La vie rayonne dans sa plénitude, voici l’expression de la droiture telle qu’elle se répandra dans la nation lorsque les hommes droits seront nombreux : “Un cri de joie et de délivrance retentit dans les tentes des justes : ‘la Droite de l’Éternel fait la force, La Droite de l’Éternel relève, la Droite de l’Éternel fait la force !’” [Psaumes 118, 15].
Dans le Zohar [Zohar Hadach, Lekh Lekha, 2], Rabbi Chimon Bar Yohaï raconte qu’un jour, il rencontra Éliahou Hanavi déguisé en vieillard. Un enfant était avec lui, et ils étaient debout devant un grand fleuve qu’ils voulaient traverser : “Je dis à l’aïeul : ‘fais monter le petit sur une de mes épaules, monte sur l’autre, et je vous ferai passer’. Le vieillard me répondit : ‘N’es-tu pas le Grand de la génération ? Alors comment pourras-tu nous faire passer ? Il est bien connu que la Thora affaiblit l’homme !’” – Rabbi Chimon lui dit alors : “Grand-père, grand-père, même en vous prenant d’un seul bras je pourrais vous soulever et vous faire passer tous les deux”. Le vieillard lui demanda de nouveau : “Et comment feras-tu ? On sait bien que la Thora affaiblit l’homme !” – Rabbi Chimon lui répondit : “On appelle aussi la Thora ‘remède’ et ‘élixir’, comme il est dit : ‘C’est un remède pour ta force et une potion pour tes os’ [Proverbes 3, 8], c’est pour cette raison que je suis fort”, et il leur fit traverser le fleuve. Ainsi, c’est au début du chemin que la Thora affaiblit l’homme, comme le fait un médicament : au début on se sent mal, mais après un certain temps le corps se rétablit, et l’âme se raffermit.
Chez celui qui soumet son penchant, même chez un juste, la joie de la maîtrise s’accompagne d’un sentiment de de contrainte et de tristesse, comme l’écrit le Zohar [Vayak’hel 198, 1] à propos du verset “[Heureux celui qui met] son ‘espérance’ [‘sivero’] dans l’Éternel son Dieu” [Psaumes 146, 5]. Les justes sont prêts à être ‘brisés’ [‘lichbor’], brisure après brisure, pour la gloire de Dieu – les racines hébraïques pour ‘espérance’ et pour ‘briser’ sont composées des mêmes lettres : ר, ב, ש. Or, une brisure n’est pas un ‘cri de joie et de délivrance’ ! La joie de celui qui se contraint est accompagnée d’un sentiment de perte, comme le dit le Rambam dans les Huit Chapitres [chapitre 6] : celui qui se contraint fait le bien douloureusement, car son inclination naturelle l’entraîne vers le mal. C’est aussi ce qui est mentionné dans Orot Hatechouva [8, 1].
Il y a des gens qui se fixent des idéaux médiocres, faciles à atteindre, et qui se prennent pour des justes. Et il en est d’autres qui se fixent des idéaux trop lointains, ‘qui courent après les anges’, sans comprendre qu’il y a un chemin. C’est pourquoi, quand on veut se fixer un idéal il faut fermer les yeux, de peur que le cœur défaille en voyant la réalité ; mais quand on se met en route il faut ouvrir les yeux pour ne pas se cogner aux arbres, et être prêt à sacrifier sa vie sur ce long chemin.