C’est un peuple audacieux, audacieux parmi les nations. Un peuple courageux. Le courage se réveille en lui dans les bonnes voies comme dans les moins bonnes, mais c’est toujours du courage. Comme le courage, l’audace est un autre trait de caractère du peuple d’Israël, “les audacieux parmi les nations” [Beitsa 25b]. Il y a une centaine d’années, cette audace effraya les Juifs craignant Dieu, ils avaient peur de toute l’initiative, de toute cette audace et cette bravoure des jeunes. Ils disaient : “Ce n’est pas une qualité juive ! Être juif, c’est se soumettre devant Dieu, baisser la tête devant Dieu, devant les Talmidé Hakhamim. Être humble et discret, voilà le caractère d’Israël.”
Mais voilà que tout-à-coup apparaît un phénomène imprévu : les Juifs osent monter en Terre d’Israël, établir des implantations, ils contestent la Thora et osent même la rejeter ! Jusqu’alors, l’audace d’Israël avait disparu à cause de l’exil. Comment ? C’est simple ! Quand on t’a frappé pendant deux mille ans, tu en viens à manquer d’assurance, la force fait défaut au niveau national, au niveau militaire et de la pensée, comme nous le verrons dans l’article ‘La Peur’ [qui figure après ‘Maamar Hador’ dans le livre ‘Ikvé Hatson’].
Il est écrit dans ‘Pirké Avot‘ [5, 20]: “Yéhouda ben Téma disait : sois fort comme la panthère, léger comme l’aigle, rapide comme la gazelle et brave comme le lion, pour faire la volonté de ton Père qui est dans les cieux. Il disait : l’effronté [az panim] est destiné au Guéhinom, et le respectueux au Gan Éden. Que ce soit ta volonté, Éternel notre Dieu, de reconstruire ta ville très vite et de nos jours, et donne-nous notre part dans ta Thora.” Quel est le rapport entre la première partie de cette michna et sa fin ? C’est que la construction du Temple nécessite un force intérieure [‘azout pnimit’] de sainteté et de pureté.
Avraham notre père était rempli de cette force, c’était un grand combattant. Jacob notre père était lui aussi plein de force, une force qui disparut [chez ses descendants] quand l’exil d’Égypte se prolongea. Rabbi Avraham Ibn Ezra demande pourquoi les Bné Israël eurent peur des Égyptiens à leur sortie d’Égypte, alors qu’ils étaient six cent mille hommes armés ! En réalité, ce n’était pas un problème technique, mais un problème psychologique : il fallait combattre leur maître. Il n’y avait qu’un seul homme fort dans toute l’Égypte [parmi les Bné Israël], c’était Moïse notre maître, qui n’avait pas grandi comme esclave. Même si tous les Lévites avaient échappé à la condition d’esclave, ils appartenaient à une société d’esclaves.
Tout cela est bel et bien, mais nous avons dit que la qualité qui caractérise Israël est l’humilité ! Comme l’ont dit nos Sages [Houlin 89, 1]: “Le Saint-Béni-Soit-Il dit à Israël : Je me suis épris de vous, car au moment où Je vous dispense la grandeur vous vous diminuez devant Moi” ; “Cette nation a trois caractéristiques : ils sont miséricordieux, modestes et généreux” [Yébamot 79a]. Réponse : “Le Vivant des mondes a la force et l’humilité” [Cantique ‘Ha-adéret vé-ha-émouna’] ! Il n’y a pas d’incompatibilité entre la force et l’humilité, comme l’explique notre maître le Rav Tsvi Yéhouda dans son article ‘Lé-tsniout vé-la-tahara bé-Israël’ [Or lé-nétivati pp. 276-279] : tu peux être un homme courageux, fort comme une panthère, et être en même temps très humble.
L’audace manquait en exil, et elle est revenue avec le début de la Délivrance. Évidemment, quand elle est revenue, son retour a été très vigoureux, comme tout ce qui a été longtemps réprimé et qui soudain se redresse. Le retour de l’audace s’est fait au détriment de l’humilité, car les deux n’ont pas progressé de manière équilibrée. Sans cette audace, cette effronterie, l’état n’existerait pas.
