3. L’enseignement qu’il faut à la Génération


Le Rav notre maître parle ici des aspects de la droiture et de la maîtrise dans la Génération. Il faut préciser et souligner que ce qu’il dit ici à propos du ‘hassid souverain’ ne vise qu’à nous faire connaître le grand idéal du judaïsme, mais que dans la vie pratique, il nous enjoint de suivre la voie de la maîtrise, car la Génération n’a pas encore atteint le niveau de la droiture. On se méprend parfois à ce sujet dans les écrits du Rav notre maître, car il insiste tellement sur la manière ‘naturelle’ de servir Dieu qu’on pourrait penser (à tort) que servir Dieu autrement que de manière naturelle ne se justifie pas, et que l’homme doit attendre que les choses ‘lui viennent naturellement’ !…

Rappelons ici un grand principe de l’enseignement de nos Sages : il y a d’un côté les enseignements théoriques, et il y a de l’autre côté l’application pratique. La Guémara [Baba Batra 130b] précise qu’on ne doit pas apprendre une halakha tant que le Rav n’a pas prononcé les mots : ‘halakha léma’assé’ [‘directive opérationnelle’]. Et pour arriver à dire ‘halakha léma’assé’, il faut être passé par de nombreux filtres et analyses. Alors pourquoi le Rav notre maître nous dit-il que la Thora est naturelle à l’homme, et qu’elle est la nature de l’homme ? – parce que c’est la vérité à son niveau le plus élevé ! Et c’est en particulier parce que la Génération est ‘fâchée’ avec la Thora que le Rav notre maître nous enseigne : “Vous devez savoir que la Thora est accordée avec la nature de l’homme, elle lui est agréable !” Et de là nous apprenons vers quel sommet nous devons grimper.

Il n’y a pas à se tromper sur les paroles du Rav, car il parle explicitement du cas de l’individu qui “ne s’est pas encore hissé tout au sommet de la perfection morale”. Et serions-nous parvenus au “sommet de la perfection morale” ? Bien sûr que non ! Il n’y a donc pas à se tromper là-dessus. Notre nature serait-elle totalement irréprochable et généreuse ? N’aurions-nous aucune tendance au mal ? Bien sûr que nous en avons, et tant qu’il en est ainsi, un homme ne peut se laisser guider par le flot de ses sentiments et par les élans de son cœur.

Question : Tout cela est bel et bien, mais que faire avec une génération qui d’un côté ne peut pas aller selon ses sentiments, et de l’autre refuse de soumettre son penchant ?

Réponse : Il faut lui expliquer ce qu’est la Thora, lui expliquer que nous voulons qu’elle en vienne finalement à suivre ses sentiments naturels, mais que ce n’est pas pour tout de suite. Elle finira par atteindre ce niveau, mais entre-temps elle doit guerroyer. Le livre Messilat Yécharim lui-même s’ouvre sur cette affirmation, que l’homme a été créé pour se délecter de Dieu. Mais pour arriver à ce plaisir suprême, il faut commencer par appliquer les leçons des premiers chapitres qui traitent des vertus de prudence, d’empressement, etc., car c’est ainsi qu’on pourra arriver progressivement aux niveaux les plus élevés. On montre cependant tous les niveaux au lecteur, pour qu’il ne soit pas découragé par les premiers échelons qui sont les plus difficiles.

De la Thora d’Érets Israël on n’a pas parlé pendant l’exil, ni dans la Michna bien qu’elle fût rédigée en Terre d’Israël, ni dans la Guémara. L’exil a été le temps de la maîtrise et non de l’intégrité. En exil, ceux qui atteignaient le niveau de l’intégrité étaient des exceptions, et l’ensemble de la nation pratiquait la maîtrise et en était satisfait. Dans notre génération en revanche, il y a une levée de boucliers générale contre la coercition. Pourquoi justement dans notre génération ? Parce que globalement, un processus de purification intérieure a commencé, mais que cette purification est encore à l’état potentiel, et non à celui de la réalisation. Pratiquement, nous sommes encore loin d’être arrivés au sommet de la perfection morale. Il y a aussi dans notre génération de nombreuses raisons de se réjouir, Dieu merci, il y a des qualités morales et des idéaux, mais nous sommes loin d’être arrivés au sommet de l’intégrité.

Mais ceci n’est pas encore le chemin de la lumière, la morale de la maîtrise n’est pas la grande et pleine lumière, car lorsqu’il aura appris davantage – nous grandissons progressivement dans l’étude de la Thora et du moussar -, lorsqu’il se servira de la lumière de la Thora associée au faisceau de l’intelligence, et à l’inclination naturelle d’un cœur droit, intègre et vif, en développant ses facultés naturelles et son intelligence, alors il s’apercevra qu’il n’a plus tellement besoin de guerroyer.

Cependant, même l’homme intègre n’est pas totalement exempt de fautes, car “il n’est pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir” [L’Ecclésiaste 7, 20]. Le Rambam écrit dans les Huit Chapitres que même chez un prophète, les vertus sont imparfaites, comme nous le voyons chez les Patriarches. Même l’homme intègre doit se maîtriser, mais c’est une chose mineure. Dans l’ensemble, il avance sans se contraindre, sans conflit intérieur, comme un roi qui s’est élevé dans la dignité et la puissance, pour qui les nations environnantes ont tant d’admiration et d’estime qu’elles viennent d’elles-mêmes se soumettre et dire : “Nous reconnaissons ta royauté”, et le roi avance de pays en pays.

Telle serait la face du monde si le peuple d’Israël entier s’élevait à ce niveau, comme l’écrit le Rav notre maître : “S’il n’y avait pas eu la faute du veau d’or, les nations qui habitaient la Terre d’Israël auraient fait la paix avec le peuple d’Israël et elles auraient reconnu ses droits, car le Nom de l’Éternel, appelé sur lui, aurait éveillé en elles une crainte révérencielle. Aucun plan de guerre n’aurait été exécuté, et [notre] influence serait passée par la voie de la paix, comme aux jours du Messie. Seule la faute entraîna que la chose fut retardée de quelques milliers d’années, et toutes les circonstances du monde s’enchaînent les unes aux autres pour amener dans le monde la lumière divine. La faute du veau d’or sera complètement effacée, et de ce fait, tous ceux qui verront [le Peuple d’Israël] reconnaîtront en lui la lignée que l’Éternel a bénie. Le monde sera réparé par la voie de la paix et des sentiments d’amour, la grâce divine sera ressentie dans chaque cœur, elle réjouira l’esprit et délectera l’âme, et en tous vivra l’Âme de tout vivant”.  [Orot II – La Guerre – chap. 4