Le Rav notre maître parle ici des aspects de la ‘droiture naturelle’ et du ‘contrôle de soi’ dans la génération. Il est important de souligner que ce qu’il dit ici à propos de la droiture naturelle ne vise qu’à de nous faire connaître un grand idéal du judaïsme, mais que dans la pratique, il nous enjoint de suivre la voie de la maîtrise, car la génération n’a pas encore atteint le niveau de la droiture naturelle. On s’embrouille parfois à ce sujet dans les écrits du Rav notre maître, car il insiste tellement sur la manière ‘naturelle’ de servir Dieu, qu’on pourrait penser (à tort) que servir Dieu autrement que de manière naturelle ne se justifie pas, qu’il faut attendre que les choses ‘viennent naturellement’ !…
Rappelons ici un grand principe de l’enseignement de nos Sages : il y a d’un côté les enseignements théoriques, et il y a de l’autre l’application pratique. La Guémara [Baba Batra 130b] précise qu’on ne doit pas apprendre une halakha tant que le Rav n’a pas prononcé les mots : ‘halakha léma’assé’ [‘directive opérationnelle’]. Et pour en venir à dire ‘halakha léma’assé’, il faut être passé par de nombreux raffinements et vérifications. Pourquoi alors le Rav notre maître nous dit-il que la Thora est naturelle à l’homme, qu’elle est la nature de l’homme ? – parce que c’est la vérité au niveau le plus élevé ! Et c’est justement parce que la génération est ‘fâchée’ avec la Thora que le Rav notre maître nous explique : vous devez savoir que la Thora correspond à la nature de l’homme, qu’elle est agréable ! Et de là nous apprenons vers quel sommet nous devons grimper.
Il n’y a aucunement à se tromper sur les paroles du Rav, car il parle explicitement de “l’individu tant qu’il ne s’est pas élevé au sommet de la perfection morale”. Or, serions-nous parvenus au “sommet de la perfection morale” ? Bien sûr que non ! Il n’y a donc pas à se tromper là-dessus. Notre nature est-elle entièrement irréprochable et généreuse ? N’avons nous aucune tendance au mal ? Bien sûr que nous en avons, et tant qu’il en est ainsi, un homme ne peut se laisser guider par le flot de ses sentiments et par les élans de son cœur.
Question : Tout cela est bel et bien, mais que faire avec une génération qui d’un côté ne peut pas aller selon ses sentiments, et de l’autre refuse de contraindre son penchant ?
Réponse : Il faut lui expliquer ce qu’est la Thora, lui expliquer que nous voulons qu’elle en vienne finalement à suivre ses sentiments naturels, mais que ce n’est pas pour tout-de-suite. Elle finira par atteindre ce niveau, mais en attendant elle doit livrer des batailles. Le livre Messilat Yécharim lui-même s’ouvre sur cette affirmation, que l’homme a été créé pour se délecter de Dieu. Mais pour arriver à ce plaisir suprême, il faut commencer par appliquer les leçons des premiers chapitres qui traitent des vertus de prudence, d’empressement, etc., et c’est ainsi qu’on pourra arriver progressivement aux niveaux les plus élevés. Mais on montre tous les niveaux au lecteur, afin qu’il ne soit pas découragé par les premiers échelons, qui sont les plus difficiles.
De la Thora d’Érets Israël on n’a pas parlé pendant l’exil, ni dans la Michna bien qu’elle fût rédigée en Terre d’Israël, ni non plus dans la Guémara. L’exil a été le temps du contrôle de soi et non celui de la droiture naturelle. En exil, ceux qui atteignaient le niveau de la droiture naturelle étaient des exceptions. Dans l’ensemble de la nation, les gens pratiquaient la maîtrise de soi et en étaient satisfaits. Dans notre génération en revanche, il y a une levée de boucliers générale contre la coercition. Pourquoi justement dans notre génération ? Parce que dans l’ensemble, un processus de purification intérieure a commencé, mais que cette purification est encore en potentiel, et non en action. Pratiquement, nous sommes encore loin d’être arrivés au sommet de la perfection morale. Il y a aussi, grâce à Dieu, beaucoup de raisons de se réjouir, il y a des vertus morales et des idéaux, mais nous sommes loin d’être arrivés au sommet de l’intégrité.
Mais ceci n’est pas encore le chemin de la lumière, la morale du contrôle de soi n’est pas la grande lumière dans toute sa clarté, car lorsqu’il avancera davantage – tout doucement, nous grandissons en progressant dans l’étude de la Thora et du moussar -, et qu’il utilisera la lumière de la Thora unie à celle de l’intelligence, et à l’inclination naturelle d’un cœur droit et intègre qui s’est éveillé en développant ses dispositions naturelles et son intelligence, alors il découvrira qu’il n’a plus tellement besoin d’être constamment en guerre.
Cependant, même l’homme qui est parvenu à la droiture naturelle n’est pas totalement exempt de fautes, car “Il n’est pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir” [L’Ecclésiaste 7, 20]. Le Rambam écrit dans les Huit Chapitres que même chez un prophète, les vertus sont imparfaites, comme nous le voyons chez les Patriarches. Même l’homme droit doit se maîtriser, mais cela passe au second plan. Dans l’ensemble, il avance sans se contraindre, sans conflit intérieur, comme un roi qui s’est élevé dans la dignité et la puissance, pour qui les nations qui l’entourent ont tant d’admiration et d’estime qu’elles viennent d’elles-mêmes se soumettre et dire : “Nous reconnaissons ta royauté”, et qui avance ainsi de pays en pays. Telle serait la réalité du monde si tout le peuple d’Israël s’élevait à ce niveau, comme l’écrit le Rav notre maître :
“S’il n’y avait pas eu la faute du veau d’or, les nations qui habitaient la Terre d’Israël auraient fait la paix avec le peuple Israël, et l’auraient reconnu, car le Nom de l’Éternel, appelé sur lui, aurait éveillé chez elles une crainte révérencielle. Aucun projet de guerre n’aurait été mis en œuvre, et l’influence aurait marché dans les voies de la paix, comme aux jours du Messie. Seule la faute retarda la chose de plusieurs milliers d’années, et toutes les intrigues de l’histoire mondiale s’enchaînent l’une à l’autre pour amener au monde la lumière divine, et pour que la faute du veau d’or soit complètement effacée.
“Alors, tous ceux qui verront le peuple d’Israël reconnaîtront en lui la lignée que l’Éternel a bénie. Le monde sera réparé par la voie de la paix et des sentiments d’amour, et le contentement divin sera ressenti dans tous les cœurs. Il enchantera l’esprit et délectera l’âme, et chez tous vivra l’âme de tout vivant”. [Orot II – La Guerre – chap. 4]