Un jour, un rav chargé d’enseignement dans une yéchiva me dit : “Je veux démissionner”. Pourquoi ? Parce que dans sa yéchiva, bien qu’elle ne soit pas une yéchiva de Yéménites Baladis, ils avaient décidé de fixer la halakha comme le Rambam, ce qui était contraire au consensus de la halakha. Je lui dis : “Laisse-les faire, c’est leur manière à eux de se révolter”. Si seulement c’était cela la révolte du peuple d’Israël ! L’un se révolte en mettant une kippa trop grande, l’autre avec une kippa trop petite… L’essentiel est qu’il s’acquitte comme cela de ‘l’obligation’ de se révolter [(parce qu’autrement cela pourrait être pire !)].
Dans cet ordre d’idées, on pourrait demander : pourquoi ne pas rapetisser la science au profit de la Thora ? – Non. Nous sommes très heureux de voir la science prendre son essor. Le Rav notre maître écrit dans Maamaré Haréiya : il est impossible d’étouffer la science, et il ne faut pas le faire. Il faut promouvoir le bien afin que la science soit utile au bien, et non au mal.
Un jour on m’a dit : le vaisseau spatial, c’est comme la Tour de Babel. C’est une erreur. Ce n’est pas un problème en soi de construire une tour. La question est : au nom de quoi ? Est-ce pour lutter contre Dieu ? C’est pour lutter contre Dieu que la génération du Déluge construisit sa tour. Rabbi Jonathan Eybeschitz écrit dans son commentaire sur la Thora [Tiféret Yéhonathan, Béréchit pp. 21-22] que la Tour de Babel était en fait un envoi d’aéronefs dans les cieux – commentaire moderne !… Il est écrit dans la Guémara que la génération de la Tour de Babel tira des flèches en direction des cieux, et que les flèches redescendaient tachées de sang, et eux, ils exultaient et ils criaient “Hourra !”… (nos Sages l’ont dit : s’il veut se rendre impur, on lui en laisse la possibilité !). Par conséquent, de même qu’il faut promouvoir le bien pour que la science n’abîme pas la société, de même il ne faut promouvoir l’humilité, et non diminuer le courage.
Mais si le développement équilibré est essentiel, comment comprendre que le Rav notre maître avait la réputation d’être extrémiste en tout ? C’est qu’un homme qui est extrémiste dans un certain domaine ressemble à une caricature, il n’est pas équilibré. Mais celui chez qui tout est géant est lui-même un géant ! Un géant est extrême en tout, et chez lui l’équilibre est maintenu.
Avraham et David, par exemple, étaient grands à la fois en humilité et en bravoure. Dans le Sifra Détsinouta il est écrit [Chap. 1, commentaire du Gaon de Vilna sur place] qu’il y a eu au début une pondération équilibrée de la démarche divine : cinq d’un côté et cinq de l’autre [commandements des Tables de la Loi], et l’Alliance était pointée au milieu, comme l’aiguille d’une balance. De même le pilpoul, fut introduit dans les yéchivot il y a quatre cents ans par le Rav Chalom Chakhné parce qu’il n’y avait pas du tout de discussion des textes, mais il prit alors des proportions exagérées et il fallut y remédier. Aujourd’hui le pilpoul est plus équilibré, et ne ressemble pas au pilpoul de cette époque.
Le Rav notre maître écrit :
“Quand l’Assemblée d’Israël s’éveille pour renaître, elle trouve au fond d’elle-même sa puissance et sa fierté. Toute la pureté et la sainteté qu’on avait l’habitude de trouver dans la soumission et l’obéissance prennent de l’éclat dans la force d’âme propre à l’apparition de l’héroïsme national. Une connaissance purifiée permet de conjuguer ces deux tendances, et l’on adoucit la bravoure qui s’éveille au moyen de leur entrelacement” [Orot, Orot Hatehiya 8].
Le verset de Malachie :
“Voici, Je vous envoie Élie le prophète avant que vienne le jour de l’Éternel, grand et redoutable, et il ramènera le cœur des pères sur les fils, et le cœur des fils sur les pères » [Malachie 3, 23]
… est commenté ainsi par le Raabad :
« C’est-à-dire que le cœur des pères et des fils, qui avait été saisi par la peur de sorte qu’ils avaient pris la fuite, certains par ici et certains par là, pour échapper aux persécutions, il [Élie le prophète] il le rendra ce jour-là à son courage. Alors les uns feront revenir les autres, et ils se consoleront les uns les autres, amen, et qu’il en soit ainsi de nos jours » [rapporté dans Tossefot Yom Tov, Édouïot 8, 7].
C’est le retour du courage qui avait disparu.
… ceint de courage, comme dans la bénédiction « Il ceint Israël de courage », et couronné de splendeur, comme dans la bénédiction « Il couronne Israël de splendeur » [Bénédictions du matin].