Une très grande partie de la jeune génération ne ressent aucun respect pour tout ce à quoi on l’a habituée. La jeune génération se rebelle contre la Thora, se rebelle contre la famille, se rebelle contre les idéaux et les valeurs fondamentales transmises au fil des générations, contre tout ! Elle égorge les vaches sacrées et fracasse les mythes.
Non parce que son esprit s’est assombri, non pas qu’elle soit d’humeur sombre et ténébreuse, car un homme d’humeur sombre n’est guère enthousiasmé par les idéaux, non parce qu’elle est tombée sous le seuil où se tiennent la loi et à la justice, non pas qu’elle soit descendue du niveau spirituel où se fondent les devoirs moraux et religieux, quand cette génération se trouve en–dessous de ces grands fondements selon l’avis habituel de tout le monde – évidemment, la compréhension des lois et des jugements de la Thora par le plus grand nombre n’est pas conforme à la compréhension des Grands d’Israël ! Mais ce qui est sûr, c’est que la Génération ne se trouve pas en-dessous du niveau de la foule – mais au contraire parce qu’elle s’est élevée... Les dernières générations ont eu le sentiment que la Thora et les mitsvot étaient ‘trop petites’ pour elles. La Thora et les mitsvot sont-elles inadaptées à la Génération ? Évidemment non, mais la manière dont ils comprenaient les mitsvot ne leur convenait pas. Et le ressentiment qu’ils ont éprouvé vis-à-vis de la Thora, ils l’ont éprouvé de la même manière vis-à-vis des valeurs de la famille, de la pudeur [‘tsni’out’], de la pureté [‘tahara’], et de la Terre d’Israël. La manière dont ces valeurs étaient conçues ‘selon l‘avis habituel de tout le monde’ ne leur convenait pas.
Comment cette génération s’est-elle élevée ? – grâce à ‘l’essor général de la pensée’, selon les mots du Rav notre maître. Autrefois, la masse des gens ne ‘pensait’ pas, elle formait un corps discipliné. Aujourd’hui, l’ensemble de la population réfléchit de plus en plus, et pas seulement les philosophes. C’est une révolution. Autrefois, le public ‘gobait’ tout ce qu’on lui disait, même en l’absence d’explications. La foule était naïve, elle ne posait pas de questions. On disait à la masse des goyim que le roi était un envoyé du Ciel, et que la moindre des petitesses faites par le roi était une chose divine. Le roi prélevait de lourds impôts et vivait constamment dans les plaisirs – cela venait du Ciel. Les nobles exploitaient le peuple de manière outrancière – cela venait du Ciel, et ne posez pas de questions ! Les prêtres eux aussi consolidaient cette conception, en disant que plus l’homme se mortifie dans ce monde-ci, plus il sera riche dans le monde futur – c’était un enseignement falsifié de la crainte de Dieu, parmi d’autres, fruit du désœuvrement et de la vanité. C’est ce qu’on appelait ‘l’alliance du Trône et de l’Autel’ : l’autel des prêtres donnait au trône sa justification morale, et le trône du roi donnait en retour à l’Église tout le pouvoir sur les âmes. On comprend pourquoi les églises et les prêtres étaient alors extrêmement riches.
Quand le peuple commença de réfléchir, il comprit que le comportement de l’élite dominante n’était pas normal. Les philosophes français brandirent l’étendard de la révolte, jusqu’à ce que finalement le peuple se lève, et que survienne la Révolution Française. Avant la Révolution, les philosophes dirent au roi : “Il faut décider ensemble !” – Le roi répondit : “Mais bien sûr, je suis favorable à la volonté du peuple, il y aura donc aussi des représentants du peuple [qui siégeront à l’Assemblée] à côté des représentants de la noblesse et du clergé”. Mais les conditions étaient telles que la représentation du peuple était neutralisée par le nombre des délégués de la noblesse et du clergé, qui étaient majoritaires. Le peuple protesta : “Ce n’est pas juste !” – et alors commença la Révolution.
