Avraham notre père est le “père de nombreux peuples” [Genèse 17, 5], il a une responsabilité vis-à-vis de l’humanité entière. Cette responsabilité est mise en relief dans les faits par l’épisode de Sodome : Dieu lui fait savoir que son intention est de détruire Sodome. Avraham a le sentiment que ceci le concerne, car il est le ‘père de nombreux peuples’, et il se lève donc pour défendre les habitants de la ville. Cette responsabilité universelle apparaît chez lui parce qu’il est la racine du peuple d’Israël. La responsabilité vis-à-vis des nations de les guider, de leur amener une délivrance, de les sauver de leurs calamités spirituelles et matérielles, lui incombe parce qu’il est le père de la nation d’Israël, et c’est la seule raison pour laquelle toutes les familles de la terre reçoivent par lui une bénédiction.
Certains penseurs juifs ont prétendu que notre vocation d’être une ‘lumière pour les nations’ n’était opérante que dans la dispersion parmi les peuples, parce qu’en cohabitant avec eux nous pouvions les influencer, et répandre chez eux la morale de la Bible. Ils s’appuient sur le verset du prophète Isaïe :
Je t’établis comme peuple-alliance, comme lumière des nations. [Isaïe 42, 6]
Mais c’est une erreur d’interprétation, telle n’est pas l’intention du prophète. Nous ne serons pas une ‘lumière pour les nations’ grâce aux actions des Juifs dispersés à Presbourg, Johannesbourg ou Williamsbourg. Non ! Nous sommes une lumière pour les nations en tant que peuple. Il est évident que lorsque nous étions dispersés en exil, contre notre gré et non à notre avantage, nous avons fait ce que nous avons pu, et notre influence a été considérable partout où nous avons séjourné. Mais ce n’est pas notre but. Notre but est d’éclairer les nations en tant que peuple sur sa terre.
Question :
Si Avraham est le père de toute l’humanité, est-ce que tous les peuples doivent devenir juifs ?
Réponse :
Rachi fait brièvement allusion à ce problème [Rachi / Genèse : 17, 5]. Le nom d’Avraham est un ‘notarikon’, une combinaison de mots. Au début son nom était ‘Av-ram’, qui signifie ‘père d’Aram’ [‘Av Aram’], c’est-à-dire qu’il était le père de son peuple qui s’appelait ‘Aram’. Il était ‘national’. Par la suite son nom est devenu ‘Avraham’, qui signifie ‘père de nombreux peuples’ [‘Av hamon goyim’]. Il était universel. Cependant, le début de son nom précédent [‘Avra-’] est resté dans son nouveau nom. Autrement dit, bien qu’il soit un père pour les nations il reste père de son peuple. Avraham est à la fois universel et spécifique.
Nous sommes comme Avraham, nous sommes à la fois nationaux et universels. Et ce n’est pas incompatible [voir ‘Lénétivot Israël’ I, p.16], comme le montre l’expression du Kouzari : “le cœur dans les nations” [2, 36], ou celle du Zohar : “cerveau des nations” [Michpatim 108 ; voir Orot Israël 1, 1]. Lorsque nous disons ‘cœur’ ou ‘cerveau’, il est clair pour tout le monde que nous parlons d’une qualité de vie différente de celle du pied ou de l’oreille, ce sont les centres de la vie, qui représentent le monde intérieur de l’homme. Quand on dit que le peuple d’Israël est le ‘cœur’ des nations, cela implique qu’il est à un niveau différent. Mais il est le cœur ‘des peuples’, non pas détaché du corps, mais vivant en central, pour faire vivre tout le reste.
Nous sommes liés aux nations, nous avons une responsabilité vis-à-vis d’elles, et en même temps nous sommes distincts. Séparés et ensemble à la fois, nous avons des affaires communes, nous sommes intéressés à la réussite de toute l’humanité et nous voulons y contribuer. L’humanité et nous, c’est le même sujet. Nous faisons tous partie de l’Homme créé à l’image de Dieu. Mais en même temps nous sommes au-dessus d’eux. Nous avons des caractères spécifiques :
Ce peuple vit en solitaire, il ne se confond pas avec les nations. [Nombres 23, 9]
Un exemple des points communs et des divergences entre nous et les nations se trouve dans les différents domaines de la pensée.
1/ Il y a des idées que nous partageons avec les autres nations. Peu importe qui les a formulées, que ce soit Aristote ou le Rambam. Ce sont des idées générales qui dépassent les frontières entre les peuples.
2/ La deuxième catégorie est constituée par des idées dont le contenu est partagé par toute l’humanité, mais dont le contenu n’est pas tout. Non moins importants sont la forme et le style dans lesquels les choses sont dites. Les idées de cette sorte ont besoin d’une élaboration et d’une adaptation au style particulier d’Israël avant de pouvoir être introduites à l’intérieur de notre monde sans changement.
3/ Et il y a une troisième catégorie d’idées qui nous sont spécifiques, et par rapport auxquelles nous sommes “un peuple solitaire qui ne se confond pas avec les nations”. Nous n’avons ni contact ni rapport avec les goyim dans ces domaines de la pensée, et ce qu’ils disent sur ces sujets ne doit pas nous toucher [voir Ikvé Hatson, Maamar Hamahchavot].
Il en est de même pour les idées et pour toute notre réalité. Avraham notre père et nous constituons une seule identité. De même qu’il est le “père de nombreux peuples”, lié aux autres peuples et s’occupant d’eux, en même temps qu’une “grande nation” affirmant sa spécificité, et en tant que telle source de bénédiction pour toutes les familles de la terre, de même nous, le peuple d’Israël, nous sommes attachés à notre caractère national, et en tant que nation nous sommes aussi universels, et nous constituons une bénédiction pour le monde entier.