Quand Yaakov sort de Beer-Sheva pour fuir devant son frère, sa situation n’est pas brillante : il est sans toit, sans femme, pauvre et manquant de tout. Il est le premier exilé, qui fuit sous la menace d’être tué. Que lui réserve l’avenir ? Que se passera-t-il ? Alors vient le rêve, le rêve de Yaakov.
Il y a différentes sortes de rêves. Il y a des rêves sublimes, prophétiques, et il y en a d’autres qui sont insignifiants. En fait :
Il n’est montré à l’homme que ce que son cœur médite.
Berakhot 55b.
Tout dépend du rêveur et de ses pensées. On raconte à propos de Chmouël que Chapour Malka le roi de Perse lui demanda : ❝On dit de toi que tu es un sage, peut-être me diras-tu ce que je rêverai cette nuit ?❞ − Il lui répondit : ❝Tu rêveras que tu as été vaincu dans une guerre avec les Romains, ils te prendront en captivité, et là tu écraseras des noyaux de dattes dans une meule en or❞. Cette réponse étrange intrigua tellement le roi qu’il y pensa toute la journée, et la nuit venue effectivement il en rêva [Berakhot 56]. Le rêve de Yaakov est l’expression des méditations de son cœur les plus profondes, sur ce qu’il est et la vocation de sa vie. [Rambam, Moré Nevoukhim I, 36, au sujet du rêve].
Il y a deux éléments dans son rêve. Le premier est une promesse divine :
Je suis l’Éternel… La terre sur laquelle tu es couché, Je te la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera comme la poussière de la terre, et tu t’étendras vers l’occident et vers l’orient… Et Je suis avec toi, Je te garderai partout où tu iras et Je te ferai revenir sur cette terre, car Je ne te quitterai pas jusqu’avoir fait tout ce que Je t’ai dit.
Genèse 28, 13-15.
Eu égard à sa situation actuelle, pitoyable et problématique, la promesse divine vient lui garantir qu’il sera gardé tout au long du chemin, partant du sombre présent en direction d’un avenir grandiose qui adviendra sans aucun doute.
Le second élément du rêve est la vision de l’échelle :
Il rêva, et voici qu’une échelle est érigée vers la terre, et son sommet atteint le ciel.
Ibid. 12.
L’échelle relie le ciel et la terre. Elle est ❛érigée vers la terre❜, c’est-à-dire qu’elle est tournée depuis le ciel, depuis les hauteurs suprêmes, vers le monde terrestre. Et elle ❛atteint le ciel❜, c’est-à-dire qu’elle est aussi tournée vers le ciel. Le monde terrestre se nourrit des hauteurs célestes.
L’échelle est Yaakov lui-même [Néfech Hahayim 1, 10-11], céleste et terrestre à la fois : la spiritualité dirigée et étendue vers la réparation du monde des actions, et l’activité cachère qui puise à la spiritualité pour être guidée par elle. Telle est la double personnalité de Yaakov.
Cette vision n’est pas statique mais dynamique, elle est pleine de mouvement :
Et voici des anges de Dieu qui montent et qui descendent sur l’échelle.
Ibid.
Ils montent au ciel s’alimenter à la source divine afin de redescendre vers le monde terrestre pour l’éclairer. L’élévation spirituelle n’est pas terminée avec un survol des mondes supérieurs, mais les tsadikim reviennent avec l’énorme bagage qu’ils ont acquis vers la réalité terrestre, afin d’y agir et de la réparer [Guide des Égarés I, 15]. Dans la Ligature d’Itzhak, Avraham notre père s’élève à des niveaux spirituels tellement sublimes que ses jeunes gens ne peuvent pas assister à l’événement :
Asseyez-vous ici pour vous avec l’âne, et nous marcherons jusque là-bas.
Genèse 22, 5.
Et pourtant ce ne sont pas des jeunes gens quelconques, mais Éliézer et Ichmaël [Rachi sur place]. Tous deux sont des Grands. Avraham se fie à Éliézer pour choisir une femme pour Itzhak, une femme dont dépendra entièrement l’édification par la suite du grand idéal qu’est la formation du peuple d’Israël. Il est dit de lui :
Il puise la Thora de son maître et la donne à boire au plus grand nombre.
Yoma 28b.
Cependant, par rapport au dévoilement spirituel grandiose de la ligature, ils sont semblables à l’âne :
❝Avec [‘im] l’âne❞ – peuple [‘am] semblable à l’âne.
Yébamot 62 ; Beréchit Rabba 56, 2.
Ces deux-là ne comprendraient pas, ils ne pourraient pas digérer ce spectacle. S’ils le voyaient, ils pourraient devenir fous ou hérétiques. Avraham marche seul, il monte à un niveau absolument inconcevable dans la simple morale humaine. Cependant, Avraham est-il coupé de la réalité ? Reste-t-il céleste et sublime au-dessus des besoins de la simple réalité ? – Non :
Avraham revint vers ses jeunes gens, et ils se levèrent et ils marchèrent ensemble vers Beer-Sheva.
Genèse 22, 19.
Il les élève : ❛ils se levèrent❜. Il revient vers le monde, vers la réalité habituelle, et il ne la méprise pas. :
Après toute l’élévation sublime qu’avait traversée son âme, absolument rien n’agit sur lui pour le faire se départir de sa capacité exceptionnelle à influencer le monde et son entourage, malgré tout leur enlisement dans la matérialité. Il revient vers ses jeunes gens, tels qu’ils sont, les mêmes jeunes gens qu’il avait laissés avec l’âne. Il revient vers eux pour qu’ils l’interrogent, pour les élever et les former.
Rav Kook, Olat Réaya I, 96.
Et de plus, après la descente vient la montée. La descente elle-même prépare la remontée qui vient après elle.
Yaakov se réveille du rêve.
Il prend peur et dit : que ce lieu est redoutable, il n’est autre que la maison de Dieu, et ceci est la porte des cieux.
Genèse 28, 17.
Il ne s’attribue pas à lui-même le mérite de la vision, mais à la sainteté du lieu. Et cette humilité l’amène à ne pas remercier le Saint-Béni-Soit-Il de l’avoir gratifié de cette vision prophétique et de ces promesses. Il sait que ce n’est pas lui qui est à l’origine de cette vision, mais qu’elle vient du Saint-Béni-Soit-Il. La sainteté de la terre d’Israël tient à ce qu’elle est la maison de Dieu et la porte du Ciel, le lieu où la Présence divine réside sur terre et où le monde terrestre se tourne vers le Ciel [Kouzari 2, 14], et c’est seulement grâce à elle qu’il pourra remplir sa mission de relier le ciel et la terre.
Le Saint-Béni-Soit-Il ❛plia❜ sous lui toute la Terre d’Israël, allusion à ce que ses enfants la conquerraient avec autant de facilité qu’une parcelle de quatre coudées, dimension qui représente la place occupée par un homme couché.
Houlin 91b, Rachi sur Genèse 28, 13.
Partant du rôle et de la nature de la terre d’Israël, Yaakov fit le rêve de la réunion entre la terre et le ciel, qui exprime sa personnalité profonde.