4. Qui est préférable ? L’homme droit ou celui qui se maîtrise ?

Le Rambam dit dans le sixième des Huit Chapitres que d’un point de vue philosophique, le hassid [le Rambam appelle ainsi l’homme qui a atteint le niveau de la droiture naturelle], qui veut le bien et ne faute pas, est supérieur à l’homme qui est dans le contrôle de lui-même. C’est une sorte de perfection tranquille. Mais d’un point de vue religieux, celui qui maîtrise son penchant et prend l’avantage est plus grand, car il arrive au point de mise à l’épreuve et il tient bon. Ceci est difficile à comprendre, c’est pourquoi nous allons l’expliquer à partir d’une étude approfondie de récit du sacrifice d’Itshak.

De toute évidence, l’‘invitation’ au sacrifice d’Itshak déclenche une confrontation : d’un côté il y a l’amour du fils qui est la nature profonde du sentiment d’Avraham pour Itshak, enfant sans aucun équivalent dans le monde, et de l’autre il y a l’obéissance à l’ordre divin qui l’oblige à tuer son fils. Dans cette première partie du récit, la contrainte de l’inclination naturelle est privilégiée.

Dans la deuxième partie cependant, il s’avère que la contrainte n’est pas nécessaire : “Ne porte pas la main sur l’enfant et ne lui fais rien” [Genèse 22, 12]. “Pas la moindre égratignure”, dit le Midrach. “Maintenant, dit l’ange, tu peux [vraiment] aimer Itshak !”Avraham répond : “Mais c’était déjà ce que pensais auparavant !” – “Non, car auparavant tu l’aimais de façon naturelle, pensant que l’ordre divin s’y opposait ; alors que maintenant, tu comprends que l’ordre naturel lui-même est conforme à l’ordre divin, qu’il n’y a aucune contradiction entre les deux”. Cette compréhension a fait passer son sentiment pour son fils d’un amour naturel simple à un amour naturel supérieur, et c’est grâce à cet amour-là qu’il a reçu une puissante bénédiction de fertilité et une puissante bénédiction d’amour : “Multiplier je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel” [Genèse 22, 17].

C’est ce qu’explique le Rav notre maître dans ‘’Olat Réayïa’, et on ne trouve cette explication que chez lui, elle ne figure chez aucun autre commentateur. C’est-à-dire qu’en vérité l’idéal suprême est certes d’accepter la contrainte, mais il suffit d’y être prêt, on n’est pas obligé de passer à l’acte.

Dans le même ordre d’idées, on raconte qu’un homme vint voir le Ari zal et se mit à lui rapporter ses fautes. Le Ari lui dit : “S’il en est ainsi, tu dois subir la ‘seréfa’ [la mort par ingestion de plomb fondu]”. L’homme revint chez le Ari, s’installa, et ouvrit la bouche pour qu’il y déverse le plomb brûlant. Mais au lieu de plomb… c’était du miel ! Le Ari lui dit : “Rentre chez toi, tu es en règle”.

Et c’est la même chose pour un soldat, il suffit qu’il soit prêt à donner sa vie à l’armée.

Un autre point de vue est donné par le Rav Yossef Dov Halévy SoloveitchikDans l’article ‘Sur l’amoYur de la Thora et la rédemption de l’âme de la génération’, on lui demande s’il est satisfait du monde de la Thora et des élèves des yéchivot. Et il répond avec franchise qu’ils n’ont pas d’amour de la Thora, qu’ils n’ont pas d’abnégation pour la Thora. Partant de là, il se réfère au récit du sacrifice d’Itshak, et il en donne une interprétation très dure. Il écrit : “Dieu dit à Avraham : ‘Tu ne reviendras pas avec Itshak, tu n’oublieras jamais cet événement, ceci t’accompagnera toute ta vie, le fait que tu auras tué ton fils de tes propres mains ! Et malgré tout, Je te demande de contraindre ta volonté et de sacrifier Itshak’. C’est ce qu’on peut appeler une ‘théologie de crise’ [expliquée aussi dans l’article ‘Ich Ha-halakha’]. Cela signifie que le service divin est fondamentalement lié est à une crise, du fait que Dieu est en-haut et toi tu es en-bas. Ceci contraste avec les mensonges de Réformés, qui présentent la religion comme une pratique émotionnelle et gratifiante : ‘La société est trop bruyante, disent les Réformés, viens au temple réformé et gagne la béatitude de l’âme !’ Non !  La Thora n’est pas une sérénité de l’âme, mais si tu es honnête avec toi-même c’est une déchirure !”, dit le Rav Soloveitchik, “et je vois que les élèves de la yéchiva ne se dévouent pas pour la Thora”.

Tout cela est exact. Mais selon ce que nous avons expliqué, le but de la Thora n’est pas de briser. La brisure n’est qu’une directive temporaire, comme le dit l’auteur du ‘Devoir des cœurs’ [‘Hovat Halevavot’, section III chapitre 5] : “L’homme qui veut guérir doit être prêt à boire la potion amère !”. En fait, il n’est pas sûr que la potion sera tellement amère, mais il est nécessaire de s’être préparé à l’avance même à cela.