7. La nécessité des étapes

C’est la raison pour laquelle le livre Messilat Yécharim est construit de manière à définir d’abord chaque vertu morale, et ensuite les moyens de l’acquérir. Il y a une façon de l’acquérir, le désir du cœur ne suffit pas. On n’arrive pas à de grandes choses sans travail. Certains veulent se délecter en Hachem mais n’ont pas la force d’acquérir la vertu de ‘prudence’ [‘zehirout’ = se garder des fautes, la première vertu de la série] et de l’‘empressement’ [‘zerizout’ = le zèle des mitsvot, la deuxième de la série]. Nous leur disons : “Tu ne peux pas atteindre la zerizout sans la zehirout !” 

Après le treizième chapitre de Messilat Yécharim, qui traite des devoirs du tsadik [le ‘juste’ = celui dont la conduite est irréprochable], certains s’enflamment et demandent s’il est possible de prendre un raccourci pour être un peu ‘hassid’ [‘fervent’ = celui dont le cœur déborde d’amour pour Dieu et qui cherche constamment à le manifester dans ses actes, une étape ultérieure dans le livre]… Ce n’est pas la bonne manière de procéder, de même qu’on ne peut pas avoir 14 ans sans être avoir eu 13 ans, ni mesure un mètre vingt sans être passé par un mètre. Rabbi Haïm de Volojine organisa les cours de la mère des yéchivot selon le même principe : en première année le cours alef, en deuxième année le cours beth, et ainsi de suite. Et tous les élèves qui ‘sautèrent’ une classe en sortirent ‘boiteux’, ils ne devinrent jamais des Talmidé Hakhamim parce que quelque chose leur manquait. Bien sûr, les cours supérieurs sont plus passionnants, mais ce n’est pas ce qu’il convient de faire.

On raconte que lorsque le Gaon Rav Chlomo Zalman Auerbach termina la classe alef, il voulut y rester une année supplémentaire à cause de son maître, qui était un homme remarquable. Ses parents lui demandèrent d’entrer dans la classe supérieure, mais il refusa. Finalement, il dit toute sa vie que c’est seulement grâce à cette année supplémentaire, où il redoubla sa classe, qu’il put grandir dans la Thora.

De nombreux livres de moussar enseignent qu’on ne doit pas sauter les échelons, et notamment les livres du Rav Kook notre maître. Chez ceux qui aspirent à la grandeur, il y a une tendance à sauter les étapes, et cette tendance engendre un dangereux affaiblissement spirituel, comparable au ramollissement de l’ossature d’un enfant manquant de calcium [rachitisme]. Quelquefois, on voit un élève de sixième année de yéchiva qui a quelque chose de bancal dans sa manière d’étudier. Que s’est-il passé ? Il a sauté la deuxième année. Il est arrivé que de grands Rabbanim prennent des élèves de sixième année pour les renvoyer en première année.

Tout cela est bel et bien, juste à un détail près : la Génération ne nous demande pas de la guider. Elle ne veut rien entendre, et du coup elle saute les étapes. Pourquoi ? Parce qu’on ne lui a pas expliqué, on ne lui a pas construit de parcours. C’est ce qui crée des incroyants et des hérétiques depuis trois cents ans. Et pourquoi ne lui a-t-on pas préparé de nourriture spirituelle ? Parce que cette génération a grandi d’un seul coup. L’histoire s’étend sur des milliers d’années, et à l’échelle de l’histoire, même un phénomène qui s’étend sur un siècle se produit ‘d’un seul coup’. Si le Rav Kook n’avait pas été là, il n’y aurait toujours pas de voie tracée pour cette génération.