C’est ce qu’on appelle ‘l’essor général de la pensée’. Les gens en Europe commencèrent de réévaluer leur mode de vie avec les voyageurs venus de Chine ou d’Amérique, qui disaient qu’il était possible de changer la nature du régime. Le monde commença de se développer : on écoutait des opinions différentes, on voyait des gens différents. Ainsi commença le grand remue-ménage dans l’esprit des gens. Les Juifs aussi se mirent à réfléchir, et comme ils ne reçurent pas de réponse adaptée à leur niveau, ils rejetèrent le tout.
Dans Orot Hakodech [II, p. 538], le Rav notre maître décrit les trois changements essentiels qui transformèrent la pensée, par rapport à l’organisation sociale, à la conception du monde et à la théorie de l’évolution /note 66. Ce ne fut pas qu’un changement dans la réflexion des individus, mais une mutation de la pensée populaire. Quel était ce changement ? Les gens savaient qu’en d’autres lieux on pensait autrement, et que ceux qui ne pensaient pas comme eux n’étaient pas forcément des égarés ou des imbéciles ! Quand ce changement eut lieu, l’homme se sentit perdu, ne sachant plus distinguer le vrai du faux. Cela fit l’effet d’un ‘bélier’ qui frappe les murailles et les démolit. Comme le dit le Rav notre maître : “Les temps nouveaux rendirent possible la publication d’opinions dont la diffusion amena l’effondrement des idées [reçues]”. Un philosophe peut rester enfermé dans sa pièce sans exercer aucune influence sur la collectivité, et c’est ce qui s’est passé pendant des centaines et des milliers d’années. Mais depuis quelque trois cents ans, le monde occidental a commencé de réfléchir, et les idées ont commencé de se répandre dans la population, au lieu de rester le privilège d’une élite.
Il y a plusieurs siècles, l’homme occidental a commencé de penser selon la méthode scientifique, fondée sur la critique. La démarche scientifique s’appuie toujours sur une théorie prédictive, qui doit être soumise à des vérifications au moyen d’expériences décisives. Quand Einstein prétendit que sa théorie de la relativité était vraie, on réalisa des expériences, et on trouva qu’elle était vraie parce que ses prédictions étaient justes. C’est avec ce changement de méthode que la pensée de l’homme occidental se mit à changer, et celle du Juif également. Il y a certes des défauts dans la pensée scientifique, mais pour le moment ce n’est pas notre propos.
Des notions évidentes aujourd’hui ne l’ont pas toujours été. La science était autrefois une ‘salade’ de philosophie, de superstitions et de visions du monde de toutes sortes. Quelqu’un disait : l’insecte a huit pattes ; – d’où le savez-vous ? – c’est écrit en toutes lettres dans Aristote. Arrivait un homme qui apportait un insecte et qui montrait qu’il avait six pattes… “- Et alors ?! Aristote se serait-il trompé ? À Dieu ne plaise ! Aurais-tu perdu ta confiance dans les Sages ?”… Ce n’était pas de la science ! De nos jours, même un footballeur de quartier pose des questions profondes. Certes, il n’utilise pas de vocabulaire savant, mais il pose lui aussi de vraies questions, il n’hésite pas à demander des comptes à tout le trésor de sagesse d’Israël. Et bien entendu, il n’accepte rien comme une évidence sous prétexte que des rabbins à grandes barbes l’ont dit.
Dans le peuple d’Israël, ce n’est pas tout le monde qui est un hassid rempli de vénération et d’obéissance pour son Admor. Et d’ailleurs, même les hassidim veillent de près à ce que les Admorim ne dévient pas d’un iota des règles de bonne conduite. Ils ne ‘gobent’ pas n’importe quoi, malgré toute la confiance qu’ils ont dans leurs Sages, et ils font même des comparaisons avec la conduite d’autres Admorim. Mais dans le peuple d’Israël, tout comme l’officier court le premier au combat, quand un Admor enseigne l’obligation d’étudier la Thora, on le voit lui aussi étudier la Thora. Quand il parle d’une vie pudique et de qualités morales, on les trouve aussi chez lui.