3. La lutte de Yossef avec ses frères

Yossef et ses frères vivent dans une dispute mutuelle. Yossef ❝rapportait leurs propos médisants à leur père❞ [Genèse 37, 2]. Son grief à leur encontre est éclairci par son rêve :

Et voici que ma gerbe se dresse et se tient debout, et voici que vos gerbes se disposent autour et se prosternent devant ma gerbe.

Genèse 37, 7.

Il leur reproche leur paresse, leur incompréhension des problèmes de la construction du monde. Sa gerbe se tient debout, elle se maintient solidement, alors que leurs gerbes sont courbées. Eux aussi portent des accusations contre lui, comme le lui dit par la suite Yéhouda :

Car tu es comme Pharaon !

Ibid. 44, 18.

Tu es un autre Pharaon, un autre qui s’occupe de la construction du monde matériel. Ce n’est pas l’affaire du peuple d’Israël dans le monde, c’est le rôle des goyim ! Ils le suspectent de s’occuper de l’organisation de la vie en abandonnant la construction spirituelle spécifique à Israël.

Les frères comprennent que Yossef est un nouveau commencement. Il a une ❛tunique rayée❜, il contient toutes les variantes et il en constitue l’ensemble, il les vaut toutes. C’est cet homme qui rapporte leurs propos médisants à leur père, qui provoque des divisions, qui entame et met en danger l’intégrité de la maison d’Israël. Ils se rappellent comment les scories ont été triées dans la famille : Ichmaël écarté d’Itzhak, et Essav de Yaakov. Y aurait-il ici un mécanisme semblable ? Quelqu’un tombera-t-il encore de la Maison d’Israël ?

Il les appelle :

Écoutez je vous prie ce rêve que j’ai fait !

Genèse 37, 6.

En d’autres mots, comprenez qui je suis. En fait ils comprennent très bien, mais ils sont intéressés à savoir :

Est-ce que tu règnerais sur nous ? Ou est-ce que tu nous dominerais ?

Ibid, 8.

As-tu l’intention de régner avec notre accord pour te couronner, ou de gouverner en imposant ta dictature ? [Gaon de Vilna, Kol Eliahou] – S’il s’agit de gouverner, il est possible de discuter, mais s’il s’agit de dominer, non. Il y a un antagonisme : ou eux, ou Yossef. La question est de savoir qui déterminera la voie du peuple d’Israël dans l’avenir, eux ou Yossef ?

Les ❛frictions❜ entre frères ne commencent pas ici. Les ont précédés Caïn et Abel, Itzhak et Ichmaël, Essav et Yaakov. Bien sûr, il y a différentes raisons possibles aux conflits entre les hommes et entre les nations : économiques, de classe, psychosexuelles, etc. Nos Sages aussi avaient reconnu ces raisons. Concernant Caïn et Abel, il y a des opinions divergentes sur la cause de leur dispute : ce pourrait être une sœur jumelle supplémentaire, ou la répartition des biens matériels [voir Beréchit Rabba 22, 7]. Mais la cause intérieure profonde qui provoque la dispute, sur ces sujets ou sur d’autres, était l’opposition essentielle entre leurs qualités humaines, entre deux natures différentes qui appelaient deux rôles différents dans le monde. Les causes apparentes, qui apparaissent en réaction à la réalité, ne sont que les symptômes bénins d’un conflit intérieur qui s’enracine dans un antagonisme profond et identitaire [voir Orot Hakodech III, p.323].

L’origine du conflit entre Yossef et ses frères ne se trouve pas non plus dans l’affaire de la tunique de soie : les frères ne sont pas de petits enfants et n’ont pas besoin d’un morceau de soie ❛bariolée❜ ! Ce conflit prend naissance dans l’opposition essentielle exprimée par l’attribution de cette tunique à Yossef. C’est l’opposition entre des personnes qui inclinent à construire la vie dans sa substance, et d’autres qui inclinent à l’organiser.

(Retour à la liste des paragraphes)