L’amour de Yaakov pour Rachel est immense :
[Sept années] furent à ses yeux comme quelques jours tant il l’aimait.
Genèse 29, 20.
Toutefois ce n’est pas un amour physique de nature charnelle, mais un amour saint et sublime provenant d’un sentiment de grande parenté avec cette âme, si bien accordée avec lui. La preuve en est que Yaakov passe une nuit entière avec Léa en pensant que c’était Rachel, et il ne s’en aperçoit que le matin ! Ce n’est pas le corps qui l’intéresse mais l’âme, l’essence idéale. Le corps de Rachel, il ne le connaît pas.
Mais en même temps, malgré tout le caractère sublime de son amour pour Rachel, il l’aime pour elle-même, à cause de ce qu’elle est, à cause du sentiment de parenté spirituelle l’un avec l’autre.
À l’inverse, Léa est ❛haïe❜. Mais ce n’est pas vraiment de la haine, Dieu nous en préserve ! Yaakov aime tout le monde, même les bergers [de Lavan], il les appelle ❛mes frères❜. Toutefois Léa est moins aimée que Rachel :
Il aima aussi Rachel, plus que Léa.
Ibid. 30.
Léa était aimée aussi, mais moins que Rachel. Rien d’étonnant à ce qu’elle se sente haïe, alors qu’elle sait que l’amour de son mari va à sa sœur. Léa est donc ❛haïe❜ pour elle-même, mais l’amour lui revient à travers ses fils, et il grandit peu à peu :
Maintenant mon mari m’aimera… Cette fois il m’accompagnera… Cette fois je remercie…
Ibid. 32, 34,35.
L’amour de Yaakov pour Rachel est un amour pour elle-même, et malgré toute sa hauteur, ce n’est pas une fin en soi. Son amour pour Léa est intérieur, et d’un niveau plus élevé. Il n’est pas basé sur le désir mutuel, même s’il est spirituel, mais sur le désir d’enfants. L’essence de cet amour est lié à la continuation des générations en Israël. C’est un amour qui s’inscrit dans l’éternité. Du fait qu’on se marie et qu’on met au monde des enfants, on s’inscrit dans l’éternité, au sens de la réalité de ce monde ci. Et ceci est la source profonde de l’amour mutuel, car le noyau intérieur de l’amour romantique est l’aspiration à l’éternité.
Dans la clarté limpide des mitsvot de la Thora, cette idée trouve son expression dans la halakha, car il n’y a pas de mitsva de se marier mais une mitsva d’avoir des enfants, et d’après l’avis de certains décisionnaires on peut aussi accomplir la mitsva d’avoir des enfants avec une concubine [Commentaire du Roch sur le traité Ketoubot, chap. 1, §12]. Cela ne veut pas dire qu’il soit convenable de prendre une concubine, Dieu nous en préserve, mais de cette manière la halakha établit clairement et sans équivoque que le but du mariage n’est pas le divertissement mutuel mais l’engendrement, la continuation des générations. Il va de soi qu’il doit y avoir de l’attachement et de l’amour entre l’homme et sa femme, mais le but est d’avoir des enfants. C’est la part d’éternité qu’il y a dans le mariage, et partant de là il y a aussi un éclairage qui s’étend au côté temporel des relations entre l’homme et sa femme :
La pulsion sexuelle va en s’élançant vers l’avenir.
Orot Hakodech III, p. 299.
Du fait que Yaakov aime Rachel pour elle-même, le lien entre eux est stérile. Il y a un obstacle à la venue des enfants du fait que le cœur de Yaakov lui est donné pour elle-même. Yaakov doit forcément passer de l’amour romantique à l’amour responsable qui s’alimente à l’éternité, et les choses s’éclaircissent de plus en plus jusqu’à ce que Rachel dise :
Donne-moi des enfants, sinon je suis morte.
Genèse 30, 1.
Et elle mène les ❝luttes de Dieu❞ [Genèse 30, 8] jusqu’à ce que l’Éternel ouvre sa matrice. Mais même alors les problèmes ne sont pas finis :
Ce fut dans les difficultés de son accouchement… à la sortie de son âme, car elle mourut.
Ibid 35, 17-18.
La royauté temporaire de Rachel doit laisser la place à la royauté permanente de Léa. L’amour romantique est vital en tant que préparation à la situation plus élevée de :
Ils deviendront une seule chair.
Ibid. 2, 24.
…qui prend corps dans l’embryon :
L’embryon est formé par eux deux, et là leur chair devient une.
Rachi sur place.
La maison complète est construite à partir des deux ensemble.