoulaï.
[25] Rabbi Yéhouda Halévy, piyout ‘Tsion Halo Tichali’.