2.3. « Il inspecte la faute des pères chez les fils »


Le lien et la continuité entre les pères et les fils entraîne aussi des retombées négatives :

Il inspecte la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations.  [Exode 20, 5]

Les pères ont mangé des fruits verts, et les dents des fils seront agacées.  [Jérémie 31, 29]

On objectera : est-il normal que le père faute et que le fils en souffre ? Mais l’ordre de la réalité est ainsi. À ce propos, Rabbi Méïr cite une parabole :

Le lion avait attrapé le renard et s’apprêtait à le dévorer. Le renard lui dit : pourquoi veux-tu me manger ? Je suis si maigre, cela ne vaut pas tes efforts ! Regarde en-face ce Juif bien gras, vas le dévorer ! Mais, répondit le lion, le Juif se tient debout pour faire sa prière, et j’ai appris de mes pères que c’est mal de dévorer un homme en train de prier. Le renard lui répondit : mais non, fais ce qui te plaît comme tout le monde et tu ne seras pas puni, la punition ne viendra que sur ton fils ou ton petit-fils. Entendant cela, le lion réfléchit, se décida et sauta sur le Juif. Celui-ci était appuyé sur un puits recouvert. Le lion sauta sur la couverture et dégringola au fond du puits. Le renard le regarda et rit. Le lion se mit en colère : ce n’est pas ce que tu as dit ! Il lui répondit : ce n’est que pure vérité, mais autrefois ton grand-père a fauté, et c’est pour cela que tu es puni maintenant. Le lion pleura : est-ce parce que mon grand-père a fauté que je dois souffrir ? Où est la justice ? Le renard lui répondit : pourquoi n’as-tu pas posé la question avant ? [voir Sanhédrin 39a dans Rachi]

Le fait est que les fils souffrent des fautes des pères, mais pas pour toujours, seulement trois ou quatre générations : “Il inspecte la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations” ; et c’est à nous de comprendre la logique et la justice qu’il y a là-dedans.

La chose est simple à comprendre quand les fils “renforcent la faute de leurs pères” [Berakhot 7 ; Sanhédrin 27], c’est-à-dire s’ils persistent dans une vie de fautes. Mais même quand les fils ne sont pas des fauteurs, on peut comprendre qu’ils souffrent de la faute des parents. D’abord de façon évidente : par exemple si une femme enceinte néglige certaines règles sanitaires, son enfant risque d’en être affecté et de naître avec un handicap. Est-il coupable ? Certainement pas. Il n’est donc pas coupable mais il souffre des fautes de sa mère. Autre exemple : des parents qui se conduisent mal ruinent les dispositions morales de leurs enfants. Les enfants ne sont pas coupables, mais ils en souffriront.

Il est possible aussi de comprendre la chose de façon plus profonde : un homme reçoit l’héritage de ses pères pour le bien et pour le mal. On objectera : mais il n’est pas juste qu’il ait à souffrir pour les actions de ses pères ! Cependant, le fils hérite de bonnes choses, et cet héritage positif est beaucoup plus profond et plus durable que l’héritage négatif. Nous trouvons en parallèle : “Il inspecte la faute… sur les troisièmes et les quatrièmes [générations]”, et : “Il dispense sa bonté aux millièmes [générations] pour ceux qui l’aiment et qui observent ses mitsvot” [Exode 20, 6].

Nous sommes trop gâtés ! Nous nous plaignons pour le mal, mais le bien que nous avons hérité de nos parents et de nos ancêtres nous le minimisons et nous nous en dissimulons l’existence. Représentons-nous l’état du monde il y a quelques milliers d’années, quand les hommes grimpaient aux arbres. Et voici qu’après un effort d’éducation de plusieurs millénaires, la face du monde a changé et elle est méconnaissable, aussi bien du point de vue spirituel-culturel que du point de vue technologique. Ce n’est pas tombé du ciel d’un seul coup, c’est l’héritage de toutes les générations. Nous bénéficions de l’héritage spirituel et pratique de toutes les générations, et en particulier de celui de nos ancêtres, et nous souffrons aussi des erreurs qu’ils ont commises. Et alors, est-ce injuste ? À côté du riche héritage positif il y a aussi un héritage négatif, de moindre importance sans commune mesure. L’homme ne doit pas se voir comme une créature isolée, coupée de l’expérience humaine dans sa généralité. Toutes les générations forment une seule chaîne, une seule âme, une seule continuité, une seule vie divine qui se poursuit au cours des générations par tous ses dévoilements, positifs et négatifs.


(Retour à la liste des paragraphes)