Et ceux qui disent qu’il faut avoir pitié de nous, bien qu’ils ne soient pas antisémites, nous ont démoralisés, du fait même qu’ils disent qu’il faut avoir pitié de nous ; un homme sain n’a pas envie qu’on ait pitié de lui – à ce point que nous non plus, nous ne pouvons plus nous regarder que d’un regard de colère, de suspicion et de mépris, comme si nous, et nous seuls, étions les brigands et les fauteurs, les idiots et les attardés parmi tous les peuples de la terre ! Hélas, trois fois hélas !
Car en fait, rien de tout cela n’est vrai ! Nous sommes le peuple le plus éminent par sa droiture, sa hauteur d’esprit, son courage, son savoir et sa moralité, aussi bien quand il est livré à ses oppresseurs que lorsqu’il jouit de sa liberté. Comme le dit le Rav notre maître : “La différence entre l’esclave et l’homme libre ne tient pas seulement à la situation, à la conjoncture qui a fait que le premier est asservi alors que le second ne l’est pas. On peut trouver un esclave éclairé dont l’esprit est imprégné de liberté, et au contraire un homme libre qui a une mentalité d’esclave. La liberté authentique est cette élévation d’esprit qui hisse l’homme, comme l’ensemble du peuple, jusqu’à atteindre sa valeur intrinsèque, jusqu’à la marque du sceau divin qui est en lui. Quand il y est arrivé, il peut ressentir que sa vie a un sens, qu’elle a atteint sa vraie hauteur.” [‘Olat Réaya, t. II, p. 245].
Encore aujourd’hui, nous battons notre coulpe, nous ouvrons une commission d’enquête en toute circonstance alors que nous avions raison d’agir… Les gens demandent : “Que peut-on faire pour remonter le moral de la nation ?” Il faut savoir qu’il n’y a rien de plus efficace, pour faire le plein de force et de courage, que ce que propose notre maître le Rav Tsvi Yéhouda : cette force et ce courage doivent provenir du Beit Hamidrach ! Les soldats qui vont au combat doivent avoir étudié au Beit Hamidrach, pour savoir qu’ils combattent avec la force de la justice. Sinon ils auront peur, car ils se diront : “Peut-être ne sommes-nous pas dans la bonne voie ?” – Ce serait une grave erreur ! Nous sommes le peuple le plus ‘dans la bonne voie’ à la surface du globe !
Cette démoralisation est la pire des catastrophes : ce n’est pas assez que notre sang soit répandu, et que nos amis nous humilient, faut-il encore que nous nous accusions nous-mêmes, en disant que c’est de notre faute ?! Comment un peuple qui entend à longueur de journée la ritournelle : “à cause de nos multiples fautes…” pourrait-il retrouver son moral et reprendre courage ? C’est l’idée que développe notre maître le Rav Kook dans l’article ‘La Consolation d’Israël’ :
“Avant le malheur qui nous a brisés [le Rav fait ici allusion à la série de pogroms particulièrement violents et meurtriers qui venaient de se produire en Russie pendant les années 1902-1906], quand nous n’avions pas encore vu de nos yeux des milliers, des dizaines de milliers des frères de notre chair, sauvagement massacrés par un ennemi cruel et sans pitié, nous étions largement habitués à n’exprimer que de sévères reproches, des remontrances sur les fautes, sur le caractère obstiné et réfractaire de la Génération, [rien que] des plaintes et des accusations.
“Depuis lors, il y eut des tsadikim, sur lesquels le monde repose, qui se sont élevés à une hauteur de vue supérieure, et qui en sont venus à reconnaître la nécessité de la piété sainte et suprême de toujours parler à l’éloge d’Israël, de proclamer son mérite, de toujours trouver le côté bon et prestigieux de ce peuple, et ainsi d’élever aussi son esprit, de le soutenir et de le sanctifier.
“Mais ils ne furent pas nombreux à puiser la lumière de leur âme à cette racine de la Bonté suprême. C’est pourquoi nous rencontrons sans cesse et en tout lieu des paroles d’admonestation et de plaintes, cris du cœur de ceux qui réprimandent, qui sont des sages et des justes. Les meilleurs et les plus distingués d’entre eux écrivent ces mots en pleurant, du plus profond du cœur, l’âme amère et affligée. Ils ne cherchent que le bien du peuple d’Israël, qu’il fasse techouva et revienne de la faute, « qu’il s’amende et qu’il soit guéri ». Ils ont le souci de leur bien dans ce monde-ci et dans le monde à venir. Mais consoler Israël, parler au cœur de Jérusalem qui a déjà reçu de l’Éternel double châtiment pour toutes ses fautes, dire que son péché est d’ores et déjà expié, ce serait à leurs yeux un pas des plus dangereux, une flatterie dommageable qui flétrirait le monde.
“Mais voici que les jours sont venus où nous sommes obligés de nous élever précisément à cette hauteur-là, d’où nous pourrons, sans peur du danger, dire les paroles consolatrices à d’Israël, lui dire qu’il a déjà reçu de l’Éternel double peine pour toutes ses fautes, et que son crime a été expié” [Maamaré Haréaïa, p. 279].
“Certes – reconnaît le Rav notre maître – les individus ont sans aucun doute besoin de guidance morale – il y a des gens qui ont besoin qu’on leur crie dessus pour revenir dans le droit chemin -, et si le besoin et la possibilité se rencontrent, même de réprimande et de blâme, et parfois même de certaines sanctions et mesures sévères, toujours de manière adaptée à la situation ; mais l’esprit de la collectivité a besoin d’être élevé et consolé, défendu et gratifié de confiance, car il en est digne, ‘Il est temps de lui faire grâce, car le terme est arrivé’ [Psaumes 102, 14]”. [Maamaré Haréaïa, p. 285].
(…) À la yéchiva de ‘Merkaz Harav’ n’a pas de ‘machguiah’ [‘surveillant’]. On ne demande pas à l’élève de rendre des comptes : ‘comment as-tu étudié ?’, ‘combien as-tu étudié’, ‘comment es-tu habillé ?’, etc. De telles questions peuvent être utiles pour une minorité d’étudiants, mais si on parlait ainsi aux meilleurs élèves de la yéchiva, ils prendraient la porte dès le lendemain ! Cette génération a besoin d’une approche différente, que tous les Talmidé Hakhamim, les éducateurs et les enseignants doivent assimiler.
(…)