14. « La Thora affaiblit l’homme »

La vie rayonne dans sa plénitude – tel est le caractère de la droiture qui s’exprimera dans la nation lorsque les hommes droits seront nombreux, “un cri de joie et de libération retentit dans les tentes des justes, la Droite de l’Éternel donne la victoire, La Droite de l’Éternel élève, la Droite de l’Éternel donne la victoire” [Psaumes 118, 15].

Dans le Zohar [Zohar Hadach, Lekh Lekha, 2], Rabbi Chimon Bar Yohaï raconte qu’un jour, il rencontra Éliahou Hanavi déguisé en vieillard. Un enfant était avec lui, et ils étaient debout devant un grand fleuve qu’ils voulaient traverser : “Je dis à l’aïeul : ‘fais monter le petit sur une de mes épaules, monte sur l’autre, et je vous ferai passer’. Le vieillard me répondit : ‘N’es-tu pas le Grand de la génération ? Alors comment pourras-tu nous faire passer ? Il est bien connu que la Thora affaiblit l’homme !’” – Rabbi Chimon lui dit alors : “Grand-père, grand-père, même en vous prenant d’une seule main je pourrais vous soulever et vous faire passer tous les deux”. Le vieillard lui demanda de nouveau : “Et comment feras-tu ? On sait bien que la Thora affaiblit l’homme !” – Rabbi Chimon lui répondit : “On appelle aussi la Thora ‘remède’ et ‘potion’, comme il est dit : ‘C’est un remède pour ta force et une potion pour tes os’ [Proverbes 3, 8], c’est pour cette raison que je suis fort”, et il leur fit traverser le fleuve. On voit donc que c’est seulement au début du chemin que la Thora affaiblit l’homme, comme le fait un médicament : au début on se sent mal, mais après un temps le corps se rétablit, et l’âme se raffermit.

Chez celui qui maîtrise son penchant, même si c’est un juste, un sentiment de contrainte et de tristesse accompagne la joie de la maîtrise, comme l’écrit le Zohar [Vayakhel 198, 1] à propos du verset “[Heureux celui qui met] son ‘espérance’ [‘sivero’] dans l’Éternel son Dieu [Psaumes 146, 5] – les justes sont prêts à être ‘brisés’ [‘lichbor’], brisure après brisure, pour la gloire de Dieu” [les racines hébraïques pour ‘espérance’ et pour ‘briser’ sont composées des mêmes lettres : ש, ב, ר]. Or une brisure n’est pas un ‘cri de joie et de libération’ ! La joie de celui qui se maîtrise est accompagnée d’un sentiment de perte, comme le dit le Rambam dans les Huit Chapitres [chapitre 6] : celui qui se maîtrise fait le bien douloureusement, car son inclination naturelle l’entraîne vers le mal. C’est aussi ce qui est décrit dans Orot Hatechouva [8, 1].

Il y a des gens qui se fixent des idéaux médiocres, faciles à atteindre, et qui se prennent pour des justes. Et il en est d’autres qui se fixent des idéaux trop lointains, ‘qui courent après les anges’, sans comprendre que pour y parvenir il y a un chemin à suivre. C’est pourquoi, quand on veut se fixer un idéal, il faut fermer les yeux, de peur que le cœur défaille en voyant la réalité ! Mais quand on se met en route il faut ouvrir les yeux, pour ne pas se cogner aux arbres ! Et être prêt à sacrifier sa vie sur ce long chemin.