Rav Avraham Itzhak Kook zatsal, extrait de Igrot Haréaïa (I) lettre 134, pp. 163-164.
Je me sens le devoir d’éveiller ton esprit pur au sujet des théories issues de nouvelles recherches [scientifiques], qui pour la plupart contredisent les versets de la Thora dans leur sens littéral. Mon avis en la matière est que tout homme honnête peut comprendre ceci : bien qu’il n’y ait aucune vérité démontrée dans toutes ces nouvelles théories, nous n’avons aucune obligation de les démentir et de leur faire barrage, car ce n’est pas du tout l’essence de la Thora de nous raconter de simples événements ou des actions du passé. L’essentiel est au-dedans, c’est l’explication profonde des choses, qui est à un niveau bien plus élevé que toute argumentation pour nous donner raison.
L’essentiel sur ces sujets a déjà été dit par les Richonim, au premier rang desquels le Guide des Égarés [Première partie, chapitre 71 ; Deuxième partie, chapitres 15, 16,25 ; voir Troisième partie, chapitre 3], et nous sommes aujourd’hui à même d’élargir davantage ces notions. Nous ne tirons aucune conclusion du fait de savoir s’il a vraiment existé dans le monde réel un âge d’or, où l’homme s’est délecté d’une profusion de bien matériel et spirituel, ou si la réalité a commencé au contraire du bas vers le haut, dans un mouvement ascendant du niveau d’existence le plus fruste vers le plus élevé. Nous devons seulement savoir qu’il existe une possibilité bien réelle que l’homme, même s’il a atteint une position prestigieuse qui le prépare à tous les honneurs et à tous les délices, perde tout son acquis s’il vient à pervertir ses voies, et qu’il peut ainsi porter préjudice à lui-même et à sa descendance pour de très nombreuses générations.
Telle est la leçon que nous devons tirer de ce fait, de la réalité du séjour de l’homme au Jardin d’Éden, de sa faute et de son expulsion. Le Maître de toutes les âmes sait à quel point la marque doit être profonde dans le cœur des hommes pour qu’ils se gardent de la faute, et c’est en tenant compte de ce besoin profond que des lettres sont venues à ce sujet dans la Thora de vérité. Dans la mesure où nous sommes arrivés à ce niveau [de prudence], nous n’avons plus besoin de nous battre contre la description [de l’histoire du monde] qui se dégage des nouvelles recherches, et puisque nous ne sommes pas partie en la matière, nous pouvons juger avec impartialité. Nous pouvons alors disqualifier leurs décisions l’esprit tranquille, à l’aune de la vérité [divine] qui nous a montré la voie.
Ce qui fait la splendeur de notre vie, c’est essentiellement la vérité, celle de l’unité qui règne dans la hauteur sublime et la magnificence éternelle, et de la justice éternelle qui l’accompagne sans cesse. C’est cela ‘l’âme de la Thora’ [‘nichmata déoraïta’, Zohar, Béha’alotékha 152], et c’est seulement en étant tournés vers elle que nous pouvons avoir aussi un aperçu de son corps et de ses vêtements [c’est-à-dire de l’aspect matériel des choses]. Sur le plan général, l’idée du développement progressif [proposée par la science] se trouve elle aussi à ses débuts, et il n’y a aucun doute qu’elle changera de forme : elle donnera naissance à de nouveaux concepts où apparaîtra également la [notion de] discontinuité, ce qui complétera la représentation de la réalité et permettra alors à la lumière d’Israël d’être comprise dans l’essence de sa luminosité.
Cette démarche s’oppose à celle des chercheurs des nations du monde, et de ceux en Israël qui suivent leur exemple, car ils lisent la Bible dans l’interprétation chrétienne, qui fait de ce monde une prison [en l’enfermant dans une compréhension littérale des versets]. Mais la compréhension pure, celle de la joie de la vie et de sa lumière qui est celle de la Thora, est fondée seulement sur la garantie attestée par le passé, que l’homme était extrêmement heureux, et que c’est seulement l’occurrence de la faute qui le fit dévier. Alors on comprend qu’un faux-pas lié aux circonstances doit forcément être réparé, et que l’homme retrouvera son niveau pour toujours. Mais l’idée de l’évolution sans l’appui du passé est forcément de nature à effrayer, car elle pourrait s’arrêter au milieu du chemin, ou même revenir en arrière, puisque nous ne sommes pas fondés à affirmer que le bonheur est l’état naturel de l’homme, et à plus forte raison de l’homme tel qu’il est dans sa dimension matérielle, qui réunit son corps et son âme. Il n’y a donc que la présence de l’homme au Jardin d’Éden qui fait exister pour nous le monde de la lumière, et en cela elle se qualifie pour être également la vérité factuelle et historique, bien que ceci ne soit pas pour nous un point essentiel.
Ceci est un grand principe dans la bataille des idées, que chaque fois qu’un avis vient contredire un quelconque enseignement de la Thora, au début nous ne devons pas forcément le contester, mais seulement construire le palais de la Thora par-dessus, ce qui nous fait nous élever grâce à lui, et grâce à cette élévation de nouvelles idées se font jour. Par la suite, quand nous ne sommes plus soumis à aucune pression, nous pouvons revenir sur l’objection en toute confiance pour la neutraliser. Il y a là-dessus des exemples édifiants, mais je ne veux pas m’étendre, et le peu que j’ai dit suffira à un sage comme toi pour savoir comment faire flotter la bannière de l’Éternel par-dessus toutes les turbulences, et comment se servir de tout pour notre bien véritable, qui est aussi le bien de tous.